Dans son dernier récit, Hubert Haddad imagine un lieu singulier et envoûtant retiré à l’extrémité d’une île japonaise, une auberge des âmes en peine recueillie entre montagnes et Pacifique. Dame Hison, ancienne courtisane, dirige cette pension du bout du monde où gravitent des hôtes permanents et occasionnels, qui trouvent dans cette « province de l’oubli » le charme du secret ou le soulagement du retrait. Parmi eux, Osaki Tanako, jardinier et peintre d’éventails. Retiré de la grande Histoire après le suicide de ses parents au moment de l’armistice, Osaki n’a plus quitté Atora, rivé à l’espace clos du jardin ou de la feuille de soie, emporté dans une « danse permanente entre l’atelier et l’enclos enchanté ». Il a répondu à la perte et aux effondrements de toutes sortes par le développement d’un art précaire et modeste, recourant aux matières les plus fragiles, tentant par les formes les plus ténues d’esquisser une impression de beau ou de vérité. Ainsi a-t-il passé une vie à faire dialoguer estampes, haïkus et perspectives végétales. Pourtant, bien qu’humble parmi les humbles, n’a-t-il pas aussi cru pouvoir se protéger du monde et le maîtriser dans les paradis clos qu’il a forgés ? L’art d’Osaki échappe au néant en s’inscrivant dans une transmission. Le vieux peintre est devenu un maître en se choisissant un disciple, Matabei Reien, lui aussi en quête de disparition dans les brumes d’Atora. Plus tard, après la mort du maître, Matabei transmet à son tour l’œuvre à Xu Hi-han, apprenti cuisinier de la pension. Mais le fil est apparemment coupé lorsque le chaos frappe de plein fouet le jardin protégé : sous la forme du désir d’abord, qui sépare maître et disciple séduits par la même femme, puis sous la forme d’un accident nucléaire qui, en même temps qu’il dévaste toute la...