Un pied au paradis, Ron Rash
Le Fleuve de la liberté raconte l’histoire de May, jeune couturière qui s‘émancipe peu à peu, trouve un travail, découvre un nouveau milieu, celui des acteurs du Théâtre flottant. Mais surtout, il crée une atmosphère, celle du fleuve, l’Ohio- au fond n’est-ce pas lui le personnage principal comme le suggère le titre?- et du bateau-théâtre. Au fil de l’eau, il nous entraine entre les deux rives que tout sépare, le Nord abolitionniste et le Sud esclavagiste, dans l’Amérique des années 1830. La découverte de l’asservissement des Noirs se fait peu à peu, pour le lecteur comme pour l’héroïne; la jeune femme est embarquée progressivement, par un enchaînement de circonstances, à faire traverser clandestinement des enfants noirs. Et l’on tremble pour May, personnage attachant dont on craint à tout moment qu’elle soit découverte.
Certes, ce n’est pas le premier roman qui traite de la question de l’esclavage et de l’aide aux fugitifs mais Martha Conway le fait avec nuance et délicatesse, comme indirectement et d’autant plus efficacement. Les attitudes des différents personnages incarnent toute la palette des réactions humaines face à l’injustice : indifférence, laisser-faire, appât du gain, cruauté, engagement militant ou soutien indirect. C’est habile, et non sans charme. Prenant.
Le Fleuve de la liberté, Martha Conway, traduit de l’anglais par Manon Malais, Le Livre de poche, mai 2019, 473 pages.
Le Serpent de l’Essex a tout le charme d’un roman anglais, entre Jane Austen et Conan Doyle, avec un soupçon de Dickens. Amour, suspense, plongée dans la vie du XIX° siècle, des demeures aristocrates aux quartiers ouvriers de Londres en passant par un presbytère de campagne.
Sarah Perry sait décrire avec précision les états d’âme de ses personnages comme les paysages au cours des saisons. Sa langue fluide et poétique nous entraîne dans l’Angleterre de 1893. A travers l’histoire de Cora Seaborne, jeune veuve découvrant sa liberté nouvelle et quittant Londres pour un village de l’Essex, elle évoque la situation de la femme à l’époque victorienne mais aussi les oppositions entre science et religion, les progrès de la médecine, la question du logement ouvrier… Sans jamais rien de pesant dans cet ouvrage d’une facture classique à la narration bien menée. Délicieusement romanesque.
Le Serpent de l’Essex, Sarah Perry, traduit de l’anglais par Christine Laferrière, Le Livre de poche, avril 2019, 564 pages.
Billy et Amy travaillent dur la terre dans leur petite ferme des Appalaches et se désolent de n’avoir pas d’enfant. En face, il y a le voisin, Holland Winchester, jeune célibataire qui vit avec sa vieille mère et qui s’est battu héroïquement en Corée …
A travers une histoire d’adultère qui tourne à la tragédie, racontée successivement et progressivement par cinq voix différentes, Ron Rash ressuscite l’Amérique rurale et patriarcale des années 1950. Une Amérique appelée à disparaitre puisque les eaux du barrage vont recouvrir le village et la vallée et les paysans devenir ouvriers.
Cela commence comme une enquête policière – le shérif découvrira-t-il le corps?- mais cela devient un roman sur les origines. Celles d’Isaac, le fils né d’une relation cachée, et celles de l’Amérique qui garde enfouis dans la terre des tessons de poteries et des pointes de flèches cherokees, des tombes des premiers colons et des cadavres de sorcières.
La maîtrise de la narration et le style au cordeau font d’ Un pied au paradis un excellent thriller, dans la tradition du roman américain.
Un pied au paradis, Ron Rash, traduit de l’américain par Isabelle Reinharez, Folio, mars 2019, 319 pages.