Amour est un très beau film sur l’intimité d’un couple octogénaire à l’épreuve de la déchéance physique et de la mort. Lorsqu’Anne est victime d’une attaque, sa vie et celle de son mari Georges – formidable Jean-Louis Trintignant – basculent. D’abord simplement diminuée physiquement, marquée par une lucidité sombre dissimulant une sourde terreur de la mort, Anne, après une seconde attaque, se mue en grabataire démente. Haneke nous force à pénétrer dans un quotidien exécrable et à répondre à ces terribles questions : comment accepter les cris, les excréments, les puanteurs ? Quelle place donner à tout cela et à l’immense chagrin occasionné par ce spectacle ? Que faire lorsque l’amour est mêlé au dégoût et à l’extrême usure nerveuse ? Questionnement terrible puisque désormais universel, tant mourir en usant le corps aux confins de la vieillesse devient une norme à laquelle la plupart d’entre nous seront confrontés. En embarquant le spectateur dans l’intimité du couple, Haneke nous rend capables de comprendre véritablement la lutte quotidienne de Georges, et avec lui de tous ceux qui s’occupent avec opiniâtreté des mourants. Le réalisateur paraît opposer deux types de témoins. D’un côté il y a ceux qui comprennent ce quotidien pour l’avoir vécu, c’est-à-dire Georges et nous, spectateurs transformés en petite souris. De l’autre côté, il y a les proches du couple, témoins extérieurs, tels ce pianiste virtuose en visite ou leur fille Eva. Ceux-là sont victimes d’une vision parcellaire et fugitive de la situation, et leur jugement est difficilement supportable pour Georges. Eva, moralisatrice, cherche pathétiquement « une solution meilleure » qu’elle n’ose nommer, cependant qu’elle n’est tout simplement pas capable d’affronter cette difficile expérience de fin de vie. Cet authentique tabou, le couple s’y enferme, ou plutôt y est enfermé. Georges rend d’ailleurs concrète cette extrême réclusion, cette incapacité des...