Littérature – Les heures perdues http://www.lesheuresperdues.fr site de critique culturelle Sat, 09 Apr 2016 22:02:29 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=4.4.2 Le grand marin, Catherine Poulain http://www.lesheuresperdues.fr/grand-marin-catherine-poulain/ http://www.lesheuresperdues.fr/grand-marin-catherine-poulain/#respond Sat, 09 Apr 2016 22:02:29 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2422

Catherine Poulain a longtemps erré de par le monde, roulé sa bosse au gré des jobs de hasard : travailleuse agricole au Canada, barmaid à Hong Kong, pêcheuse en Alaska… De ses expéditions en mer, comme Melville, elle a tiré le suc et publie aujourd’hui, à 51 ans, un premier roman d’envergure. Récit aux multiples […]

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Catherine Poulain a longtemps erré de par le monde, roulé sa bosse au gré des jobs de hasard : travailleuse agricole au Canada, barmaid à Hong Kong, pêcheuse en Alaska… De ses expéditions en mer, comme Melville, elle a tiré le suc et publie aujourd’hui, à 51 ans, un premier roman d’envergure. Récit aux multiples perspectives, Le grand marin saisit son lecteur et l’emporte comme la vague, au grand large.

Le grand marin navigue entre autobiographie et fiction. Catherine Poulain puise dans son parcours intime, ses aventures sur un bateau puis un autre, ses amours avec un « grand marin ». Elle a longtemps pris des notes sur ses sorties en mer, rempli des carnets sans bien savoir pourquoi. Plus tard, elle comprend qu’elle veut raconter l’Alaska, ce petit milieu des pêcheurs, qu’elle doit parler pour eux, leur donner voix comme on dit. Le récit ramasse donc le réel : les saisons de pêche, la vie à bord – coups de bourre à la remontée des palangres et tranches de sommeil volées en cabine -, les beuveries à quai en attendant la paie… Dans la petite ville portuaire de Kodiak, beaucoup se reconnaîtront si toujours en vie. Mais bien sûr, la romancière transpose. C’est Lili, pas Catherine, le « je » qui quitte Manosque à toute berzingue et se cherche dans les vents du Nord ; et ce pas de côté en permet certainement bien d’autres.

Cet art des oscillations et des balancements fait bien notre affaire, et notre plaisir tient sans doute aux nombreuses lectures et interprétations qui s’ouvrent sans cesse à nous. Récit réaliste à caractère sociologique, Le grand marin l’est assurément : portrait d’une communauté marginale, voguant de la saison du flétan à celle du crabe, et des bars au refuge social. Glossaire en prime à la fin. Mais lorsque le roman prend la mer, les errants au teint rougeaud sont transfigurés : « Jude se tient devant les flots bouillonnants, campé sur ses cuisses drues, reins bandés, le corps tout entier tendu vers l’urgence, la mâchoire dure, serrée, regard fixé sur la ligne qui se déroule, bête folle, monstre marin hérissé de milliers d’hameçons ». Le « Rebel » quitte la côte et le récit le réel ; nous voilà en plein mythe : puissants dieux aux corps infatigables, les pêcheurs soulèvent, hissent, tranchent, en équilibre dans la tourmente et maculés du sang des poissons. Une humanité de misère sauvée en pleine mer. A leur côté, Lili vient s’agrandir. Le petit bout de femme veut en être des géants, même si elle y connaît rien. Alors faut pas plier face à la tâche et aux paroles rudes ; ravaler les larmes et oublier la douleur. Humblement et obstinément, Lili fait sa place dans un monde d’hommes.

Au passage, on se laisse aussi tenter par une lecture plus psychanalytique. Sacré os à ronger, le cas Lili. Quand elle quitte Manosque, il y a urgence. Urgence à se sentir vivre pour ne pas mourir. Direction « the last frontier », le bout du bout du monde, et le bout du bout de soi-même. Expérience limite pour retour du sens. « Je veux m’épuiser encore et encore, que rien ne m’arrête plus, comme…comme une corde tendue, oui, et qui n’a pas le droit de se détendre, tendue au risque de se rompre ». Fatigue, souffrance, et au bout de la route, le corps à corps avec l’animal : « J’essaye d’attraper à pleins bras le flétan aussi grand que moi parfois – la main plongée dans l’ouïe, l’autre agrippant le corps lisse -, de le hisser sur la table de découpe. Il m’échappe, sursauts convulsifs. Je tombe avec lui en sanglotant. C’est un combat épuisant, ce poisson que j’étreins et traîne dans l’odeur âcre de sel et du sang ». C’est ça qu’il lui faut, Lili, pour continuer. Ça et l’amour.

On s’attache sacrément à ce « moineau » en plein vent. Et aux autres. Bref, elle nous embarque, l’aventurière Poulain. On se laisse dériver au gré de sa phrase courte, cadencée, nerveuse. Le sens global de la narration est bien là aussi. Entre les chapitres « en mer » et « à terre », les changements d’univers et de rythme donnent du mou. Quand on revient à quai, on ne veut plus que repartir, comme Lili.

Le Grand marin, par Catherine Poulain,
L’Olivier, 376 p., 19 euros.

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La petite Femelle, Philippe Jaenada http://www.lesheuresperdues.fr/2411-2/ http://www.lesheuresperdues.fr/2411-2/#respond Tue, 29 Mar 2016 19:20:05 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2411

Dans La petite Femelle, Philippe Jaenada reconstitue avec minutie l’histoire tragique et authentique d’une femme qui a tué son amant. Un portrait en forme de plaidoyer où la rigueur n’exclut pas la fantaisie. Pour avoir tué son ancien amant, Pauline Dubuisson est condamnée en 1953 à la prison à perpétuité après un procès qui connaît […]

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Dans La petite Femelle, Philippe Jaenada reconstitue avec minutie l’histoire tragique et authentique d’une femme qui a tué son amant. Un portrait en forme de plaidoyer où la rigueur n’exclut pas la fantaisie.

Pour avoir tué son ancien amant, Pauline Dubuisson est condamnée en 1953 à la prison à perpétuité après un procès qui connaît un grand retentissement dans la presse et l’opinion publique. Libérée pour bonne conduite après huit ans de prison, elle change de prénom et reprend ses études de médecine à Paris. Mais, rattrapée par son passé, elle part au Maroc où elle exerce comme infirmière. Reconnue à nouveau et repoussée par celui qu’elle s’apprêtait à épouser, elle se suicide en 1963.

Au cours des années suivantes, cette histoire inspira à la fois la littérature et le cinéma : dès 1958, En cas de malheur de Simenon est adapté à l’écran par Autant-Lara avec Brigitte Bardot, et surtout en 1960 La Vérité de Clouzot, toujours avec Bardot, remporte un grand succès. Plus récemment, en 1991, Jean-Marie Fitère publie La Ravageuse et Jean-Luc Seigle Je vous écris dans le noir en 2015. Alors, pourquoi un nouveau livre consacré à cette affaire ?

Que l’on ne s’y méprenne pas. Il ne s’agit pas ici d’un « roman vrai », d’une fiction à partir d’un fait divers mais de la recherche de la vérité, comme l’annonce l’auteur dans son prologue : «Je m’efforce d’être le plus précis, le plus juste, le plus fidèle qu’on puisse être. » Philippe Jaenada se fait l’avocat pointilleux de l’accusée (celui qui lui a fait défaut lors de son procès puisque son défenseur, le très catholique Paul Baudet, soucieux de sauver l’âme plus que la vie de sa cliente, n’a pas cherché à réfuter l’accusation de préméditation). L’auteur a fouillé les archives, épluché les rapports de police, débusqué et interrogé les derniers témoins. Il met ainsi à jour la partialité du dossier, les glissements de mots opérés au fil de l’enquête, les approximations et les mensonges des articles de presse. Il fait apparaître le poids des préjugés misogynes dans ce tribunal (presque) entièrement composé d’hommes jugeant une femme, la rigueur de l’avocat général Raymond Lindon (pour la petite histoire, le père de Jérôme, le grand-père de Vincent), la cruauté de l’avocat de la partie civile, maître Floriot, qui interpelle l’accusée après sa troisième tentative de suicide – « En somme, vous ne réussissez que les assassinats ! » – et surtout l’acharnement de la presse et le déferlement de haine à son égard[1].

En retraçant avec précision l’enfance et l’adolescence de Pauline Dubuisson, l’auteur nous rend proche de cette jeune fille au destin brisé. Enfant solitaire entre une mère dépressive et absente, un père rigide et exigeant, elle lit Nietzsche à onze ans et apprend qu’il faut faire partie des forts. Adolescente en temps de guerre, auprès d’un père qui la pousse vers les Allemands, elle voit de près toutes les horreurs de la fin de la guerre lors du siège de Dunkerque et elle est tondue lors de l’épuration (cet aspect de son histoire, encore tabou dans les années 60, est occulté dans le film de Clouzot). Jaenada fait même de cette étudiante en médecine qui veut devenir pédiatre, de cette jeune femme qui prend des amants et refuse de les épouser, une féministe en avance sur son temps qui réclamerait déjà son autonomie, y compris sexuelle. D’où le titre, emprunté au film d’Autant-Lara En cas de malheur : à son amant qui lui demande d’habiter chez lui , Yvette Maudet/Brigitte Bardot répond: « Je suis une petite femelle, il faut me laisser faire ce que j’ai envie. »

Pour bien comprendre l’affaire Dubuisson, il faut aussi la replacer dans son contexte, ce que fait parfaitement l’auteur, au risque même d’impatienter le lecteur pressé de retrouver l’histoire de Pauline. Dans l’après-guerre, les hommes humiliés par la débâcle, l’occupation et la détention en Allemagne se vengent sur des femmes dites légères et réaffirment leur statut. Parce qu’elle a couché avec l’ennemi, Pauline incarne la collaboration ; parce qu’elle a eu quelques amants, c’est une Messaline ; parce qu’elle garde la tête haute, elle devient une rebelle. Tout tient à un malentendu savamment entretenu par l’accusation et par la presse. On juge hautaine, orgueilleuse et cynique celle qui a simplement toujours appris à ne pas montrer ses sentiments. On fait de cette jeune femme de 26 ans trop belle, trop intelligente, trop libre, l’incarnation de tous les défauts prétendument féminins. On qualifie d’assassinat avec préméditation ce qui relève du crime passionnel. Il n’est pas anodin de remarquer que la seule personne parmi les jurés qui ne vote pas la condamnation à mort, sauvant ainsi Pauline de la guillotine, est une femme. Et que, excepté de sa famille, Pauline ne recevra de visite et de soutien que d’une autre femme, visiteuse de prison, qui fera même le déplacement à la prison de Châlons et continuera à correspondre avec elle.

Curieusement, alors que le propos est grave, que l’histoire est tragique, il nous arrive de sourire et même de rire à la lecture de cet ouvrage, tant il est écrit d’un style alerte, plein d’ironie à l’égard des manipulateurs de la vérité, de drôlerie dans ses digressions autobiographiques, ses expressions inventives et ses raccourcis étonnants dès la première ligne : « Je suis comme les bébés, quand la nuit tombe, j’ai besoin d’un whisky. » L’auteur instaure ainsi une sorte de dialogue, de proximité avec le lecteur ; il aborde son personnage avec un « mélange de bienveillance et de détachement »  qui permet une empathie sans pathos; il instille une dose de légèreté dans la rigueur de sa recherche et la noirceur du sujet.

Toutes choses qui contribuent à nous donner un indéniable plaisir de lecture et à nous faire dévorer ce (long) livre qui est tout à la fois une biographie, une reconstitution historique et une réflexion sur la justice.

La petite femelle, Philippe Jaenada, éditions Julliard, août 2015, 720 pages.

[1]   A l’occasion de la parution du livre de Jaenada, Paris-Match a mis en ligne ses archives concernant le procès de Pauline Dubuisson

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Histoire de la violence, Edouard Louis http://www.lesheuresperdues.fr/histoire-de-la-violence-edouard-louis/ http://www.lesheuresperdues.fr/histoire-de-la-violence-edouard-louis/#respond Sat, 05 Mar 2016 21:43:32 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2373

Dans son deuxième roman, Edouard Louis poursuit son entreprise autobiographique sous une forme plus aboutie et resserrée. Histoire de la violence, c’est l’histoire d’un viol et la réappropriation de cette histoire à travers des récits croisés. Une quête de soi au-delà de la honte. Le soir de Noël, alors qu’il rentre chez lui, Edouard est […]

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Dans son deuxième roman, Edouard Louis poursuit son entreprise autobiographique sous une forme plus aboutie et resserrée. Histoire de la violence, c’est l’histoire d’un viol et la réappropriation de cette histoire à travers des récits croisés. Une quête de soi au-delà de la honte.

Le soir de Noël, alors qu’il rentre chez lui, Edouard est abordé par Reda. Ils passent la nuit ensemble mais, au matin, la rencontre tourne mal : quand Edouard lui demande de lui restituer les objets qu’il lui a volés, Reda tente de l’étrangler, le menace d’un revolver et le viole. Ce pourrait être un récit sordide ou un ressassement narcissique, mais pour cet héritier de Didier Eribon et d’Annie Ernaux[1] le vécu fût-il le plus douloureux devient matériau autobiographique et sociologique.  « Porter plainte », comme il le fait dès le lendemain, ce n’est pas se plaindre, c’est se saisir des mots pour se délivrer du fardeau.

C’est d’abord une histoire d’attirance entre deux êtres que tout sépare et qui pourtant se ressemblent. Au temps suspendu de l’approche sur la place de la République déserte succède l’évidence et la fulgurance du désir : « Il a su qu’il irait chez lui. Maintenant c’était certain. » Reda/Edouard, deux prénoms inversés pour ces doubles contraires, le kabyle et le picard, celui qui vit de débrouilles et celui qui lit Nietzsche et Claude Simon. Mais tous deux ont connu l’exclusion, la honte, l’humiliation, celle de leur père et de leur mère, et Edouard, auteur de petits vols dans son adolescence, aurait pu devenir Reda.

Histoire de la violence sous toutes ses formes – dont le titre fait référence à Histoire de la sexualité de Foucaultce livre est peut-être avant tout une histoire de la honte : « à croire que ce qu’on appelle la honte est en fait la forme de mémoire la plus vive et la plus durable, une modalité supérieure de la mémoire, une mémoire qui s’inscrit au plus profond de la chair. » Honte d’avoir été humilié, dépossédé de son corps, incompris ; honte d’être issu d’un milieu populaire, de l’avoir fui et, d’une certaine manière, de lui appartenir encore; honte qu’il essaie d’extirper de son corps, mot à mot, pris d’un immense besoin de se raconter, d’une « folie de la parole » qui fait du lecteur un confident et un voyeur.

La réussite du livre tient en grande partie à sa narration. Edouard écoute, caché derrière la porte, le récit de son agression fait par Clara, sa sœur, à son mari. Il intervient par des incises entre parenthèses et en italiques, pour corriger, commenter et raconter à son tour[2]. L’intérêt du dispositif, outre qu’il montre combien le narrateur se sent dépossédé de son histoire, est d’opérer un décentrement et de brosser un portrait sans concession du narrateur vu par sa sœur. Edouard lui-même ne s’épargne pas et ne nous épargne pas. Il décrit avec précision toutes ses réactions – même les plus absurdes – durant l’agression; il détaille la lourdeur et la cruauté du processus médico-judiciaire et les différentes phases de la souffrance post-traumatique : peur, rage, inertie, logorrhée, prostration… A la fois prisonnier et exclu de son histoire, le narrateur frôle la folie : « J’avais le sentiment d’être le figurant d’une histoire qui n’était pas la mienne » . Mais, peu à peu, il reprend la parole, cesse d’écouter sa sœur et se réapproprie son histoire, parce que le livre, après le rapport de police, constitue « un lieu où (sa) parole était possible et dicible. »

En croisant les voix et les points de vue, Edouard Louis évite les écueils de l’angélisme et du manichéisme. Reda garde sa part de mystère. Il y a aussi, comme dans ces bons films où les seconds rôles existent, ces personnages entrevus  – le père de Reda, le mari de Clara, le cousin Sylvain, la mère, bien sûr, dont on entend la voix – autant de figures d’un roman familial que l’on aimerait mieux connaître … Décidément, on n’en a pas fini avec Edouard Louis.

 

Histoire de la violence, Edouard Louis, éditions du Seuil, 2016, 229 pages.

[1] On pense à Retour à Reims de Didier Eribon et à La Place ou La Honte d’Annie Ernaux dans lesquels les auteurs analysent, à travers leur propre trajectoire, le mécanisme de la honte sociale. (Didier Eribon avoue même : « Il me fut plus facile d’écrire sur la honte sexuelle que sur la honte sociale. »)

[2] Cette narration à deux voix permet aussi de faire coexister deux langues comme dans En finir avec Eddy Bellegueule. (voir l’article de Marie Fernandez)

 

Illustration: Three Studies for a Self-Portrait, 1980, Francis Bacon

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Sauve qui peut la vie, Nicole Lapierre http://www.lesheuresperdues.fr/sauve-qui-peut-la-vie-nicole-lapierre/ http://www.lesheuresperdues.fr/sauve-qui-peut-la-vie-nicole-lapierre/#respond Thu, 04 Feb 2016 20:02:55 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2320

Dans le prologue à son essai Sauve qui peut la vie, prix Médicis 2015, la socio-anthropologue Nicole Lapierre espère « une lecture revigorante, une sorte de fortifiant pour résister au mauvais temps présent ». C’est chose faite. « Dans ma famille, on se tuait de mère en fille. Mais c’est fini ». Ainsi commence Sauve qui peut la vie, […]

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Dans le prologue à son essai Sauve qui peut la vie, prix Médicis 2015, la socio-anthropologue Nicole Lapierre espère « une lecture revigorante, une sorte de fortifiant pour résister au mauvais temps présent ». C’est chose faite.

« Dans ma famille, on se tuait de mère en fille. Mais c’est fini ». Ainsi commence Sauve qui peut la vie, le dernier essai de Nicole Lapierre. Le lecteur s’attend à un récit autobiographique assez convenu, dans lequel on lui exposera les miracles d’une résilience. Il faut dire aussi que le titre (référence explicite au film de Godard du même nom) et la photo de couverture (le portrait en pied d’une petite fille en noir et en blanc, manteau sombre et cagoule, DS à l’arrière-plan) l’ont mal averti. Sauve qui peut la vie est bien plus qu’un énième récit de vie : il s’agit d’un essai inclassable, pluriel et hybride, qui utilise le récit biographique comme support à la pensée. Nicole Lapierre tire de son histoire familiale « quelques idées » (expression ô combien euphémistique) qui résument en fait toute sa trajectoire intellectuelle. L’essai revêt une valeur presque testamentaire ; une lumière crépusculaire s’en dégage et vient éclairer les liens entre l’histoire de la famille, la personnalité de l’individu et les travaux du chercheur : « Il m’a fallu du temps pour comprendre que ce qui était une manière d’être – une tendance à parier sur l’embellie, un goût de l’esquive (…) avait aussi profondément influencé ma façon de penser (…). Tel est le sujet de ce livre ».

Pour caractériser l’histoire de sa famille, Nicole Lapierre utilise la métaphore des « semelles de plomb » : l’histoire est lourde et « elle entraîne par le fond ». Père juif émigré, seul rescapé d’une famille décimée dans les ghettos de Lodz et de Varsovie, suicides de la mère et de la sœur. Pour autant, la révélation des névroses familiales est surtout l’occasion de tracer une voie émancipatrice par laquelle l’essayiste refuse l’hérédité du malheur. Dans sa famille, il y a des semelles de plomb, mais il y a aussi des « plumes grâce auxquelles s’envole la pensée » – métaphore empruntée au poète Saint-John Perse [1] figure tutélaire qui surplombe tout l’essai. On peut trouver une force de vie à la fois reliée au passé et libérée du poids des traumatismes. C’est ce qu’elle nomme « l’esquive », ce drôle de pas de côté érigé en morale de vie.

Affleure alors une conception de l’Histoire fondée sur le refus de l’inexorabilité et des déterminations historiques et sociales. L’héritage n’a rien d’inéluctable, « on peut l’assumer, l’inventorier, le réinventer, se construire avec ou contre lui, voire même ériger sur fond de fêlures et de mélancolie, une morale de la solidarité et de l’engagement ». La vie de son père est une expérience vive, facilement mobilisable pour penser « le mauvais temps présent », et notamment le sort des émigrés, dont elle célèbre « l’héroïsme » dans les plus belles pages de l’essai. La société victimise, alors qu’elle doit exalter les qualités d’audace, de bravoure, de courage de ceux qui quittent tout pour reconstruire ailleurs, ces « aventureux [2] qui affrontent l’empire énigmatique des possibles ». Elle vante ce regard décalé qui favorise la pensée critique. Tel doit être aujourd’hui le rôle de la littérature et des arts: écrire des sagas, des odyssées, inventer des héros, construire du mythe.

La réussite de cet essai tient à sa profonde cohérence. Même s’il semble un brin décousu, le livre est tout entier sous-tendu par une vision dont la clarté n’apparaît qu’à la fin, dans un épilogue bienvenu. Le récit biographique se construit en spirale, laissant ainsi tout l’espace nécessaire au déploiement de la pensée. Nicole Lapierre raconte la traque de ses parents pendant la seconde guerre mondiale, dialogue avec Hannah Arendt et Jean Améry, auteur d’un ambigu Porter la main sur soi – Du suicide, retrace les étapes du combat pour la mémoire juive et le questionne, réfléchit à la portée symbolique du changement de nom… Comme Montaigne en son temps, elle entraîne sur des chemins sinueux, le lecteur se demande parfois où il va, mais il fait confiance, et il a raison. Tous ces détours convergent vers une seule voie : la défense d’un humanisme très concret, qui refuse les places assignées, prône les rapprochements et les causes communes, appelle de ses vœux des solidarités nouvelles. « Mémoire partagée et main tendue d’un même mouvement, nous pouvons refuser le plomb et l’ombre ».

[1] « C’est un envol de paille de plumes, une fraîcheur d’écumes et de grésil dans la montée des signes ! Et la Ville Basse vers la mer dans un émoi de feuilles blanches : libelles et mouettes de même vol », Saint-John Perse, Chant pour un équinoxe.

[2] Elle cite ici le philosophe Jankélévitch : « Il ne faut pas confondre l’aventureux avec l’aventurier. Ce dernier est simplement un bourgeois qui triche au jeu bourgeois. Il est plutôt en marge des scrupules que de la vie prosaïque ». C’est un professionnel de l’équipée programmée pour qui « le nomadisme est devenu une spécialité, le vagabondage un métier.  » Expérimenté, il dupe l’ordre sans pour autant le subvertir ». Au contraire, « l’aventureux est toujours un débutant ». Il saute dans l’inconnu, et quand il joue, c’est son va-tout, sa vie en dépend. Il affronte  » l’empire énigmatique des possibles »

Photo Arthur Tress. 

Sauve qui peut la vie, Nicole Lapierre, Seuil, La librairie du XXème siècle, 250 pages. 

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Titus n’aimait pas Bérénice, N. Azoulai http://www.lesheuresperdues.fr/titus-naimait-pas-berenice-nathalie-azoulai/ http://www.lesheuresperdues.fr/titus-naimait-pas-berenice-nathalie-azoulai/#respond Wed, 20 Jan 2016 09:33:37 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2304

« Pourquoi les hommes [ont]-ils depuis l’origine composé des histoires ? ». Le livre de Nathalie Azoulai interroge notre attirance pour la littérature. Un bel hommage, à travers la figure tutélaire de Jean Racine. Bérénice est dans un restaurant, face à Titus. Il lui annonce qu’il rompt leur relation, qu’il la quitte pour ne pas quitter Roma, sa femme, […]

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« Pourquoi les hommes [ont]-ils depuis l’origine composé des histoires ? ». Le livre de Nathalie Azoulai interroge notre attirance pour la littérature. Un bel hommage, à travers la figure tutélaire de Jean Racine.

Bérénice est dans un restaurant, face à Titus. Il lui annonce qu’il rompt leur relation, qu’il la quitte pour ne pas quitter Roma, sa femme, la mère de ses enfants.

Outre la banalité de la situation, cette histoire vous évoque peut-être quelque chose. La référence est suffisamment lisible pour vous éviter de longues investigations. L’auteur a remis au goût du jour une célèbre tragédie racinienne, Bérénice : reine de Palestine, elle aime Titus, l’empereur romain, et espère bien qu’il modifiera les lois qui l’empêchent d’épouser une étrangère. La pièce suit les errements de cette femme bercée par l’espoir que l’amour de son amant est plus fort que tout. Mais Titus choisira de rester fidèle à Rome, et de renoncer à sa maîtresse. Un moment tentée par le suicide, elle acceptera finalement de vivre et de de s’enfuir dans « l’Orient désert ».

L’artifice est grossier. C’est du moins ce que l’on peut croire durant un premier chapitre bien décevant ! Car si le style est agréable, l’emprunt à Racine semble grotesque. La plongée de Bérénice dans les eaux troubles de la dépression, avant même que l’on ait pu s’attacher à ce personnage larmoyant, ne touche guère.

Fort heureusement, ce chagrin d’amour n’est qu’un prétexte, et reviendra très rarement hanter le récit.

«  C’est comme une maladie, c’est physiologique, il faut que l’organisme se reconstitue.

Un jour, tu ne te souviendras plus que des bons moments.

Tu en ressortiras plus forte.

Tu dis que tu n’aimeras plus jamais mais tu verras.

La vie reprend toujours ses droits »

Au beau milieu des sentences abjectes de son entourage, « dont la banalité finit par émousser la vérité », Bérénice découvre une langue propre à ciseler sa douleur, douze syllabes tranchantes, pour creuser au plus profond de son âme. Face aux abondants, aux incessants, aux débordants bavardages quotidiens, la littérature s’impose, pour donner un sens plus pur aux mots de la tribu. Par le travail et l’ardeur. Le raffinement et la rigueur. L’exigence et la passion. La petite musique des alexandrins raciniens commence alors à colorer le texte d’inflexions nouvelles et familières. Ils sont parfois signalés par des italiques, parfois parfaitement intégrés à la langue de Nathalie Azoulai, comme à celle de son personnage qui en émaille ses conversations et ses messages.

Cette musique, qui la frappe et la lie d’abord à Racine, n’est qu’un premier pas dans son initiation. La littérature permet ce miracle : réintégrer une douleur singulière dans une histoire chorale, retrouver du lien où il n’y avait qu’exclusion. La jeune femme trahie entre dans la famille des Bérénice puisque la lâcheté de son amant en fait un Titus. Il n’est plus de solitude quand d’autres ont mis des mots sur le sentiment qui nous isolait, indicible, certes, mais pas inconnu. S’il ne peut être avoué, on peut l’écrire au plus secret d’un texte. Cette union des cœurs tisse une filiation qui unit le lecteur à ses lectures, Bérénice à Racine, Racine à Virgile et Virgile à d’autres avant lui.

L’histoire de Jean prend donc sans surprise le pas sur celle de Bérénice. On ne sait plus qui de l’auteur ou de son personnage se plaît le plus à fréquenter Racine ; à le suivre à Port-Royal comme à Versailles, exilé à Uzès ou en campagne avec Louis XIV. La vie du grand dramaturge est réinventée avec passion pour approcher au plus près l’étincelle qui l’a fait composer ses douze tragédies. Le récit devient alors un vrai délice. Derrière des vers trop répétés pour sembler encore actuels et efficients, on se plaît à retrouver la force vitale d’un homme tiraillé entre une vie de débauche vaine et grisante et une éducation culpabilisante, aussi rigide que stimulante.

Les discours de Port-Royal tissent un étonnant paradoxe : l’on y enseignait la grammaire et la poésie la plus pure pour condamner ceux qui se livraient à l’écriture impie ; l’on étudiait des extraits de texte que l’on interdisait de lire  ; l’on pratiquait sans scrupule l’autodafé. La littérature est-elle donc une occupation inutile, qui détourne l’homme de Dieu et de la morale ? « Les fictions ne sont pas des égarements car nous sommes constitués de langage et d’action et nous avons besoin des deux, n’en déplaise à Port-Royal », conclut Racine avec un certain soulagement.

Nous soufflons aussi, il y aura encore de belles heures à perdre en littérature !

 

 

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A ce stade de la nuit, Maylis de Kerangal http://www.lesheuresperdues.fr/a-ce-stade-de-la-nuit-maylis-de-kerangal/ http://www.lesheuresperdues.fr/a-ce-stade-de-la-nuit-maylis-de-kerangal/#comments Wed, 09 Dec 2015 20:16:31 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2292

Le 3 octobre 2013, une embarcation transportant des migrants clandestins africains fait naufrage aux larges des côtes siciliennes. L’écriture naît de cette tragédie, de ce mot entendu à la radio dans la nuit : LAMPEDUSA. Neuf lettres, quatre syllabes qui suscitent l’imaginaire, d’où jaillissent des images contradictoires, des souvenirs et des interrogations sur notre monde et […]

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Le 3 octobre 2013, une embarcation transportant des migrants clandestins africains fait naufrage aux larges des côtes siciliennes. L’écriture naît de cette tragédie, de ce mot entendu à la radio dans la nuit : LAMPEDUSA. Neuf lettres, quatre syllabes qui suscitent l’imaginaire, d’où jaillissent des images contradictoires, des souvenirs et des interrogations sur notre monde et sur la littérature. De quoi Lampedusa est-il le nom ? A cette question Maylis de Kerangal donne des réponses successives, en nous conviant, dans l’intimité nocturne de sa cuisine, à une réflexion par étapes.

Paradoxalement, ce mot évoque d’abord un film de légende, Le Guépard de Visconti, adapté du roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa. L’auteure confronte ainsi deux figures apparemment inconciliables : celles du prince Salina – le héros du Guépard – et celle du migrant. Mais ces deux images finissent par se rejoindre, puisqu’il s’agit toujours de l’histoire d’un naufrage. Naufrage d’un homme – le prince Salina qui sent la mort approcher –, naufrages des hommes entassés sur des embarcations de fortune et d’un monde : l’aristocratie sicilienne moribonde ou la vieille Europe repliée sur elle-même. De ces deux figures antithétiques du prince et du migrant, Burt Lancaster est l’incarnation à travers ses rôles cinématographiques comme à travers son histoire personnelle : migrant irlandais devenu star de cinéma.

Mais le nom de Lampedusa est aussi celui de l’île sicilienne et de l’auteur du Guépard, ce qui amène la narratrice à s’interroger sur les rapports entre les lieux, les livres et leurs auteurs : « Je me dis parfois qu’écrire c’est instaurer un paysage. » Parce qu’un livre est au fond, comme une île, un territoire, un lieu étranger qui devient nôtre lorsqu’on y accoste et qu’on l’investit. Parce que c’est toujours le regard, la mémoire qui transforment les mots en récit et le lieu en paysage. On sait que la géographie est au cœur des romans de Maylis de Kerangal, que ce soit la corniche surplombant la Méditerranée ou les paysages traversés par le transsibérien, et l’on apprend au passage qu’un lieu se nomme Maylis, un autre Kerangal. On sait aussi combien l’empathie, l’humanité est présente dans ses récits et, grâce aux gestes des insulaires, Lampedusa peut être synonyme d’hospitalité.

Le livre procède par glissements de sens comme autant de cercles concentriques qui déploient les résonances du mot. Les chapitres reprennent le titre en écho, sans majuscule initiale puisque tout s’enchaîne dans ce huis clos de la nuit. Le texte se déroule en un flot continu, comme une longue rêverie entrecoupée de phrases nominales, de mots entendus à la radio. Des images et des temps se superposent : les corps entassés dans un cargo renvoient à la traite négrière, les hommes échoués à Ulysse et au mythe des Sirènes dans une odyssée tragique.

Ce texte bref et inclassable tient à la fois de la chronique en réaction à l’actualité et de l’esquisse autobiographique : l’auteure dit «  je », laisse entrevoir furtivement son quotidien à travers quelques objets, évoque son père au détour d’une phrase…On peut le lire aussi comme un essai, une réflexion sur l’acte d’écrire et sur le rôle des livres face à l’horreur : « Dans la pénombre, les colonnes de livres grimpent comme des plantes, comme des cariatides, elles silhouettent une forêt d’un noir cassis, puissante et pulsatile, un temple hanté de fantômes et de chants. »

 Un petit livre, à lire d’une traite et à relire, pour espérer malgré tout qu’ « à ce stade de la nuit, le jour perce à la fenêtre. »

 A ce stade de la nuit, Maylis de Kerangal, éditions Verticales, 2015, 74 pages.

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Vladimir Vladimirovitch, Bernard Chambaz. http://www.lesheuresperdues.fr/vladimir-vladimirovitch-bernard-chambaz/ http://www.lesheuresperdues.fr/vladimir-vladimirovitch-bernard-chambaz/#respond Tue, 01 Dec 2015 18:19:23 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2285

Bernard Chambaz adopte un parti-pris narratif étonnant et choisit de raconter l’histoire d’un homonyme de Poutine pour mieux appréhender la complexité de la Russie et de son leader. Loin de l’objectivité historique, il assume pleinement le recours à l’invention littéraire, aux émotions, à la subjectivité, pour cerner un pays controversé. Le roman commence en février […]

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Bernard Chambaz adopte un parti-pris narratif étonnant et choisit de raconter l’histoire d’un homonyme de Poutine pour mieux appréhender la complexité de la Russie et de son leader. Loin de l’objectivité historique, il assume pleinement le recours à l’invention littéraire, aux émotions, à la subjectivité, pour cerner un pays controversé.

Le roman commence en février 2014, lors des jeux olympiques de Sotchi. L’équipe russe de Hockey vient de perdre les quarts de finale. Le président Poutine affiche à la télévision des yeux d’enfant triste, des yeux de phoque. L’honneur national est bafoué. Les journaux rappellent, nostalgiques, la grande époque de la machine rouge, lorsque l’équipe d’URSS raflait tous les titres olympiques. Dans ce contexte sportif affligeant, la crise ukrainienne et le rattachement de la Crimée à la Russie passent presque inaperçus. On partage alors les déceptions olympiques, et les autres tribulations du dénommé Vladimir Vladimirovitch Poutine, peintre hanté par différents motifs mortifères et grand amateur de littérature. Il se retrouve, aux portes de la retraite, dans un état d’hébétude proche de la dépression. A la fois exaspéré et fasciné par son illustre homonyme, il collectionne tous les documents concernant le président russe. Chaque jour, après quelques considérations météorologiques ou intimes, avec une minutie maniaque, il accumule des notes sur cet homme dans un gros calepin. Il les  reprend et les organise ensuite dans six petits cahiers, deux rouges pour l’enfance et l’adolescence, deux gris pour sa carrière au KGB et au FSB et deux noirs pour le président.  C’est à travers le regard mélancolique et désabusé de ce personnage qu’est abordée l’histoire de la Russie et de l’homme qui la dirige depuis 1999. Le récit de Vladimir Vladimirovitch par Vladimir Vladimirovitvh n’est donc pas une autobiographie. Ce n’est pas non plus, à proprement parler, une biographie, mais plutôt une somme de notes et impressions, fruit d’une compulsion maladive.

Les choix narratifs opérés au fil des pages sont tout d’abord déroutants, lors du cauchemar initial par exemple. Parfois frustrants aussi, car l’arrière-plan historique n’apparaît qu’au fil de la méditation d’un homme que d’autres sujets retiennent, bien souvent, et qui ne brille pas par son discernement. Un homme plus intéressé par le sport que par la politique. Un russe moyen, accaparé par les préoccupations moyennes d’un pays  qui a perdu sa grandeur passée.

Si vous n’êtes pas très au point sur l’histoire russe, préparez-vous à compulser quelques notes de remises à niveau. Mais n’accusez pas le livre de ne pas vous les livrer ! Il n’a pas vocation à être un roman historique, encore moins un essai sur la Russie contemporaine. Bien au contraire, il illustre l’aveuglement politique, l’absence totale de recul d’un homme comme vous et moi. Malgré sa volonté de suivre l’actualité, de s’y intéresser, d’essayer de comprendre les enjeux politiques des événements qui se déroulent autour de lui, il reste englué dans son quotidien. Ses peines de cœur l’accaparent bien plus que l’avenir de sa nation. Ses velléités d’objectivité se heurtent à des dégoûts et des affections non maîtrisés.

Le roman est l’illustration exemplaire de l’anti-histoire : pas de point de vue distancié mais une synthèse personnelle, subjective, partielle. Une manière de percevoir la politique par le petit bout de la lorgnette. Une démonstration magistrale de nos lâchetés, de nos nombreuses incompréhensions, de notre chauvinisme indéfectible.

Mais pourquoi la Russie ? Pourquoi Poutine ? N’importe quel pays troublé par l’actualité aurait pu servir de cadre à cette démonstration. Sans doute parce que l’auteur a un contentieux personnel à régler : son père, Jacques Chambaz, fut en son temps député communiste puis membre du Comité central du Parti.Sans doute aussi parce que Poutine est l’un des hommes les plus remarquables et les plus inquiétants du moment, au point d’avoir pu être comparé à Hitler dans certains portraits satiriques.

Bernard Chambaz, comme son personnage, semble tiraillé. Il ressent de la fascination pour ce peuple qui a vu naître des génies comme Dostoïevski, Maïakovski ou Gogol ; qui a voulu croire aux grands idéaux du grand soir, au juste partage des richesses, à l’égalité des hommes ; qui a réussi, un temps, à être une nation exceptionnelle. Et il ne peut passer outre un sentiment de répulsion pour les crimes de l’URSS de Lénine et Staline, pour ceux de la Russie post-communiste.

Un petit trésor d’intelligence qui n’assène aucune vérité mais ouvre grand les portes à nos réflexions.

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Boussole, Mathias Enard http://www.lesheuresperdues.fr/boussole-mathias-enard/ http://www.lesheuresperdues.fr/boussole-mathias-enard/#comments Sat, 14 Nov 2015 23:15:25 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2278

Un musicologue orientaliste s’égare dans les méandres de ses souvenirs. Une œuvre absolument sublime.  Franz Ritter est un musicologue autrichien. Ritter est malade, moribond, il a sans doute été affecté par une bactérie au cours de ses multiples séjours en Iran, en Syrie, ou en Turquie. Cette nuit-là il n’en peut plus, il se débat […]

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Un musicologue orientaliste s’égare dans les méandres de ses souvenirs. Une œuvre absolument sublime. 

Franz Ritter est un musicologue autrichien. Ritter est malade, moribond, il a sans doute été affecté par une bactérie au cours de ses multiples séjours en Iran, en Syrie, ou en Turquie. Cette nuit-là il n’en peut plus, il se débat dans son lit, ressasse sa vie, et sa vie c’est l’Orient. Il s’épanche, Alep, Téhéran, Palmyre ou Istanbul, la musique bien sûr, Sarah aussi, Sarah encore, cette universitaire française brillante qu’il aime et qui lui échappe depuis tant d’années, insaisissable, incompréhensible, mais si familière et si complice.

Boussole est une introspection pure et totale qui épouse chacune des pensées de l’homme malade, des pensées qui ne s’arrêtent jamais et s’étendent sans fin : un mouvement de Mahler, une considération sur la syphilis, un souvenir heureux, un regret, une anecdote, parfois drôle, parfois grave. Ainsi cet Iranien candide qui donna du Heil Hitler à Ritter lors d’une visite d’un musée de Téhéran. Ainsi cet universitaire français qui abusa d’une belle Iranienne en la faisant chanter, ou cet autre Français qui se fit iranien à force de s’assimiler et finit par se pendre dans le parc d’une clinique parisienne. Et il y a les souvenirs puissants, les actes fondateurs, Sarah encore, Sarah toujours, dont le corps et l’âme paraissent intimement liées à l’Orient, à ses contradictions, à ses fantasmes et ses promesses. C’est l’humiliation de l’hôtel Baron où Ritter trouve porte close. C’est la nuit de Palmyre où, surpris au petit matin alors qu’ils bivouaquent non loin du spectacle ahurissant du désert et des ruines, elle et lui se tiennent cachés sous une couverture, comme deux enfants, s’effleurent les mains, se serrent, se caressent, mais ne font rien.

Sarah, ou l’Occident égaré en Orient, ce que l’on nomme orientalisme, ce regard européen porté vers le Levant dans tous ses fantasmes, ses rêves, ses erreurs. Mais l’orientalisme est une construction des Occidentaux, il ne vit que dans leurs âmes. Français, Allemands et Européens l’ont inventé et l’ont même importé en Orient, au point qu’il est devenu une culture étrange, bizarre, exotique en ses propres terres.

Nous mêmes, au désert, sous la tente des Bédouins, pourtant face à la réalité la plus tangible de la vie nomade, nous nous heurtions à nos propres représentations qui parasitaient, par leurs attentes, la possibilité de l’expérience de cette vie qui n’était pas la nôtre ; la pauvreté de ces femmes et de ces hommes nous paraissait emplie de la poésie des anciens, leur dénuement nous rappelait celui des ermites et des illuminés, leurs superstitions nous faisaient voyager dans le temps, l’exotisme de leur condition nous empêchait de comprendre (…)

Enard déconstruit l’orientalisme avec lucidité, comme il en fait l’éloge le plus sincère. Car Boussole est une ode teintée de mélancolie, le produit d’un esprit brillant au fait de ses impostures. Bien conscient des motivations profondes de ces universitaires blancs-becs paumés en Orient, Ritter n’en comprend pas moins l’importance de leurs travaux : il se fait le chantre du métissage culturel, du dialogue inconscient avec les influences extérieures, qu’elles soient réelles ou fantasmées puisque, affirme-t-il, « (…) le génie veut la bâtardise (…) ».

Boussole, c’est aussi cette galerie de personnages secondaires, tous chercheurs épris d’Orient, malades d’Orient, attirés malgré eux, comme drogués. Pour Enard, l’orientalisme ne se décrète pas, il se subit : « Quelle maladie de désespoir avons-nous pu contracter ? (…)Dieu sait quelle pourriture de l’âme j’ai pu attraper dans ces terres lointaines. » Une mélancolie tenace parcourt les cœurs des expatriés, tous solitaires chevillés au Levant, mais une mélancolie étrange, lointaine et joyeuse. Parmi eux, Faugier s’abîme dans les plaisirs, les délices, les bas-fonds, l’opium, la prostitution, il se perd là où il avait fui, occidental malade de l’être et dont la culture d’origine, au retour, sera le tombeau. Bilger aussi, archéologue brillant qui sombre dans la folie, De Morgan, homme mûr au lourd passé qui connut la révolution d’Iran. Avec eux l’on compte encore le cortège des légendes dont Ritter se fait le griot, dans des récits enchâssés à la manière des Mille et une nuits, Annemarie Schwarzenbach, l’aventurière suissesse, ou Marga d’Andurain, la comtesse intrépide. Et il y a Delacroix, Balzac, Wagner…

Les phrases interminables d’Enard bercent et envoûtent, font sentir les odeurs du désert à Palmyre, des bivouacs et de l’opium. Elles donnent à entendre aussi, car Boussole est un roman où la musique est partout, dans le propos et dans le style. Subtil mélange des sens et de l’esprit, le roman de Mathias Enard nous plonge avec joie dans une folle érudition. Tout, dans Boussole, transpire le savoir, l’expérience et l’amour d’une culture qui fascine aussitôt. On aime être fâché avec les choix de l’académie Goncourt, mais on se réjouit de constater que le prix 2015 a récompensé un livre immensément beau et profond.

Mathias Enard, Boussole, Actes Sud, 2015, 480 pages

Photographie de Célian Faure

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Un Amour impossible, Christine Angot http://www.lesheuresperdues.fr/un-amour-impossible-christine-angot/ http://www.lesheuresperdues.fr/un-amour-impossible-christine-angot/#respond Wed, 28 Oct 2015 11:01:56 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2257

Après le père, la mère. Christine Angot retrace l’histoire de cette femme dans un portrait précis, efficace et sans pathos, qui est aussi une fine analyse des relations mère/fille et des mécanismes de domination sociale à travers le langage. A l’origine de chacune de nos vies, il y a ce hasard, cet événement qui fonde […]

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Après le père, la mère. Christine Angot retrace l’histoire de cette femme dans un portrait précis, efficace et sans pathos, qui est aussi une fine analyse des relations mère/fille et des mécanismes de domination sociale à travers le langage.

A l’origine de chacune de nos vies, il y a ce hasard, cet événement qui fonde le roman familial : « Mon père et ma mère se sont rencontrés.… » Par cette phrase évidente et fondatrice qui ouvre le livre de Christine Angot, l’autobiographie devient fiction littéraire et s’inscrit dans la lignée des grands romans. L’auteure imagine, dans une reconstitution forcément hypothétique, la passion qui a uni ses parents, l’histoire d’amour dont elle est issue. Sur le modèle de La Princesse de Clèves. tout commence par le bal où ils deviennent un couple : « Il l’a invitée à danser, elle s’est levée…Ils se sont faufilés ».  Dans le petit milieu du quartier américain, c’est le début d’une idylle éphémère entre Rachel Schwartz, la dactylo de Châteauroux, et Pierre Angot, le grand bourgeois parisien traducteur à la base américaine. Il est touché par sa beauté et son élégance, elle est subjuguée par sa culture, son assurance et sa liberté d’esprit : « Elle découvrait un monde ». Des promenades en forêt, un week-end dans la Creuse, une semaine merveilleuse sur la Côte d’Azur – comme en contrepoint de l’effroyable Semaine de vacances de son précédent roman- Pierre s’éloigne et Christine vient au monde.

Si le personnage du père était au cœur de L’Inceste et de Une semaine de vacances, c’est ici la mère qui prend la première place, cette petite femme méprisée, délaissée, qui retrouve toute sa grandeur. On ne peut qu’être touché par sa force, sa ténacité dans le portrait plein d’empathie et d’une précision sociologique qu’en brosse l’auteure. Il en fallait de la force de caractère pour être mère célibataire dans la France provinciale des années soixante. Pour refuser de suivre le père de son enfant à Paris. Et pour recommencer une autre vie, un autre métier dans une autre ville. Mère courage toujours active et gaie, elle élève seule son enfant et conquiert son indépendance. Elle devient emblématique de toute une génération de femmes et de leur libération : Rachel passe son permis, déménage à Reims, devient secrétaire de direction.

L’amour impossible, c’est bien sûr celui de cet homme et de cette femme que tout sépare : le milieu social, la culture, la religion – c’est d’ailleurs celui de tous les couples dans cette famille où les pères s’en vont sur trois générations.- C’est aussi celui d’une fille pour un père, brillant intellectuel cynique et pervers qui manipule la mère comme il manipulera la fille avec le même paternalisme (il appelle d’ailleurs souvent Rachel : « ma grande fille » .) Mais c’est surtout l’amour mère/fille dont le livre montre toute la complexité à travers les dialogues. Cette histoire si particulière est aussi l’histoire de toutes les mères et de toutes les filles. La fusion de la petite fille avec sa maman apparaît sans mièvrerie dans les mots d’enfant. La dureté de l’adolescente qui redouble le mépris social du père en pointant les erreurs de langage de sa mère. Et la compréhension à l’âge adulte quand la fille devient mère à son tour et reconquiert les mots simples de l’amour.

On peut regretter les pages trop didactiques qui explicitent longuement la dimension sociale de leur histoire. A quoi bon s’appesantir sur ce que le récit et les dialogues montrent déjà amplement ? Car le langage est un enjeu majeur au cœur du livre. Il cristallise les différences sociales : « Ta sœur dit « ça pleut », tu as remarqué ? Tu devrais lui dire, socialement elle sera pénalisée. » Il révèle les sentiments les plus intimes, il ancre les personnages dans leur époque et leur donne vie.

A la violence crue de L’Inceste et au silence étouffant d’Une semaine de vacances, succède une écriture plus apaisée. La phrase reste tenue, rythmée, on entend la voix Angot. La petite fille muette et prostrée prend la parole, elle inscrit son nom -ce patronyme arraché de haute lutte par une mère opiniâtre- sur la couverture du livre. C’est l’identité reconquise, la double filiation assumée, la revanche de la littérature.

Un amour impossible, Christine Angot, éd. Flammarion, 2015, 217 pages

Illustration: Détail de Marie-Coca et sa fille, Suzanne Valandon, actuellement au Musée des Beaux-Arts de Lyon. 
Lire aussi l’entretien de Le Monde avec Christine Angot « Il n’y a pas de vérité hors de la littérature ». 

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Otages intimes, Jeanne Benameur http://www.lesheuresperdues.fr/otages-intimes-jeanne-benameur/ http://www.lesheuresperdues.fr/otages-intimes-jeanne-benameur/#respond Mon, 19 Oct 2015 06:36:52 +0000 http://www.lesheuresperdues.fr/?p=2252

Un homme, un jour, est pris en otage. Emporté par la tourmente de l’actualité, le sujet aurait pu être racoleur, violent, obscène. Il aurait pu flatter notre fascination pour la mort aussi bien que notre goût pour les happy ends médiatiques. Mais celle qui s’en empare sait l’art de ne presque pas dire, sans pourtant […]

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Un homme, un jour, est pris en otage. Emporté par la tourmente de l’actualité, le sujet aurait pu être racoleur, violent, obscène. Il aurait pu flatter notre fascination pour la mort aussi bien que notre goût pour les happy ends médiatiques. Mais celle qui s’en empare sait l’art de ne presque pas dire, sans pourtant masquer ni trahir les événements. Délaissant le chaos spectaculaire, Jeanne Benameur compose un conte pudique et juste, redonne une place fragile à la vie, à l’espérance.

Etienne, photographe de guerre, a été pris en otage, donc. Sauf que le roman débute quand tout s’arrête. Libéré après des mois de réclusion, l’homme monte dans un avion. « Il a de la chance. Il est vivant. Il rentre ».  Ceci dit, au confinement physique succède l’emprisonnement moral. Otage, il l’a été bien avant d’être enfermé, il le reste après sa libération. Nul enthousiasme lors du retour, mais un vide immense. Une faiblesse de l’âme et du corps, car il « n’est plus innocent de ce qu’un homme peut faire à un autre homme ». Il a perdu le chemin de la vie, tout comme sa capacité à se projeter dans l’avenir. Il ne lui reste que son passé. Mais quel passé ! Les souvenirs remontent, inexorables.

Ce sont ceux de la guerre, tout d’abord, les plus récents. Et le livre ne cherche pas à cacher la noirceur du monde. Mais Jeanne Benameur refuse de se complaire dans la violence : le sang n’a pas besoin de couler pour que l’on comprenne le chaos. C’est un mur face à l’otage, rose et défraîchi, inlassablement contemplé et interrogé. Ou une femme qui charge les bras de ses enfants de bouteilles d’eau et les pousse dans une voiture avant de fuir devant les hommes en armes ; une femme qui croise le regard du photographe et l’empêche de fuir à temps. C’est un vieillard pour qui Etienne a joué du piano, fortuitement, un soir, dans un appartement miraculeusement épargné par les explosions ; mais le miracle ne sera pas éternel, et l’appartement sera détruit, comme le piano, comme le vieillard. Inutile de dire l’horreur : les images des morts sont le propre du photographe. L’écriture, elle, s’intéresse à ce qui se passe dans les cœurs, dans les têtes. Et elle ne s’impose qu’avec une grande pudeur, racontant par bribes, petites touches éparses, au rythme des réminiscences et des refoulements. La violence, bien que présente, se niche dans les failles du récit, entre les mots.

L’auteur évite ainsi l’écueil du sensationnel, en adoptant la forme du conte. « Il était une fois, il était mille et mille fois, un homme arraché à la vie par d’autres hommes. Et il y a cette fois et c’est cet homme là ». Ainsi commence le récit. L’histoire se situe d’emblée hors du lieu, hors du temps. Qu’importent les causes du conflit, le nom des bourreaux, celui des victimes. Jeanne Benameur ne se frotte pas au journalisme. Le scoop ne l’intéresse pas. Seules demeurent les souffrances et la force des hommes.

La guerre est le point de départ du livre, qui ne s’y résume pourtant pas : bien au-delà, on explore les mille et mille raisons qui nous retiennent tous prisonniers, notre part intime d’otage. Celle du héros comme celle de ces autres hommes, violents et armés ou retirés et paisibles. Comme celle de ces autres femmes, amoureuses délaissées ou victimes de guerre, tous ceux qui ont croisé la trajectoire d’Etienne. Les histoires s’emmêlent, les points de vue se croisent et tissent des vies ; entre choix personnels et déterminisme familial ; entre héroïsme et quotidien. Là encore, bassesse et noirceur existent. Mais un échappatoire subsiste toujours, un refuge, quelque part, pour panser ses plaies : peut-être le village natal, la maison familiale ou la profondeurs de la forêt. Les hommes en perdition s’ouvrent alors à la contemplation, se soustraient aux meurtrissures, s’initient à l’espérance. Contre la haine de soi, contre la peur de l’autre, c’est bien la dernière arme.

Otages intimes, Jeanne Benameur, Ed.Actes Sud, Septembre 2015, 192 pages. 

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