Bien sûr, il y a ce roman dont personne, même six mois plus tard, n’aura oublié combien il a défrayé la chronique. Bien sûr, il y a la personnalité malicieusement provocatrice de Michel Houellebecq. Mais il y aura eu aussi, avant que l’auteur ne mette prématurément un terme à la campagne de promotion du livre, […]
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]]>Bien sûr, il y a ce roman dont personne, même six mois plus tard, n’aura oublié combien il a défrayé la chronique. Bien sûr, il y a la personnalité malicieusement provocatrice de Michel Houellebecq. Mais il y aura eu aussi, avant que l’auteur ne mette prématurément un terme à la campagne de promotion du livre, une série d’interviews dans les grands médias particulièrement intéressantes, captivantes même, où s’affrontent une lecture journalistique de Soumission au premier degré et le relativisme inébranlable de Houellebecq ; son art d’écrire en somme, que ce dernier roman illustre brillamment.
Avant d’aller plus loin, résumons l’oeuvre : le narrateur, professeur d’université et spécialiste de Huysmans, mène une vie quelque peu monotone et triste, animée seulement de la présence de Myriam, une étudiante avec laquelle il entretient une relation instable. Autour de lui, le monde politique bouge. La France de 2017 a réélu François Hollande et en 2022, au moment où se déroule le récit, le pays est dans une phase de bouleversements : les habituelles formations de gouvernement sont malmenées par le Front National et par le parti musulman de Mohammed Ben Abbes, un très habile politique, doté d’une vision très forte pour la France. Ce dernier est finalement élu président et la République laïque prend fin.
Ce qui provoque le trouble à la lecture de Soumission, ce n’est pas cette histoire en tant que telle. Non, c’est l’incroyable flottement du sens, rendu possible par le regard distancié, relativiste en diable du protagoniste. On peut s’agacer parfois des effets stylistiques d’un auteur devenu un as de l’écriture détachée, alliant un style soutenu à un trivial poisseux. Mais on ne peut être qu’admiratif du pouvoir de fascination qu’exerce un texte dont on ne sait d’où il parle. Tout passe par le regard franchement myope du narrateur, un type bizarre, revenu de tout mais en quête d’un absolu, comme Durtal dans les romans de Huysmans. Toutefois, à la différence du personnage de Huysmans, le narrateur rate même sa conversion au catholicisme. Il reste à mi-chemin de tout idéal et patauge dans l’ennui.
A travers son regard, les soubresauts d’une république agonisante sont flous, éloignés, étouffés. Ainsi durant cette balade au centre de Paris où gronde à distance la rumeur d’affrontements dont on ne sait ni qui les a déclenchés, ni pourquoi. Or, de ce trouble perpétuel, les journalistes qui ont interviewé Houellebecq ne savent que faire. Il faut dire qu’ils ont face à eux un mauvais client. A la question de la responsabilité du romancier, Houellebecq se contente d’énoncer une tautologie dont certains feraient bien de se souvenir : « la fiction, c’est la fiction ». Quant aux opinions politiques de Houellebecq, écoutez plutôt :
Patrick Cohen : « vous n’avez pas de point de vue ? »
Houllebecq : « Non, pas trop ».
En cela, Michel Houellebecq ressemble terriblement à son personnage qui s’apprête à la fin du roman à se convertir à l’Islam : il le fait moins par conviction profonde que par une forme de lente acceptation du monde comme il va. Par une soumission douce, qui s’épanouit sur le terreau d’une existence pauvre, sans grande saveur.
En ce point, la petite histoire individuelle rejoint la grande vie politique, elle aussi décrite, notamment dans la première partie, comme minable et dont tout sens s’est évanoui. Il n’est qu’à voir comment Houellebecq enfonce la plupart des figures politiques avec un sarcasme réjouissant (Bayrou, Wauquiez, Hollande…). Rien n’est à sauver. La grande réussite de Soumission tient à sa cohérence interne, à sa vraisemblance absolue, non pas sur la question de l’islam en soi, mais en ce qu’il décrit de façon tout à fait plausible le délitement sourd, presque sans douleur, d’un système politique moribond.
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]]>Inspiré de l’autobiographie du tireur d’élite américain, Américan Sniper nous conte les allers-retours de Chris Kyle entre le champ de bataille irakien et son foyer familial. Le dernier Eastwood, réglé comme du papier à musique, est éminemment ambigu. Il en émane toutefois une tristesse sourde, à mettre au crédit de la très belle performance de […]
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]]>Inspiré de l’autobiographie du tireur d’élite américain, Américan Sniper nous conte les allers-retours de Chris Kyle entre le champ de bataille irakien et son foyer familial. Le dernier Eastwood, réglé comme du papier à musique, est éminemment ambigu. Il en émane toutefois une tristesse sourde, à mettre au crédit de la très belle performance de Bradley Cooper.
Dans le bourbier irakien de 2003, les Marines ont à leur côté des hommes comme Chris Kyle, des tireurs d’élite chargés d’assurer la protection de ceux qui risquent leur vie en première ligne. Chris Kyle, sniper chez les Seals, ne doute pas une seconde de sa mission ; dès l’enfance, son père lui a appris à se comporter comme un gardien des siens et de son peuple. Il a si bien retenu la leçon qu’il est devenu le sniper le plus meurtrier de l’histoire américaine. Chris Kyle est un homme hors norme, une légende pour les siens, « Shaytan », Satan, pour ses ennemis. Dans son impeccable interprétation du héros made in USA, Bradley Cooper a considérablement forci au point que, à côté de Kyle, tous semblent petits et fragiles. Le sniper est une bête, une montagne de muscles peu loquace et en même temps, le plus précis des tueurs.
Le dernier film de Clint Eastwood raconte cette légende dans un découpage scénaristique on ne peut plus classique puisqu’après quelques scènes évoquant la jeunesse de Kyle, le film raconte alternativement ses missions en Irak et ses retours au Texas auprès de sa femme Taya et de leurs enfants. Et c’est à peu près tout. A l’image de son protagoniste, American Sniper est étonnamment peu disert et ne propose pas d’héroïque retournement de situation ; malgré le suspense qui sous-tend les scènes de guérillas urbaines, le film suit son cours comme Kyle suit sa vocation de gardien, taiseux et déterminé.
Bradley Cooper campe un type simple et bon, assuré en tout cas de faire le bien : Kyle ne baisse jamais la garde et conserve une foi absolue en la légitimité de sa mission. Il est un roc alors qu’autour de lui, amis, femme et frère faiblissent, tremblent, critiquent le conflit irakien. Eastwood laisse certes apparaître çà et là des failles dans les certitudes et la solidité morale de son héros. Mais jamais le réalisateur ne sombre dans une psychologisation attendue. Dans le cahier des charges du film de guerre américain, le spectateur guette, quand vient le moment du retour au pays, l’épisode post-traumatique, la souffrance psychique. Eastwood ne balaye pas ces enjeux, mais les évoque en sourdine. A la fin d’American Sniper, Kyle rencontre bien un psy, mais loin de s’engager dans une cure réparatrice, il choisit d’aider les autres blessés, de les accompagner dans leur rééducation : jamais victime, toujours héros.
On a de fait droit à tous les poncifs du genre : l’ami qui meurt des suites d’une bataille, le frère engagé qui rejette la guerre, sa femme qui l’implore de rentrer. Tout cela fait bien vaciller quelque peu le géant texan, mais jamais celui-ci ne remet en cause ouvertement le conflit, jamais il ne fait part des images qui le hantent. La conscience agitée de Kyle est enfouie dans les plis de ses muscles, derrière ses lunettes noires. Là réside le génie d’Eastwood, qui ne fait pas de son protagoniste le dépositaire d’un quelconque propos sur la guerre. Chris Kyle est au-delà ou en deçà de tout point de vue, il résiste, par son mutisme et sa conviction chevillée au corps, à toute lecture simpliste. Dans un sens comme dans un autre d’ailleurs.
American Sniper est littéralement discutable. Au point qu’aux US, il a fait resurgir le virulent débat entre pros et anti-guerre. Quant à la critique, elle se divise entre ceux qui ne voient dans le film qu’une ridicule hagiographie patriotique, et ceux qui prétendent y lire un pamphlet pacifiste. Tout cela n’est ni vrai ni faux. C’est vrai le film est lourdement patriotique si l’on en croit le générique final durant lequel le réalisateur insère les véritables images de l’enterrement de Kyle, ovationné par une foule reconnaissante. Mais cette lecture est largement nuancée si l’on tient compte du fait qu’Eastwood invente de toute pièce le personnage du tireur syrien, qui ne figure pas dans l’autobiographie de Chris Kyle. Or, lui aussi a femme et enfant, il est beau et il a pour lui d’être un ancien champion olympique. Bref, à l’aune de ce personnage, la guerre est incontestablement absurde et pousse à faire s’entretuer des pères de famille, pire, des semblables.
La maîtrise du réalisateur et notamment sa science de l’espace lorsqu’il filme la guerre en milieu urbain sont au service d’une œuvre qui n’a pas de propos distinct. A l’instar de l’ultime scène de combat qu’une tempête de sable rend visuellement incompréhensible, American Sniper brouille les pistes, voile, au spectateur désorienté, tout sens univoque. Eastwood remet entre nos mains le film et à nous de nous débrouiller avec cette guerre insensée et cet homme secret, terriblement émouvant dans ses silences.
Date de sortie : 18 février 2015
Réalisé par : Clint Eastwood
Avec : Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes…
Durée : 2h12
Pays de production : USA
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]]>Dans les interviews qu’il a données à la presse, Damien Chazelle, le réalisateur de Whiplash aime à rappeler qu’il a été, comme Andrew son protagoniste, un étudiant en batterie jazz. Est-ce suffisant pour écrire un bon film sur cette musique ? A l’évidence non, car malgré une maîtrise certaine de la mise en scène et de […]
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]]>Dans les interviews qu’il a données à la presse, Damien Chazelle, le réalisateur de Whiplash aime à rappeler qu’il a été, comme Andrew son protagoniste, un étudiant en batterie jazz. Est-ce suffisant pour écrire un bon film sur cette musique ? A l’évidence non, car malgré une maîtrise certaine de la mise en scène et de la tension dramatique, Chazelle réalise une œuvre assez pauvre dont le propos laisse pour le moins dubitatif…
Andrew Neiman est un jeune homme qui sait ce qu’il veut. Admis à la prestigieuse école Shaffer, il n’a qu’un projet, simple et ambitieux, devenir l’un des tout meilleurs ; au point d’ailleurs de se délester des encombrants que constituent sa copine, sa famille… On n’ose pas dire ses amis, il n’en a pas. Prêt à tout pour réussir, il travaille des heures, seul, sur sa batterie, dans un box de répétition décoré de photos de ses idoles, dont Buddy Rich. Lorsque le réputé, le redouté Terence Fletcher l’admet dans son big band, il s’approche un peu plus de son rêve. Mais le maître est aussi un cruel pédagogue, usant des stratégies les plus retorses pour pousser ses élèves toujours plus loin. Dès leur seconde rencontre, il n’hésite pas à profiter des confidences que lui fait son nouveau poulain pour l’humilier en public. Très vite, leur relation musicale, qui constitue le cœur du film, tourne à l’affrontement.
Damien Chazelle a confirmé dans la presse que Full Metal Jacket était une influence importante pour son film. Et en effet, on ne peut pas ne pas faire le lien avec la première partie de l’œuvre de Kubrick où l’aboyant sergent instructeur Hartman engueule et humilie les nouvelles recrues. Le problème avec Whiplash, c’est qu’il n’est fondé que sur ce procédé narratif. Les scènes de répétition musicales se succèdent et se ressemblent. A chaque fois, le spectateur attend, tendu, la nouvelle vacherie que va envoyer Fletcher à Andrew. Il faut reconnaître que J.K. Simmons est un choix plus que judicieux pour incarner le professeur pervers. Les traits de son visage, d’une plasticité remarquable, souvent filmés en gros plan, passent en un clin d’oeil de la gentillesse simulée à la colère volcanique. Ces moments de bravoure saisis comme des scènes d’action éclipsent du même coup les autres séquences du film.
Dès lors Whiplash devient franchement répétitif. Evidemment, on rit jaune des bons mots de Fletcher, mais on se demande à quoi rime cette profusion de violence et de perversité, enrobée dans une lumière dorée, étrangement douce et feutrée. Et on en oublie la musique. Alors peut-être, comme on peut le lire çà et là dans la presse, Whiplash est-il l’illustration de la dialectique du maître et de l’esclave sur fond de musique. Mais le cœur de l’œuvre, c’est bien le jazz, sa dimension « physique » pour reprendre les mots de Chazelle lui-même. Or, cette dimension se réduit à une violence permanente, une violence des corps que le réalisateur nous montre avec complaisance. Les doigts saignent, les oreilles souffrent, les bras se tendent. Rien de plus, pas de plaisir, pas de jubilation musicale. Du sport en quelque sorte. A tel point que le film aurait tout aussi bien fonctionné si en lieu et place de musiciens, Chazelle avait choisi de filmer des rugbymen ou des boxeurs. Qu’on se rassure cependant, le jazz ne se réduit pas à cette torture physique que décrit Whiplash.
Comme le pointe avec justesse Richard Brody dans sa critique du New Yorker, on ne voit jamais Andrew jouer pour son plaisir en groupe, parler musique avec des amis et s’étriper sur la meilleure version de tel standard. C’est symptomatique d’un film qui vide la musique (et le jazz plus qu’une autre) de sa substance vitale. Les membres du « Studio Band » sont réduits au mieux à des chiffes molles qui n’osent pas se rebeller contre les pratiques intolérables de leur enseignant, au pire, à des concurrents vicelards et dédaigneux, prêts à tout pour devenir le batteur attitré du big band.
On rétorquera que là n’est pas le propos de Chazelle. Ce à quoi je répondrais qu’on est de toute façon en droit de s’interroger sur la morale qui traverse Whiplash. Devenir « one of the greatest » n’implique au fond que deux postures : souffrir et écraser toute concurrence. La musique, c’est comme tout le reste en somme, elle se réduit à la survie du plus apte. On aurait apprécié que le jazz, que Chazelle tient à l’évidence en estime, reste à l’écart de cette maxime douteuse.
Date de sortie : 24 décembre 2014
Réalisé par : Damien Chazelle
Avec : Miles Teller, J.K. Simmons, Paul Reiser
Durée : 1h47
Pays de production : USA
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]]>Dans une odyssée galactique incroyablement spectaculaire, Christopher Nolan a l’ambition démesurée de nous faire éprouver la relativité et de livrer les secrets enfouis au coeur de l’Univers. Malgré ses grosses ficelles, mission accomplie pour Interstellar… La terre se meurt des hommes qui l’ont trop exploitée. Elle se rebelle, oblige ses hôtes à vivre d’une agriculture […]
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]]>Dans une odyssée galactique incroyablement spectaculaire, Christopher Nolan a l’ambition démesurée de nous faire éprouver la relativité et de livrer les secrets enfouis au coeur de l’Univers. Malgré ses grosses ficelles, mission accomplie pour Interstellar…
La terre se meurt des hommes qui l’ont trop exploitée. Elle se rebelle, oblige ses hôtes à vivre d’une agriculture limitée et les soumet aux tempêtes de sable qui ravagent les foyers et les poumons. Heureusement, la Nasa a un projet secret qui vise à envoyer notre espèce sur une planète habitable. Cooper, le chuchotant Matthew McConaughey, sera le pilote de cette mission ; il est le meilleur que la Nasa ait compté dans ses rangs, avant qu’il ne devienne, comme la plupart des hommes en âge de travailler la terre, un fermier doublé d’un père de famille. Mais Cooper appartient à la race des pionniers, des explorateurs, les yeux toujours rivés sur le ciel. Bref, c’est un Américain. Et il doit sauver le monde par un voyage interstellaire qui le mènera bien loin de chez lui et de ses enfants… Voyage durant lequel le spectateur découvre que l’amour transcende le temps et l’espace, qu’il fait de nous ce que nous sommes. Comme la singularité cachée au cœur du trou noir, l’amour est le secret humain que veut nous dévoiler Christopher Nolan.
Bon. Il y a deux façons d’apprécier la dernière livraison de Christopher Nolan. On peut légitimement s’exaspérer des grosses ficelles avec lesquelles le film est construit : une morale de café du commerce (qu’il nous avait déjà peu ou prou infligée dans Inception), des contrastes sonores exubérants, un héros qui donne tout pour sa famille et son monde (un Américain donc), des séquences épiques, d’un pompier assumé. Sans compter une dernière demi-heure ésotérico-mystique qui a le malheur de vouloir résoudre le récit et le refermer après qu’il s’est délité pour notre plus grand plaisir dans les confins spatio-temporels.
Il faut cependant admettre qu’avec une grammaire cinématographique grossière, Nolan actionne les leviers d’une gigantesque machine à rêves. Interstellar relève d’une ambition démesurée, à l’image du voyage qu’il donne à voir. Comme le vaisseau de Cooper, le film orbite aux limites du trou noir artistique. Il évolue sur une étroite ligne de crête et risque à chaque instant de verser dans la grossièreté visuelle et le pathos écoeurant. Or, en choisissant d’assumer à chaque instant le spectaculaire en puissance dans son scénario, Nolan fait son cinéma comme on réalise un rêve de gosse. Avec Interstellar, on voyage à l’autre bout de l’Univers, on traverse des « wormholes », on explore le cœur inconnu des trous noirs. Les mondes que le film nous fait découvrir sont à son image, simples, élémentaires, mais ils recèlent un pouvoir d’imaginaire que Nolan exploite à fond.. L’espace est formidable et colossal ? La musique se doit de l’être aussi. Alors Hans Zimmer sort les orgues, jouées fortissimo. On voyage dans l’espace et le temps là ! Pas question de chipoter sur l’importance et la radicalité des moyens mis en oeuvre.
Le temps d’ailleurs, Nolan veut nous en faire ressentir la relativité et y réussit brillamment. Une fois parti, Cooper n’a qu’une hâte, revoir ses enfants qui vieillissent inexorablement plus vite que lui. Lorsqu’il revient d’une mission de quelques heures sur l’un des mondes potentiellement habitables, où le temps s’écoule très lentement, 23 années ont passé et l’astronaute visionne deux décennies de messages envoyés par sa petite Murph et son frère Tom. L’effet mélodramatique est redoutable, MacConaughey bouleversant.
Dans Interstellar, tout est affaire de synchronisation. Alors que le temps s’écoule bien différemment sur terre et à l’autre bout de l’univers, tout l’enjeu est d’être raccord. Deux vaisseaux qui doivent tournoyer à la même vitesse, au bord d’un gargantuesque trou noir ; Cooper et sa fille qui, malgré l’infinie distance entre eux, cherchent à se retrouver (traduit dans un simpliste, mais percutant montage parallèle). De même, au spectateur de se synchroniser avec ce spectacle délirant et enfantin. Nolan fait du cinéma un usage élémentaire : un écran immense et du gros son suffisent pour nous immerger dans cette œuvre jouissive, pharaonique, toujours au bord de l’implosion.
Date de sortie : 5 novembre 2014
Réalisé par : Christopher Nolan
Avec : Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Michael Caine
Durée : 2h49
Pays de production : Etats-Unis
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]]>Bénédicte Ombredanne est une femme meurtrie, harcelée par un époux pervers et manipulateur. De ce qui ressemble à un tragique fait divers, Eric Reinhardt tire un beau roman, entaché toutefois de maladresses stylistiques et de choix narratifs peu convaincants… Tout sourit cette année à Eric Reinhardt, puisque son dernier roman figure déjà dans les listes […]
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]]>Bénédicte Ombredanne est une femme meurtrie, harcelée par un époux pervers et manipulateur. De ce qui ressemble à un tragique fait divers, Eric Reinhardt tire un beau roman, entaché toutefois de maladresses stylistiques et de choix narratifs peu convaincants…
Tout sourit cette année à Eric Reinhardt, puisque son dernier roman figure déjà dans les listes de deux prix littéraires majeurs, le Renaudot et le Goncourt. L’Amour et les forêts est en outre largement plébiscité par la critique et les lecteurs : à l’heure où j’écris, le romancier est dans le top dix des meilleures ventes. L’auteur de Cendrillon n’est pas là par hasard et a patiemment construit son œuvre littéraire dès les années 90, avec pour fil rouge les rapports concrets de l’homme avec un capitalisme aliénant. Le Système Victoria, paru en 2011, constituait en quelque sorte le point d’orgue diablement efficace de ce travail.
Avec L’Amour et les forêts, Eric Reinhardt déplace quelque peu sa perspective et aborde le harcèlement dont sont victimes les femmes au sein de leur vie conjugale. S’appuyant sur des témoignages reçus, il narre la vie tragique de Bénédicte Ombredanne, professeur de français discrète, victime d’un époux manipulateur et sadique qu’elle ne sait pas quitter. Dans cette existence violente, seule son aventure, fugace et bouleversante, avec un quasi inconnu rencontré sur Meetic, représente une consolation et lui permet de toucher du doigt le bonheur amoureux.
Reinhardt possède à n’en pas douter le sens du romanesque. Il fabrique une mécanique redoutable dans laquelle le lecteur est inexorablement entraîné. Pour cela, certes, il faut passer les premières pages, peu inspirées et qui nous laissent à distance. Mais lorsque l’on entre enfin dans le foyer de Bénédicte Ombredanne, on est saisi par le sentiment du tragique devant ce personnage broyé par la présence et le comportement odieux d’un mari faible, lâche et pervers. Son pouvoir, Jean-François (le mari) le tire des mots, ces mots dont il inonde Bénédicte jusqu’à la noyade, alternant les supplications, les injures, les menaces, la haine dans une logorrhée dont le lecteur subit aussi la violence.
Alors, comme dans tout bon roman, on s’accroche à l’espoir qu’un jour Bénédicte mette fin à cette relation par un bon mot, un coup de folie, un départ courageux et, comme dans tout bon roman, ce moment n’arrive jamais. Car le mal est profond, ancien, comme on l’apprend plus tard lorsque le narrateur, un certain Eric Reinhardt, recueille le témoignage de la sœur de Bénédicte. L’habileté du romancier réside aussi dans ce dévoilement progressif : le récit n’est pas chronologique et la vie, l’intimité de Bénédicte, les raisons de sa déchéance nous apparaissent par touches successives. Rien n’est simple dans cette horrible relation conjugale et l’explicitation de cette tragédie méritait bien un roman.
En revanche, était-il indispensable que Reinhardt s’immisce dans cette histoire en y interprétant son propre rôle ? Dès les premières pages, Eric et Bénédicte se rencontrent dans un café parisien, après quelques lettres échangées. Lui la complimente pour son écriture raffinée ; elle, en retour, chante les louanges de Cendrillon et exprime combien ce roman a changé sa vision du monde. Une discussion littéraire entre gens de bonne compagnie… Où le lecteur trouve difficilement sa place. On a bien du mal à savoir si cette ingérence du narrateur/auteur témoigne – de façon poignante si tel est le cas – d’une impuissance de la littérature à changer vraiment la vie des lecteurs (au vu de la fin tragique de Bénédicte) ou s’il faut y voir chez Reinhardt une forme élaborée de narcissisme. Je ne peux m’empêcher de trouver cet incipit bien peu nécessaire à l’économie du texte. Tout comme d’ailleurs sont bien peu nécessaires les images, métaphores et comparaisons avec lesquelles Reinhardt alourdit quelquefois son texte, probablement pour le tapisser d’un vernis de « grande littérature ». Inutile : la beauté terrible de cette histoire suffisait amplement.
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]]>Vlad Eisinger est journaliste au Wall Street Tribune et réalise une série d’articles autour d’un nouveau produit financier dont seule l’Amérique a le secret. Il étudie les rouages du life settlement, qui consiste à racheter les assurances-vie de particuliers en comptant sur leur décès prochain pour rafler la mise. Ce procédé est l’occasion de dérives […]
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]]>Vlad Eisinger est journaliste au Wall Street Tribune et réalise une série d’articles autour d’un nouveau produit financier dont seule l’Amérique a le secret. Il étudie les rouages du life settlement, qui consiste à racheter les assurances-vie de particuliers en comptant sur leur décès prochain pour rafler la mise. Ce procédé est l’occasion de dérives moralement suspectes. Son terrain d’enquête est la petite ville de Destin Terrace, une bourgade de Floride où se croisent les professionnels de l’assurance, du life settlement et de simples retraités. Dan Siver, le deuxième narrateur de ce Roman Américain vit seul au sein de cette petite société, qu’il observe avec distance. Loin des combines financières, lui rêve d’écrire le prochain grand roman américain. Les personnages de Destin Terrace et la littérature sont d’ailleurs les deux sujets privilégiés des mails que s’échangent régulièrement Siver et Eisinger, bons amis depuis l’université.
Le dernier roman d’Antoine Bello fait ainsi se succéder les articles de journaux, qui ouvrent chaque chapitre, les mails que s’envoient les deux compères et le récit de Dan Siver sur la vie à Destin Terrace. Son œuvre n’a volontairement rien d’un grand roman américain : on perçoit rapidement que l’enjeu pour Bello est de dépeindre, à travers le microcosme de Floride, l’individualisme et le manque d’aspirations d’une partie de la société américaine, tout affairée à courir après les dollars et à monétiser sa propre mort. La double narration, elle, permet de prendre la mesure de cette « american way of life », alternant la description macroéconomique du life settlement et l’observation de terrain que constitue le journal de Dan Siver. Mais en dépit de sa construction élaborée, a priori séduisante, le roman est une vraie déception.
Roman Amércain souffre de deux défauts majeurs. Premièrement, son intérêt repose presque exclusivement sur les procédés narratifs : multiplier les genres littéraires (articles wikipedia, coupures de presse, mails, extraits d’un roman hypothétique, etc.) ne suffit pas à maintenir l’attention du lecteur qui devient vite flottante, voire discontinue. La société de Destin Terrace, alors même qu’elle recèle des personnages hauts en couleurs, est décrite du point de vue de Siver, un narrateur indigent et dont le point de vue n’est jamais saisissant : sa neutralité, sa mesure dans la relation de ce qu’il voit lui retire tout pouvoir d’évocation et nous laisse à distance de ce petit monde. Quant à ses dilemmes d’écrivain et ses petites falsifications sur l’article Wikipedia d’Hermann Broch, ils sont anecdotiques et ne prêtent même plus à sourire après deux chapitres.
En outre, se saisir d’un sujet aussi rebattu dernièrement que les conséquences folles d’un système financier dérégulé nécessitait une originalité adossée à un véritable propos. Avec justesse, Bello déleste de ses oripeaux romanesques une vision de l’Amérique en réalité matérialiste et cupide, mais il se prive du même coup du souffle nécessaire à la vie d’un grand roman, comme ceux que savent encore écrire certains auteurs américains… Quant au petit mystère narratif qui court tout au long du roman, dont nous ne livrerons pas la clef, il est à l’image de toute l’œuvre, une astuce habile, mais dépourvue de portée profonde.
Antoine Bello, Roman américain, Collection Blanche, Gallimard, 2014, 288 pages.
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]]>Il existe chez David Cronenberg une fascination pour la monstruosité qui court à travers son œuvre. De La Mouche à son dernier Maps to the Stars en passant par Faux-semblants, le Canadien filme régulièrement des monstres en actes. Certes, tous n’ont pas l’hideux visage de Jeff Goldblum dans le film mythique de 1986, mais tous […]
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]]>Il existe chez David Cronenberg une fascination pour la monstruosité qui court à travers son œuvre. De La Mouche à son dernier Maps to the Stars en passant par Faux-semblants, le Canadien filme régulièrement des monstres en actes. Certes, tous n’ont pas l’hideux visage de Jeff Goldblum dans le film mythique de 1986, mais tous ont abandonné, au profit d’un rêve fou et (auto)destructeur, une part de leur humanité.
Dans son nouveau long métrage, il n’y a presque personne à sauver. En tout cas pas la jeune Agatha dont on suit dès l’entame du film la venue à Hollywood. Une partie de son visage et de son corps est recouverte de brulûres dont on soupçonne vite qu’elles sont les stigmates d’un horrible secret. A la recherche d’un job, elle est engagée comme assistante (« slave » dit-on là-bas) par l’actrice Havana Segrand, brillamment interprété par Julianne Moore ; laquelle est presque défigurée tant elle s’efforce de conserver une apparente fraîcheur et une jeunesse qu’elle a définitivement perdues. Enfin, on ne sauvera pas la famille Weiss, et particulièrement le fils Benjie, jeune star infecte d’une franchise destinée au jeune public. Tous vont se croiser dans un ballet ridicule et épouvantable.
Car chaque scène est un jeu de massacre. Une occasion de nous rappeler que derrière l’apparent glamour tout sourire, se cachent des animaux, prêts à tout, à emprunter les voies les plus tortueuses pour atteindre les étoiles. Ainsi, Stafford Weiss, interprété par l’excellent et répugnant John Cusak, joue les gourous du développement personnel, toujours prêt à débusquer chez ses clientes l’enfant qui sommeille en elles. En réalité, il est mû par une violence insondable, elle-même nourrie par un sordide secret de famille que le film nous révèlera. Là encore, le soin apporté à lui composer un visage à la fois vieux et artificiellement jeune fonctionne parfaitement. La nausée n’est jamais bien loin lorsque Cronenberg filme de près ces monstres en puissance.
La réalisation absolument maîtrisée du Canadien, soutenue par une lumière et une image léchées, joue à plein son rôle ambigu. Miroir aux alouettes, elle manifeste l’apparente beauté du monde hollywoodien et révèle en même temps les perversions de ce lieu infiniment dénaturé et corrompu. Il n’est qu’à voir Julianne Moore, assise sur le trône, confier à Agatha une liste de courses, lâchant gaz sur gaz, persuadée de garder dignité et supériorité sur son assistante… Cependant, et malgré cette maestria, on ne peut pas s’empêcher de se dire que la critique acerbe d’Hollywood et de ses acteurs est quelque peu convenue. D’autres auparavant, à leur manière, ont entrepris de déconstruire le rêve hollywoodien (du Player d’Altman au Mulholland Drive de Lynch) et parfois avec plus de finesse.
Non, la véritable réussite du film repose sur la présence permanente des palliatifs (drogues, séances pseudo-psychanalytiques, succédanés de pratiques zen) qui tout à la fois soutiennent les personnages et leur masquent leur inexorable déchéance. Ce propos-là, résolument plus original, ouvre de belles perspectives et autorise Cornenberg à flirter avec le fantastique. Benjie et Savanah notamment sont tourmentés par des visions d’enfants morts ; leur inconscient coupable vient frapper à la porte.
Maps to the stars navigue entre un grotesque dérangeant et un tragique risible. Mais la fin s’avère terrible pour tous ceux qui ont laissé sur la route des rêves une part de leur humaine condition. Dans la Cité des Anges, les monstres sont rois. Jusqu’à la chute inéluctable.
Date de sortie : 21 mai 2014
Réalisé par : David Cronenberg
Avec : Julianne Moore, John Cusack, Robert Pattinson, Mia Wasikowska
Durée : 1h51
Pays de production : Canada, USA, France, Allemagne
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]]>L’Opéra de Lyon a proposé en avril un festival autour des œuvres de Benjamin Britten. Parmi les trois opéras présentés au public, The Turn of Screw, inspiré de la nouvelle d’Henri James, retient l’attention par sa mise en scène ambitieuse et l’atmosphère résolument fantastique qui s’en dégage… Sans convaincre pour autant. Créée pour la première […]
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]]>L’Opéra de Lyon a proposé en avril un festival autour des œuvres de Benjamin Britten. Parmi les trois opéras présentés au public, The Turn of Screw, inspiré de la nouvelle d’Henri James, retient l’attention par sa mise en scène ambitieuse et l’atmosphère résolument fantastique qui s’en dégage… Sans convaincre pour autant. Créée pour la première fois en 1954, cette œuvre assez courte condense de multiples références, le texte d’Henry James bien sûr, mais aussi des comptines d’enfants et la poésie de Yeats ; le tout dans un langage musical aux confins de l’atonalité et de l’harmonie classique. Cette concentration d’éléments concourt à l’élaboration de ce fantastique, au sens que lui donne Tzevan Todorov : une ambiguïté permanente, une hésitation, un trouble dans le réel. Bref, il y avait là pour la metteur en scène Valentina Carrasco un défi de taille à restituer et à soutenir l’équivocité de l’œuvre. Elle semble avoir opté pour une grille de lecture qui, bien qu’opérante, corsète terriblement le propos du compositeur britannique.
Dans le prologue chanté par le ténor Andrew Tortise, on apprend qu’une gouvernante est engagée sur le domaine de Bly pour assurer l’éducation des jeunes Flora et Miles. Une fois sur place, elle se prend d’affection pour eux, mais perçoit un mal diffus à l’intérieur du manoir. Il semble que Flora et Miles soient hantés par les fantômes de Mrs Jessel, l’ancienne gouvernante et de Peter Quint, l’ancien valet, dont l’attitude avec les enfants aurait été pour le moins ambiguë. Le frère et la sœur font eux-mêmes preuve d’une attitude équivoque, entre une innocence propre à leur âge et une méchanceté souterraine. La gouvernante entreprend de sauver les enfants et de convaincre Mrs Grose, la bonne, de la réalité de ces visions spectrales.
Avec un orchestre réduit, la musique de Britten traduit les tourments de Miles et Flora, leur profonde ambivalence, en associant notamment des mélodies enfantines à une trame harmonique plus dissonante. En outre, l’œuvre alterne, parfois au sein d’une même séquence musicale, entre une légèreté et un dramatisme tendu. « The ceremony of innocence is drown » dit le vers de Yeats que cite Britten dans The Turn of Screw, (« on noie les saints élans de l’innocence », trad. Yves Bonnefoy), tel est le cœur de l’œuvre de l’Anglais et tout conspire à cette chute de la candeur enfantine. Valentina Carrasco, elle, tire l’opéra dans un sens résolument psychanalysant. Les exactions présumées de Peter Quint hantent les souvenirs des enfants plus que le fantôme lui-même. Elles génèrent paradoxalement un puissant sentiment de culpabilité chez le frère et la sœur, qui se mue en une agressivité étrange à l’égard de celle qui veut les aider. Lorsqu’ enfin la gouvernante libère la parole de Miles, qui prononce le nom de son bourreau, cet aveu conduit à la mort de l’enfant, détruit par la révélation de l’indicible.
Pour étayer cette lecture, la scène, qui représente pour partie la maison de Bly, se transforme au fil du drame en une immense toile d’araignée, enfermant l’ensemble des protagonistes, contraignant leur liberté d’action et de parole ; ils sont piégés par leurs souvenirs traumatiques. Flora et Miles jouent, tout au long de la représentation, avec une pelote de fil rouge, symbole appuyé des liens du sang qui rattachent les enfants à leur sombre passé. Et lorsque le plateau représentant le manoir se soulève, le spectateur découvre une forêt hantée par Mrs Jenssel, qui sort de terre, tel un zombie, mais pour mieux attirer par son chant de sirène la petite Flora : Jenssel est une mère tour à tour séductrice et vampirisante.
Dans cette interprétation, il ne reste rien de l’hésitation qui court dans l’œuvre : les visions sont-elles partagées ou seule la gouvernante en est-elle la victime ? Qui est le jouet de qui ? Tout ça est un peu évacué au profit d’une lecture plate, à la limite du kitsch avec ces courts clips lourdingues projetés au début des deux actes. L’interprétation est par moments du même acabit : Heather Newhouse qui joue la gouvernante est monotone ; Remo Ragonese, incarnant Miles, tire en revanche son épingle du jeu au détriment de sa sœur… Et d’Andrew Tortise qui compose un Peter Quint agaçant. Mais par-dessus tout, Valentina Carrasco ne semble pas complètement comprendre le fantastique dans son hésitation essentielle et ne l’emploie que pour en tirer un gothique un peu potache, qui pourrait tourner très facilement au ridicule en cherchant trop ouvertement à susciter la frayeur. Or la partition, qu’interprète correctement l’orchestre dirigé par Kazushi Ono, chatoie de bien d’autres couleurs. L’œuvre de Benjamin Britten méritait mieux.
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]]>Ida est la quête d’une identité à reconstruire. Dès les premières scènes, et avec un laconisme dont le film de Pawel Pawlikowski ne se départit jamais, on apprend qu’Anna s’appelle en réalité Ida et qu’elle n’est pas catholique, mais juive. Son noviciat touchant à sa fin, Ida est sommée par la supérieure du couvent de […]
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]]>Ida est la quête d’une identité à reconstruire. Dès les premières scènes, et avec un laconisme dont le film de Pawel Pawlikowski ne se départit jamais, on apprend qu’Anna s’appelle en réalité Ida et qu’elle n’est pas catholique, mais juive. Son noviciat touchant à sa fin, Ida est sommée par la supérieure du couvent de rencontrer sa tante, Wanda, laquelle lui raconte l’histoire de ses parents et les circonstances de leur mort. Ces derniers ont été trahis et assassinés par des paysans polonais qui s’étaient pourtant chargés de les cacher durant la Seconde Guerre mondiale. Commence alors pour les deux femmes l’enquête qui doit les amener à retrouver les corps de leurs proches et à leur donner une sépulture honorable dans un cimetière juif.
Tout oppose Ida et Wanda. La première est taiseuse, discrète, élevée selon les préceptes rigoristes de la communauté religieuse où elle a grandi. Wanda est un pur produit du système soviétique, une juge haut placée, déterminée, séductrice et farouche avec les hommes, qu’elle prend et jette sans vergogne. Une chose cependant les unit, cette béance du passé, cette nécessité, une fois que celle-ci s’est fait jour, de clore le roman des origines, de ressusciter les morts pour mieux les enterrer. Une fois la quête achevée, il semble que chacune d’elles soit enfin en mesure de décider de sa vie et non de la subir.
Pour raconter cette histoire douloureuse, Pawlikowski choisit le noir et blanc et une économie de mots qui, outre le fait qu’ils semblent répondre aux clichés que l’on attribue à la Pologne des années 60 (tristesse, grisaille, sévérité), font par moment basculer le film dans une austérité qui confine à l’ennui. Mais par ailleurs, le noir et blanc permet de très beaux tableaux, comme les plans ouvrant les scènes au couvent. De façon quasi systématique, le réalisateur y filme Ida au premier plan – Ida, sa blancheur sculpturale – et le décor monacal en fond, flou, indistinct, à l’image d’une vie que la novice n’a pas encore choisie, d’une existence « irréalisée ». En outre, le refus de la couleur met singulièrement en avant les yeux d’Ida, ainsi dépourvus d’iris, intégralement noirs, comme deux puits sans fond, comme une conscience dans la nuit, encore abîmée.
La vie pourtant perce çà et là, timidement, dans le film de Pawlikowski. Wanda est une jouisseuse, qui profite et s’égare dans l’alcool et les relations sans lendemain. Lorsqu’Ida la rencontre, surgissent les premiers rires du film, les premières notes de musique aussi, Mozart et sa symphonie « Jupiter » que Wanda fait jouer sur sa platine. Puis vient l’expérience du désir auprès d’un jeune jazzman, saxophoniste en tournée avec lequel Ida connaît l’amour charnel. La décision finale de la jeune fille de prononcer ses vœux, en toute conscience, est rendue possible par cette quête identitaire et cette expérience condensée d’une hypothétique autre vie. Ainsi décrit, le film a toute les qualités d’un beau roman, mais il est limité par son académisme formel, par un souci constant et quelque peu artificiel de tout traiter avec retenue, les situations comme l’émotion, au point que celle-ci peine à poindre chez le spectateur. On ne retient finalement que quelques plans saisissants d’Ida et des deux femmes arpentant la campagne à la recherche des corps de leur famille ; le tout sur fond d’une bande originale qui suscite davantage l’émotion que la réalisation elle-même. C’est déjà ça.
Date de sortie : 12 février 2014
Réalisé par : Pawel Pawlikowski
Avec : Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska, Joanna Kulig
Durée : 1h20
Pays de production : Pologne, Danemark
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]]>Dans une longue interview accordée à François Busnel pour le magazine Lire, Ian McEwan affirmait récemment : « La vraie force d’un roman réside dans sa capacité à représenter le paysage intérieur d’un personnage ». Dans le cas présent, celui de Serena Frome, héroïne et narratrice du dernier roman du Britannique. Contrairement à McEwan dans Operation Sweet Tooth, nous ne […]
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]]>Dans une longue interview accordée à François Busnel pour le magazine Lire, Ian McEwan affirmait récemment : « La vraie force d’un roman réside dans sa capacité à représenter le paysage intérieur d’un personnage ». Dans le cas présent, celui de Serena Frome, héroïne et narratrice du dernier roman du Britannique. Contrairement à McEwan dans Operation Sweet Tooth, nous ne ferons pas durer le suspense : son dernier opus, sans être un pensum intolérable, n’a pas l’étoffe de ces grands romans où l’on quitte à regret les personnages et leurs « paysages intérieurs »… C’est au mieux divertissant, au pire vain.
Pourtant, l’affaire s’annonçait plutôt bien : McEwan dépeint, au travers de la belle Serena, l’Angleterre des 70s’ tiraillée, comme la protagoniste d’ailleurs, entre un conservatisme de bon aloi et une soif de liberté mal dégrossie. La narratrice, jeune anglaise bien sous tout rapport, doucement rebelle et naturellement conformiste, rencontre Tony Canning, un ancien du MI5, les services de renseignement britannique. Celui-ci, à l’issue d’une période idyllique de formation amoureuse et intellectuelle, lui obtient un poste subalterne au sein de l’agence. Après quelques mois de travail de secrétariat, elle se voit confier une véritable mission, Sweet Tooth, dont l’objectif est de favoriser l’émergence et la diffusion d’auteurs favorables à l’idéologie du bloc de l’Ouest. Elle fait ainsi la rencontre de Tom Haley, un écrivain prometteur selon les critères du MI5, dont elle tombe éperdument amoureuse, au point de compromettre sa mission et sa carrière.
Force est de reconnaître que le projet de MacEwan est ambitieux. Naviguant entre roman d’espionnage, roman d’amour et récit d’apprentissage, il brosse le portrait d’un Etat anglais morose, angoissé par son déclin, soucieux de contenir les assauts terroristes de l’IRA et l’invasion des idées marxistes, usant de la force mais aussi d’une forme de soft power qu’illustre l’opération Sweet Tooth. MacEwan ne s’arrête pas là puisque sur ce fond de Guerre Froide, il engage une réflexion autour de la littérature et de son influence sur le réel, sur les écrivains, dont l’art ne serait pas si éloigné de l’espionnage.
On peut tout au plus s’amuser des aventures de la ravissante et naïve Miss Frome, mais McEwan ne nous laisse rien percevoir de son « paysage intérieur ». Parce qu’il pratique une écriture de la transparence (parti-pris qu’il revendique dans l’interview citée plus haut), où tout est trop explicité, le moindre état d’âme, la moindre émotion, il retire tout mystère à ses personnages, simples pantins qu’il manipule avec complaisance. Une fois le livre clos, et malgré la révélation finale, il ne nous reste presque rien à méditer, aucun os à ronger, si ce n’est cette réflexion un brin stérile sur les pouvoirs et le statut de la fiction. Opération Sweet Tooth est le jeu romanesque d’un auteur aguerri et malin, qui a cependant négligé la simple et nécessaire émotion littéraire.
Operation Sweet Tooth, Ian McEwan, Gallimard, 2014, 439 pages.
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