Pi, jeune indien affable et farfelu, a la chance de naître au zoo de Pondichéry, propriété de son père. Vivre au milieu d’animaux de toutes espèces n’a rien d’anodin, et Pi développe très vite une curiosité et une aptitude au relativisme assez exceptionnelles. Notre jeune héros s’enthousiasme ainsi simultanément pour la religion bouddhiste, musulmane et catholique. Il mêle croyances et enseignements, rites et interdits dans un joyeux mélange de toute bonne foi : pourquoi croire à une seule religion à l’exclusion de toutes les autres ? La vie est douce dans la tiédeur du zoo, et Pi pourrait grandir ainsi, de découvertes en découvertes, et devenir un adulte fantasque, certes, mais confiant et équilibré. Il en ira tout autrement : à la suite d’incidents politiques dans le pays, le père de Pi choisit de s’exiler, embarquant sa famille et la plupart des membres du zoo sur un cargo japonais en direction du Canada. Hélas, le bateau fait naufrage et Pi est le seul humain à en réchapper… seul humain, oui, car au fond du canot de sauvetage est tapi Richard Parker, énorme tigre du Bengale, que Pi connaît déjà bien pour l’avoir vu gloutonner une chèvre avec la même facilité que lui-même avale un naan au fromage. Durant 227 jours, Pi devra oublier sa faim, sa soif, sa peur et tenter coûte que coûte d’apprivoiser l’animal, avant que celui-ci ne se décide à en faire son repas. La sortie de l’Odyssée de Pi de Ang Lee était l’occasion de se plonger dans le roman du canadien Yann Martel, que l’on avait raté à sa sortie : sept millions de lecteurs, quarante-deux traductions, Man Booker Prize, autant de raisons de se pencher sur un succès aussi retentissant. Certes, L’Histoire de Pi répond aux codes les plus fameux du roman d’aventure....
Cendrillon, Maguy Marin
écrit par Marie Fernandez
A côté du travail avec sa compagnie, Maguy Marin a plusieurs fois dirigé le Ballet de Lyon. En 1985, la chorégraphe, répondant à une commande, s’emparait du ballet de Prokofiev, « Cendrillon ». S’emparait, oui, d’une façon moderne et théâtrale qui désorienta souvent les danseurs de l’institution. Vingt-sept ans plus tard, après plus de 450 représentations en France et à l’étranger qui témoignent du succès phénoménal de la proposition, «Cendrillon » est repris à l’Opéra de Lyon. Retour à la maison donc, d’un spectacle qui s’offre aussi désormais comme un témoin clé dans l’histoire de la danse. Aujourd’hui, et cela éclaire bien sûr le succès et la longévité du ballet, m’apparait d’abord la grande cohérence des propositions de mise en scène. La matière première étant le conte de Perrault, la chorégraphe choisit de plonger entièrement dans un univers enfantin, comme si l’histoire de Cendrillon nous était racontée par un enfant, dans un monde d’enfants. La scénographie de Montserrat Casanova, collaboratrice fidèle de Maguy Marin, donne le la. Lorsque le plateau s’éclaire lentement, nous découvrons une sorte de maison de poupée grandeur nature à trois niveaux, divisée en plusieurs compartiments. Le dispositif, ingénieux, offre des espaces bien séparés qui permettent de signifier les multiples lieux de la fable (le réduit où Cendrillon astique et balaie au premier niveau, la salle de bal au deuxième niveau, les diverses contrées traversées par le prince à la recherche de Cendrillon au dernier niveau…) sans changement de décor massif. En même temps, les petites transformations incessantes à l’intérieur de la maison renvoient au plaisir de l’enfant à manipuler et réorganiser ces boîtes à histoires (et hop, faisons apparaître un escalier pour relier le deuxième niveau au premier et mettre en scène la descente du prince !). Dans cet espace Maguy Marin fait apparaitre...
Qu’avons-nous fait de nos rêves ?, Jennifer Egan...
écrit par Marie-Anna Gauthier
Je l’avoue, j’ai choisi de lire ce roman parce que j’ai été attirée par une campagne de presse efficace, présentant ce roman comme « une perfection absolue » (dixit le New-York Times, excusez du peu). Evidemment, le fait qu’il soit auréolé du prix Pulitzer a achevé de me convaincre. Pourquoi évoquer ainsi les raisons qui ont déterminé cette lecture ? Parce que j’ai eu l’impression, encore une fois, de m’être fait balader. En dépit de tous ces éloges, voilà un roman décevant: à trop vouloir en faire, on s’égare. Le roman de Jennifer Egan appartient à cette littérature américaine de l’après-11 Septembre qui dessine le visage sombre et anxiogène d’un pays rongé par un mal protéiforme : désastre écologique, libéralisme ravageur, perte des valeurs… La romancière choisit d’évoquer les désillusions existentielles de la génération des ex-seventies. Elle raconte les destins d’une myriade de personnages gravitant tous plus ou moins autour de l’industrie du disque et fait du passage à l’ère numérique le point de départ d’une méditation sur le temps qui passe et qui emporte avec lui les rêves. Ainsi, Bennie, ancien punk passionné, devenu producteur de tubes insipides, rendus exsangues par les effets de la conversion numérique : « Bennie savait qu’il fabriquait de la merde. Trop limpide, trop aseptisé. La précision, la perfection, voilà le problème, elle vidait de substance tout ce qui se prenait dans les rets microscopiques de son système ». Pour rendre sensible ce sentiment de déclin et le contraste entre rêves et réalité, Jennifer Egan use de techniques romanesques empruntées tout à la fois aux feuilletons du XIXème siècle et aux séries télévisées contemporaines. Imitant la structure des sopranos, elle fait des allers retours constants entre les deux personnages principaux, Bennie et Sasha, et les personnages secondaires qui déambulent autour d’eux. Elle se refuse à toute...
Le Hobbit: un Voyage inattendu, Peter Jackson
écrit par Célian Faure
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce Hobbit a été attendu au tournant. L’appât du gain facile, après le succès du Seigneur des Anneaux, a en effet rendu son existence éminemment suspicieuse aux yeux des gardiens de l’esprit de Tolkien ou des pourfendeurs de l’industrie cinématographique. Ajoutez à cela la relative brièveté du roman de Tolkien confrontée à l’annonce tardive d’une nouvelle trilogie, et la coupe des sceptiques était pleine. Soyons clairs, Le Hobbit, récit picaresque par excellence, n’intéressera pas ceux que la première trilogie de Jackson a laissés froids. Mais il ravira sans doute tous les autres. L’univers de Jackson et sa volonté toujours intacte de respecter l’œuvre de son maître demeurent impeccables. Plus encore que pour la première trilogie, dont la lourdeur mystique et le propos grave faisaient planer un sentiment tout sauf enfantin, il faut se livrer innocemment à cette œuvre pour la goûter pleinement. Voilà donc ce qui se fait de mieux dans le divertissement grand public. Avec Le Hobbit, on rêve, véritablement. Gageure à une époque où l’imaginaire fait souvent défaut à nos artistes. Gageure car l’entertainment est suspect, voire tricard, depuis la floraison des dénonciateurs de complots capitalistes des années soixante. Gageure, enfin, parce que de nombreux films de « divertissement » prennent effectivement leur public pour des idiots et livrent d’innommables navets sans intérêt. Le genre du divertissement, au cinéma, est sans doute paradoxalement le plus délicat à manipuler. La présente critique pourrait s’arrêter ici, tant cette excellence-là suffit à justifier l’œuvre de Jackson. Trolls, géants de pierre, aigles fabuleux, les créatures imaginaires et les situations ubuesques fourmillent dans le film. Une compagnie de Nains part en quête de son territoire originel, occupé par la force depuis longtemps par le terrible – et pour l’instant non visible...
Les Bêtes du sud sauvage, Benh Zeitlin
écrit par Guillaume Moreau
Dans le bayou où vivent Hushpuppy et son père, tout est poisseux, humide, sale et joyeusement délabré. Là, au milieu d’une petite communauté de marginaux, qui refusent le monde moderne, coupé du rapport direct à la nature, l’homme est comme l’animal : Hushpuppy joue, dort, mange avec les bêtes qui l’entourent et composent son jardin quotidien. Bientôt, la petite, en colère contre son père, le frappe en plein cœur et s’imagine que cette agression déclenche ce que l’on soupçonne être l’ouragan Katrina. Quoiqu’il en soit, la fillette, son père et quelques irréductibles de la communauté se réveillent au milieu des ruines de leur bidonville, submergé par les eaux… Ce grand changement est le point de départ de nouvelles aventures pour la petite : accompagner son père jusqu’à la mort, apprendre la survie, retrouver sa mère, mystérieusement disparue. Les Bêtes du Sud Sauvage a l’allure d’un conte initiatique. Benh Zeitlin s’empare de cette forme pour habilement estomper les limites entre le réel et l’imaginaire. C’est la grande force du film, de mêler un réalisme forcené avec les rêves et les peurs de la petite, figurées par de monstrueux et gigantesques aurochs, qui tout au long du film, se rapprochent dangereusement de la communauté. Mais la vie réelle est elle-même plus étrange encore lorsqu’on y a pour guide un père comme celui d’Hushpppy. Il maugréé, dévore, rit, danse, injurie, se bat contre la tempête à coups de fusil. Dwight Henry est fascinant dans ce rôle et charrie avec lui l’énergie et le dynamisme qui irradient en permanence le film. Zeitlin épouse cette vie perpétuellement mouvante avec sa caméra, toujours à l’épaule, instable et flottante à l’instar des eaux que parcourt la petite famille. Ce que l’on prend au départ pour un tic un peu vain de jeune réalisateur...