Malentendus – L’enfant inexact, E. Massé...

Le metteur en scène Eric Massé offre une très belle adaptation théâtrale du roman Malentendus de Bertrand Leclair, qui retrace la révolte familiale d’un jeune homme sourd dans les années 1980. Le spectacle, bilingue (Langue des Signes Française / Français), prolonge la pièce Héritages, du même auteur, et s’inscrit dans le cycle de créations et performances UltraSenSibles, parcours autour du handicap et de la sensorialité. Le rideau se lève sur les retrouvailles d’une fratrie dans la maison bourgeoise de l’enfance, pour régler des questions de succession. La mère vient de mourir. Triste occasion de se réunir, depuis plus de vingt ans que le cadet, Julien, est en rupture de ban. Il n’est même pas venu enterrer son père, il y a longtemps ; n’a pas offert à sa mère l’ultime réconfort de le revoir. Joie des retrouvailles pour la sœur, rancœur palpable du frère aîné, crispation de Julien. L’équation est compliquée par la présence d’une inconnue : une amie interprète, imposée par Julien. Pourquoi ? Parce que Julien est sourd. Oui, depuis sa naissance… mais autrefois on communiquait bien directement, face à face, par la lecture sur les lèvres et l’articulation, non ? Alors pourquoi ramener une intruse, dans un moment pareil, pour traduire les échanges, comme si on n’était plus capables de se parler, hein ? L’interprète s’interpose pour mieux suivre, corps étranger dans cet organisme familial disloqué, et traduit les cris des questions, les signes nerveux des réponses, révélateur des « malentendus » de cette pièce qui s’annonce d’emblée comme une tragédie du langage à la Ionesco. La langue est en effet au cœur de cette pièce bilingue, qui retrace à travers le parcours fictif de Julien Laporte l’histoire violente et méconnue de la Langue des Signes Française. Comme le roman qu’il adapte à la scène, Eric Massé assume...

Rien, Emmanuel Venet

« L’énigme d’une vie ratée » : voici la formule qu’utilisait Emmanuel Venet, psychiatre lyonnais, pour évoquer le destin de Gaston Ferdière, poète méconnu et médecin réprouvé d’Antonin Artaud qui faisait l’objet de son précédent opuscule (Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud, 2006). C’est le portrait d’un autre anti-héros, fictif cette fois, que propose Rien, premier vrai roman de Venet : ce portrait, c’est celui de Jean-Germain Gaucher, compositeur de troisième ordre à la Belle Epoque, qui a fini ruiné, alcoolique et écrasé par son demi-queue Pleyel dans sa cage d’escalier. Ou plutôt, ce sont deux existences ratées qui se superposent dans le livre : la vie de Gaucher se déroule en effet à la faveur d’un monologue intérieur du narrateur, qui lui a consacré la totalité de ses recherches en musicologie et à qui il a fini par s’identifier au point d' »hypothéquer son identité ». Comme le compositeur à qui il a consacré sa vie, l’universitaire n’a pas eu de carrière prestigieuse – et pour cause. Ce glissement entre les deux personnages se fait dès les premières pages : en effet, si le narrateur a emmené sa compagne Agnès à l’hôtel Negresco à Nice, c’est moins pour célébrer les 20 ans de leur rencontre dans une tentative de raviver la flamme que pour suivre inexorablement la trace de Gaucher, qui y avait séjourné avec sa maîtresse. Ce début de roman est ainsi habilement programmatique : en avouant au lecteur les raisons de ce faux voyage en amoureux, qui n’est en fait qu’un prétexte à son pélerinage personnel,  le narrateur met d’emblée en avant le thème essentiel de la désillusion amoureuse. Venet lève le voile sur la « fiction de l’amour », qu’entament les petites et les grandes trahisons, l’érosion du temps et l’enlisement de la vie conjugale. Le narrateur, qui...