Le dernier roman de Laurent Gaudé reprend les éléments qui l’ont fait connaître et apprécier : l’exotisme et son goût d’ailleurs, la tragédie et ses funeste oracles, la vie et la mort entre rationalité et superstitions. L’alchimie prend: on se laisse envahir par l’esprit d’Haïti, mais l’auteur perd peu à peu le juste équilibre qu’il avait su trouver. A lire pour les cent cinquante très belles premières pages ! Lucine, jeune femme de Jacmel, quitte sa petite ville de province après la mort de sa plus jeune sœur, maman irresponsable de deux jeunes enfants. Elle est envoyée en mission à Port-au-Prince pour soutirer de l’argent au père des enfants orphelins ; dès son arrivée, elle retrouve l’ambiance de la ville où elle a fait ses études et s’y replonge avec délice. Elle est accueillie à bras ouverts dans le cercle de la maison Fessou, un ancien bordel qui rassemble des amis de tous âges et de tous milieux sociaux. Elle y découvre la douceur de vivre, l’amour et un possible bonheur, jusqu’à ce que la terre tremble, s’ouvre, et laisse place aux ombres. La première moitié du roman est envoûtante. L’auteur donne vie à des personnages très divers, de Lucine, jeune provinciale en quête de liberté, au vieux Tess, propriétaire de Fessou ; des anciens activistes politiques, Prophète Coicou ou Pabava, tous deux torturés, à leur bourreau, Firmin dit Matrak ; de Lily, jeune fille riche et malade, à Ti-Sourire, future infirmière qui habite le quartier pauvre de Jalousie. Tous parcourent la ville, à pied, à moto, en taxi. Ils nous entraînent au marché où de vieilles marchandes gouailleuses s’invectivent en créole ; ils pénètrent dans la gaguère où se déroulent les combats de coqs ; ils poussent le portail de villas luxueuses ou se faufilent dans des ruelles crasseuses et animées....
Le Roi Lear, Shakespeare /Olivier Py
écrit par Elodie Roca
En ce mois de juillet 2015, à Avignon, Olivier Py adapte Le roi Lear, de William Shakespeare et provoque les foudres de la critique : Le monde dénonce une mise en scène misogyne et braillarde, Libération regrette son manque de subtilité… Nous y étions. La pièce dont s’empare Olivier Py pour ouvrir cette 69° édition du festival d’Avignon, est un classique. L’histoire est connue : le roi Lear vieillissant veut abandonner la charge du pouvoir à ses filles dans un partage équitable mais il pose une condition. Le despote mégalomane et aveugle n’attribuera les parts qu’après que ses filles auront tour à tour exprimé la force de leur amour. Les deux aînées, Goneril et Régane, rompues à l’art de la flatterie, s’exécutent avec grandiloquence ; la plus jeune, Cordélia, refuse de se prêter à cette mascarade. Lear la déshérite alors et l’exile de son royaume. Elle s’enfuit sous la protection de France. Le metteur en scène – et directeur du festival – propose une nouvelle traduction, alerte et crue, à l’image de la longue tirade d’insultes prononcée par un Kent déguisé en clochard roumain. Celle-ci reste plutôt fidèle à la verdeur de la langue shakespearienne. Olivier Py multiplie aussi les ajouts, citations mallarméennes, allusions à l’actualité ou chansonnettes populaires adaptées et chantées par le personnage du fou. Ils enrichissent de légèreté et d’humour ce texte d’une rare intensité tragique. Jean-Damien Barbin est d’ailleurs excellent dans son rôle de bouffon sage. Le metteur en scène retrouve ainsi le mélange des registres qu’affectionnait son maître. Pas de quoi susciter la désapprobation unanime de la critique… Py a aussi effectué des coupes importantes, notamment dans les premières tirades de Cordélia. Là encore, les changements opérés ne sont pas scandaleux : la plus jeune fille du roi Lear, plutôt que d’avouer la...
Amy, Asif Kapadia
écrit par Sylvain Loscos
Asif Kapadia a voulu faire « un film honnête et respectueux envers Amy ». Il a fait mieux. Présenté à Cannes hors compétition, le film retrace la vie d’Amy Winehouse, de son adolescence dans la banlieue nord de Londres à sa mort le 21 Juillet 2011. Le titre original « The girl behind the name » définit clairement les intentions du réalisateur : raconter la jeune fille qui se cache derrière l’icône. Il en résulte un voyage bouleversant au cœur d’une existence hors norme. Superbe. Dotée d’un talent unique au sein de sa génération, Amy Winehouse capte immédiatement l’attention du monde entier. Authentique artiste jazz, elle sublime ses failles personnelles grâce à ses dons de composition et d’interprétation. Cependant, l’équilibre est fragile : l’attention permanente des médias et une vie personnelle très tourmentée la conduisent aux pires excès. Elle accède bientôt au « club des 27 » en rejoignant toutes ces figures de la musique mortes à 27 ans, Jimi Hendrix, Janis Joplin ou encore Jim Morrison. Le documentaire d’Asif Kapadia est d’une efficacité redoutable : à chaque instant, le spectateur se tient sur un fil entre émotion et distance. Les premières images du film pouvaient laisser penser que le réalisateur allait céder à la facilité : des vidéos amateurs nous projettent dans la maison, la chambre de l’adolescence, elles nous invitent aux anniversaires et aux réunions de famille. Ces instants volés avec une petite caméra grand public du milieu des années 90 pourraient être les nôtres, l’identification est aisée. Pour autant, le réalisateur ne sombre jamais dans le pathos. Le film est rythmé par de nombreux témoignages des proches d’Amy Winehouse, la plupart ont été enregistrés dans le cadre de la préparation du documentaire, et donc, après le décès de la chanteuse. Même si les voix sont lourdes, elles ne sont jamais larmoyantes. Les...