Dans les années 70, Delphine, jeune paysanne débrouillarde à la sexualité assumée rencontre Carole, militante du Mouvement de libération des femmes, parisienne sophistiquée et charismatique. Mais la romance est brutalement interrompue : le père de Delphine a une attaque, ce qui oblige la jeune fille à retourner chez elle pour épauler sa mère. Carole la […]
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]]>Dans les années 70, Delphine, jeune paysanne débrouillarde à la sexualité assumée rencontre Carole, militante du Mouvement de libération des femmes, parisienne sophistiquée et charismatique. Mais la romance est brutalement interrompue : le père de Delphine a une attaque, ce qui oblige la jeune fille à retourner chez elle pour épauler sa mère. Carole la rejoint bientôt. Cependant, transposé en milieu rural, leur amour se heurte à de lourds clivages socioculturels. Un film d’été subtil, agréable et plutôt convaincant.
Dans la vision nostalgique et fantasmée d’une époque libertaire et décomplexée, on retrouve ces couleurs légèrement voilées, ces chemises et ces barbes, ces cigarettes qu’on allume partout, ces bravades perpétuelles contre une société corsetée qui s’ouvre doucement, celle du général de Gaulle et de Pompidou. Catherine Corsini se jette volontiers dans ces images d’Epinal et se paie même le culot de filmer une bande de jeunes fuyant dans la rue au rythme du Move over de Janis Joplin. Après tout pourquoi pas : certains clichés se boivent comme du petit lait. Le Paris de Corsini, celui des luttes féministes, des amphis et des pattes d’eph’ a donc un petit goût d’exotisme mémoriel et se complaît dans le mythe de l’âge d’or. Dans un souci apparent de réalisme, la réalisatrice met en scène des réunions, meetings et débats dans lesquels on s’écharpe, on décide, on chante aussi, à tue-tête et le poing levé. Mais, pareilles à des souvenirs magnifiés, ces scènes sonnent souvent faux. L’excès manifeste d’enthousiasme – d’hystérie dites-vous ? – donne davantage l’impression que les gamines s’amusent, s’encanaillent et que jeunesse se passe. Le regard de Corsini se teinte d’une pointe de condescendance qui dégagerait presque des relents phallocrates. Un comble.
Mais le portrait des luttes féministes n’est pas l’argument essentiel du film, et l’intrigue se focalise très vite sur la romance entre les deux jeunes femmes. Voilà donc une œuvre sur l’amour saphique dont l’appétit pour la représentation du corps féminin est sans limite. Si elles sont tout aussi crues que celles de l’Adèle de Kechiche, les scènes de sexe sont bien moins lubriques. Plus érotiques, plus sensuelles, plus amoureuses, plus joueuses, plus vraies en somme, les amours de Corsini ne révèlent aucune complaisance dans l’exhibition de l’interdit. Elles n’en sont que plus troublantes.
La Belle saison se construit classiquement sur l’opposition entre deux mondes. A la grisaille et aux teintes pastel de Paris s’oppose la lumière étincelante de la campagne estivale, contraste esthétique réussi quand la réalisatrice ne force pas le trait. Au monde intellectuel s’oppose la rustrerie paysanne, à la liberté des mœurs le conservatisme. Néanmoins, chacune des deux représentations échappe à la caricature et se révèle plus complexe. Car si Delphine la paysanne s’immerge sans difficulté dans les milieux sorbonnards et vit très naturellement sa sexualité, Carole la professeure parisienne s’ouvre difficilement à un monde paysan dont elle peine à saisir les blocages, et se découvre non sans surprise une sexualité qu’elle a de toute évidence refoulée. De façon générale, Corsini multiplie les contrepieds et déçoit délicieusement les attentes du spectateur dont elle se joue avec un plaisir non feint.
Les obstacles qui font barrage aux amours ne viennent pas de l’extérieur, mais de déterminismes accrochés fermement aux consciences. Empêtrée dans sa ferme comme dans de la glu, incapable d’abandonner sa mère à sa terre, assommée par le sens des responsabilités, Delphine ne peut choisir sa vie. A l’inverse, Carole est profondément libre parce qu’elle porte en elle la capacité de se laisser détourner de son chemin. Assumer ses choix, faire fi de son environnement et de la pression collective, voilà donc la liberté selon Corsini, un individualisme de combat, existentialisme sartrien théorisé à la ville et mis en pratique à la campagne. Fort heureusement, la réalisatrice a suffisamment de talent pour alléger la leçon. Les acteurs sont convaincants, à commencer par Izïa Higelin qui, remarquable de vérité et d’intensité, se met au diapason d’une œuvre intelligente et toujours plaisante.
Date de sortie : 19 août 2015
Réalisé par : Catherine Corsini
Avec : Cécile de France, Izïa Higelin, Noémie Lvovsky
Durée : 1h45
Pays de production : France
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]]>Un village turc, aujourd’hui. Cinq jeunes sœurs sont confrontées au poids des traditions et contraintes d’abandonner liberté et légèreté pour devenir de bonnes épouses. Dans leur maison devenue prison, éprises d’une impérieuse envie de liberté, elles tentent d’échapper à leur sort. Deniz Gamze Ergüven signe ici un premier long métrage lumineux et terrible : elle filme […]
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]]>Un village turc, aujourd’hui. Cinq jeunes sœurs sont confrontées au poids des traditions et contraintes d’abandonner liberté et légèreté pour devenir de bonnes épouses. Dans leur maison devenue prison, éprises d’une impérieuse envie de liberté, elles tentent d’échapper à leur sort. Deniz Gamze Ergüven signe ici un premier long métrage lumineux et terrible : elle filme avec grâce cinq jeunes filles sublimes, victimes d’une société « qui a tellement peur du sexe que tout devient sexuel »[1]. Un film poignant et engagé.
Le film s’ouvre sur des larmes ; celles d’une fille de 12 ans qui fait ses adieux à son professeur. Mais ce chagrin d’école ne dure pas et laisse bientôt place à des jeux enfantins : les cinq sœurs s’amusent dans la mer avec des garçons. Scène légère, joyeuse, offrant aux spectateurs la beauté sauvage de ces filles dont la vie semble n’être inondée que de soleil et de promesses radieuses. Mais deux d’entre elles ont l’audace de grimper sur des épaules masculines, et l’allégresse tourne court. Dénoncées par une villageoise, les voilà donc accusées de se « masturber sur la nuque des garçons ». Face à l’absurdité de la situation, le spectateur jubile quand l’une des sœurs se met à brûler des chaises : « c’est dégueulasse, elles ont touché nos trous du cul ».
On pressent d’emblée que le poids de principes ancestraux va happer ces filles aux airs d’héroïnes tragiques, et l’on songe volontiers au très beau Virgin Suicide de Sofia Coppola. Cependant, Coppola met en scène un tragique désincarné, quand celui de Deniz Gamze Ergüven est davantage sociétal puisqu’il nait du poids des conventions. Ces jolies filles ne sont pas bien nées, le film se déroule « à mille kilomètres d’Istanbul » au bord de la mer Noire. Leur sensualité apparaît comme un crime aux yeux de l’oncle et de la grand-mère qui les élèvent. Le déshonneur guette. La solution est dramatiquement simple : le mariage. Les jeux innocents et l’école disparaissent alors pour laisser place à l’éducation de la bonne épouse. Les héroïnes sont bridées et leur espièglerie mise à mal.
Qu’elle filme une scène légère ou émouvante, Deniz Gamze Ergüven est toujours très précise. La caméra effleure les longues chevelures baignées de lumière, s’efface pudiquement quand les corps s’imbriquent les uns aux autres dans un moment de complicité volé, plonge sur des visages abasourdis lors d’un mariage arrangé. Les cadres sont composés avec rigueur et la lumière est intelligemment captée. Si certains pourraient regretter un excès de maniérisme, il faut plutôt y voir une mécanique judicieuse : la beauté des images et le soin apporté aux cadres servent toujours le processus tragique. Les instants de complicité ensoleillés, saisis au plus près des corps, se confrontent aux scènes de cris, de pleurs et de châtiments filmés en plan large, projetant ainsi le spectateur au cœur des luttes et des injustices que subissent ces filles.
Ce film est un duel, un combat entre la modernité et l’archaïsme. Il aurait été facile d’en faire un film manichéen, caricaturant une femme victime d’une société conservatrice. Mais Deniz Gamze Erguven est habile, et l’amour qu’elle porte à ses actrices, la foi dont elle leur témoigne, l’empêchent de tomber dans la facilité. Ses personnages deviennent l’incarnation de la modernité, de la liberté, d’un combat qui reste encore à mener. Victimes, oui, mais combattantes. Malgré l’ombre qui menace et le tragique qui s’amplifie, la réalisatrice laisse le spectateur respirer grâce à des moments cocasses et singuliers. Alors que les sœurs sont emprisonnées chez elles et que des barreaux viennent d’être installés aux fenêtres, l’une d’elles propose à la plus jeune d’aller à la piscine. Aller à la piscine alors qu’elles n’ont même plus le droit d’aller dans le jardin ? Se mettre en maillot de bain aux yeux de tous alors qu’elles sont contraintes d’enfiler des robes informes, « couleur de merde » ? Parées de leur maillot, elles plongent sur les matelas installés sur le sol de leur chambre. Moment fugace et drôle, dans lequel, pour un instant, les sœurs retrouvent la légèreté et la liberté qui leur ont été volées.
La composition, la lumière et le décor font de cette œuvre-combat un film d’une grande beauté. Mais elle n’est pas que plastique car elle émerge aussi de la tension entre deux mondes, âge adulte et adolescence, conservatisme et liberté, tradition et modernité, perversion et innocence. Ce long-métrage offre la magie des instants volés, la beauté de l’adolescence et la ferveur d’un combat.
[1] Jean-Jacques Corrio, Rédacteur de Critique Film. Voir la critique ici.
Date de sortie : 17 juin 2015
Réalisé par : Deniz Gamze Ergüven
Avec : Güneş Nezihe Şensoy, Doğa Zeynep Doğuşlu, Elit İşcan, Tugba Sunguroglu, İlayda Akdoğan
Durée : 1h37
Pays de production : Turquie, Allemagne, France
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]]>A la mort de sa sœur, Maria Altmann, octogénaire charismatique et spirituelle établie à Los Angeles, se met en tête de récupérer cinq toiles de Gustav Klimt. Sa famille, des Juifs notables de la Vienne de l’entre-deux-guerres, en a été spoliée lors de l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938. Parmi ces trésors désormais possessions […]
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]]>A la mort de sa sœur, Maria Altmann, octogénaire charismatique et spirituelle établie à Los Angeles, se met en tête de récupérer cinq toiles de Gustav Klimt. Sa famille, des Juifs notables de la Vienne de l’entre-deux-guerres, en a été spoliée lors de l’annexion de l’Autriche par Hitler en 1938. Parmi ces trésors désormais possessions de l’Etat autrichien se trouve le célébrissime « Portrait d’Adèle », tante idôlatrée par Maria. Dans cette quête improbable, elle s’attache les services d’un jeune avocat américain, Randy Schönberg, petit-fils du musicien, qui va découvrir la nature profonde de l’humiliation subie par les Juifs à mesure qu’il explore ses propres origines.
Il était à craindre que Simon Curtis s’abîme dans les poncifs du genre en livrant un énième mémorial des crimes nazis. Mais si le film respecte le cahier des charges du genre et frise par moment le déjà-vu, sa narration est efficace et son rythme impeccable. La mise en scène est sans fausse note et fourmille de bonnes idées. Helen Mirren, l’interprète de Maria, est sublime. Le mot est sans doute galvaudé, mais comment qualifier autrement ce charisme, cette force, cette dignité, cette drôlerie, cette charge émotionnelle évidente mais retenue, cette justesse, cette beauté ?
La Femme au tableau se fonde sur le dialogue permanent entre deux époques. Au passé les faits et les souvenirs de Maria ; au présent le procès et les enjeux qui lui sont liés, pressions des gouvernements, de l’opinion publique, dédales administratifs et judiciaires. Dans cette perspective, le cinéaste se heurte à la difficulté de faire cohabiter les deux temporalités et recourt massivement aux flashbacks, dont il évite habilement les écueils : les nombreuses scènes du passé sont insérées avec pertinence et ne cèdent ni à un tragique stérile, ni à l’exotisme béta du film d’époque. Mieux que cela, chacune de ces analepses est reliée au présent, en levant le voile sur des informations essentielles à la progression de l’enquête et en instruisant le spectateur sur l’état psychologique et émotionnel de Maria : bribes de mémoires subitement reparues, comme le pouvoir d’évocation de la toile ou la visite de l’appartement familial, obsessions nostalgiques, telles que la présence sensuelle de la tante Adèle, images violentes et traumatisantes, à l’instar de la tonte publique des barbes des Juifs ou du marquage systématique de leurs commerces. Chaque image a son importance puisqu’elle explique et motive les actions de Maria. Cet entremêlement de deux époques, lorsqu’il devient total, offre même des fragments d’une touchante beauté : les scènes où Maria octogénaire déambule dans l’appartement viennois de sa jeunesse parmi les souvenirs des siens morts en déportation, des êtres de chair saisis dans le dépouillement de leurs faits et gestes quotidiens, sont des moments de grâce. Le procédé rappelle le très beau travail de la photographe italienne Moira Ricci qui insère sa propre image sur les photos anciennes de sa défunte mère.
La spoliation des biens juifs est un thème assez peu traité par le cinéma bien qu’il s’agisse d’une problématique toujours d’actualité : les acquisitions suspectes peuplent aujourd’hui encore les musées européens[1]. Le thème permet toutefois au cinéaste de prendre le parti des choses : dans cette dénonciation des crimes nazis et de leurs complices inassumés, les victimes sont moins les hommes que les objets. Ainsi vous ne trouverez dans La Femme au tableau ni chambres à gaz, ni violences, ni traces de sévices, mais la caméra s’attarde avec minutie et délicatesse sur les objets dont le rapt provoque la souffrance des victimes. Ainsi du collier d’Adèle, bijou de famille qui fascine la jeune Maria et passe du cou de la tante chérie à celui de l’épouse de Goering. Ainsi du violoncelle « raison de vivre » d’un père au comble du désespoir lorsque l’officier SS s’en empare. Ainsi du fameux portrait bien sûr, qui trônait jadis sur la cheminée du salon et irriguait les réunions familiales de tout son or. Dans un prologue, l’objectif s’attarde en très gros plan sur une feuille d’or que Klimt appose délicatement sur la « Mona Lisa autrichienne », geste de chirurgien, d’artiste et de dévot. Le réalisateur montre une certaine fascination pour ces objets investis d’une sacralité dont la valeur, loin d’être pécuniaire, est avant tout sentimentale. C’est d’ailleurs lorsqu’il en prend conscience que Randy évolue véritablement et prend toute la mesure du travail qu’il vient d’entreprendre. La spoliation des biens juifs s’apparente à un viol puisqu’elle pénètre l’intimité du clan et y dérobe ses totems, qui sont autant de traces d’histoire et d’émotions familiales. Les récupérer, c’est rendre au souvenir sa dignité, c’est recréer un rapport sensuel aux disparus. Lorsque la jeune Maria fait ses adieux à ses parents, la scène bouleverse parce que ceux-ci se tiennent au milieu d’un appartement vidé de ses objets.
Mais l’intime se heurte au collectif : l’Autriche de 1998 n’est plus nationale-socialiste et, si son gouvernement refuse de rétrocéder les trésors de Klimt, c’est parce que le temps en a fait des fétiches nationaux. Les questionnements autour de la sacralité de l’objet paraissent donc infinis. Signe que le cinéaste a su faire de son œuvre un film à part qui étudie la barbarie nazie par une ornière aussi neuve que stimulante.
[1] A ce sujet, lire l’article suivant sur le cas des musées français.
Date de sortie : 15 juillet 2015
Réalisé par : Simon Curtis
Avec : Helen Mirren, Ryan Reynolds, Daniel Brühl
Durée : 1h50
Pays de production : Royaume-Uni, Etats-Unis
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]]>Asif Kapadia a voulu faire « un film honnête et respectueux envers Amy ». Il a fait mieux. Présenté à Cannes hors compétition, le film retrace la vie d’Amy Winehouse, de son adolescence dans la banlieue nord de Londres à sa mort le 21 Juillet 2011. Le titre original « The girl behind the name » définit clairement les intentions […]
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]]>Asif Kapadia a voulu faire « un film honnête et respectueux envers Amy ». Il a fait mieux. Présenté à Cannes hors compétition, le film retrace la vie d’Amy Winehouse, de son adolescence dans la banlieue nord de Londres à sa mort le 21 Juillet 2011. Le titre original « The girl behind the name » définit clairement les intentions du réalisateur : raconter la jeune fille qui se cache derrière l’icône. Il en résulte un voyage bouleversant au cœur d’une existence hors norme. Superbe.
Dotée d’un talent unique au sein de sa génération, Amy Winehouse capte immédiatement l’attention du monde entier. Authentique artiste jazz, elle sublime ses failles personnelles grâce à ses dons de composition et d’interprétation. Cependant, l’équilibre est fragile : l’attention permanente des médias et une vie personnelle très tourmentée la conduisent aux pires excès. Elle accède bientôt au « club des 27 » en rejoignant toutes ces figures de la musique mortes à 27 ans, Jimi Hendrix, Janis Joplin ou encore Jim Morrison.
Le documentaire d’Asif Kapadia est d’une efficacité redoutable : à chaque instant, le spectateur se tient sur un fil entre émotion et distance. Les premières images du film pouvaient laisser penser que le réalisateur allait céder à la facilité : des vidéos amateurs nous projettent dans la maison, la chambre de l’adolescence, elles nous invitent aux anniversaires et aux réunions de famille. Ces instants volés avec une petite caméra grand public du milieu des années 90 pourraient être les nôtres, l’identification est aisée. Pour autant, le réalisateur ne sombre jamais dans le pathos. Le film est rythmé par de nombreux témoignages des proches d’Amy Winehouse, la plupart ont été enregistrés dans le cadre de la préparation du documentaire, et donc, après le décès de la chanteuse. Même si les voix sont lourdes, elles ne sont jamais larmoyantes. Les choix de montage du talentueux Chris King sont toujours pertinents.
Toujours sur un fil, le réalisateur nous projette au plus près de l’expérience émotionnelle d’Amy, on vit, on respire à ses côtés. La forme du documentaire épouse les soubresauts d’une existence chaotique. Pas de flashback ou de flashforward, le récit est rigoureusement linéaire. On consacre de longues minutes à ses problèmes d’addiction. Mais la fin de sa vie est traitée en un éclair, comme pour appuyer la brutalité de sa disparition. Asif Kapadia transforme le dénouement en un coup de théâtre et l’histoire en tragédie.
Ce travail d’équilibriste est soutenu par un scénario habile : le réalisateur a en effet construit la colonne vertébrale de son film à partir des paroles des chansons écrites par Amy Winehouse. Par le prisme de la musique, il a su pointer avec une très grande justesse les évènements clefs de la vie de la chanteuse, notamment sa rencontre avec Blake Fielder, personnage omniprésent qu’elle présente comme son âme sœur. Soyons clairs : la relation entre Amy W et Blake F est connue du grand public. La force du film n’est donc absolument pas de faire partager un scoop qui n’en est pas un. C’est dans la manière d’amener et de faire vivre cette relation au spectateur que le documentaire est touchant, car c’est Amy W qui a majoritairement la parole.
Et en effet, le caractère passionné de la chanteuse happe le spectateur jusqu’à la dernière seconde du film. Le réalisateur traite bien évidemment des multiples dérives toxicomanes du personnage. On comprend pourtant que ce n’est pas le cœur de son propos, car derrière la drogue et l’alcool, il y a avant tout, pour Amy W, la musique. Cette immense passion qui vit littéralement à l’intérieur du personnage. Viscérale, intouchable, d’une pureté quasi religieuse, la relation qu’entretient Amy W avec la musique impose autant le respect que l’admiration. Pour brosser le portrait de la chanteuse, le film s’attarde moins sur ses performances hors du commun que sur l’amour inconditionnel qu’elle porte à son art. On saisira l’essentiel de ce documentaire magnifique si l’on comprend qu’Amy W aura aimé la musique plus que sa propre vie.
Date de sortie: 8 Juillet 2015.
Réalisé par: Asif Kapadia.
Avec: Amy Winehouse, Mark Ronson, Tony Bennett.
Durée: 2h07.
Pays de production: Etats-Unis.
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]]>Entre 1963 et 1965 se tient le second procès d’Auschwitz au cours duquel 22 acteurs mineurs de l’Holocauste sont jugés pour des actes individuels. Giulio Ricciarelli fait le récit de la laborieuse instruction de ce procès historique qui tâcha d’alerter les consciences sur la responsabilité individuelle des « petits », enclins à diluer leur faute dans […]
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]]>Entre 1963 et 1965 se tient le second procès d’Auschwitz au cours duquel 22 acteurs mineurs de l’Holocauste sont jugés pour des actes individuels. Giulio Ricciarelli fait le récit de la laborieuse instruction de ce procès historique qui tâcha d’alerter les consciences sur la responsabilité individuelle des « petits », enclins à diluer leur faute dans les rouages de la machine nazie.
Johann Radmann est un jeune homme fraîchement nommé procureur à Francfort-sur-le-Main, et dont l’activité principale se limite à des délits mineurs. En cette année 1958, un journaliste, Thomas Gnielka, fait irruption dans le palais de justice et réclame qu’une instruction soit ouverte contre un ancien nazi. Ce dernier, responsable de crimes odieux à Auschwitz, coule désormais des jours tranquilles en tant que professeur. Mais Gnielka se heurte à l’indifférence générale, seul Radmann est intrigué. Le jeune homme entame une enquête et finit par être officiellement nommé à la tête d’une instruction à l’ampleur abyssale, puisqu’il doit recueillir toutes preuves utiles des crimes nazis à Auschwitz afin d’en condamner les auteurs.
Après Phoenix de Christian Petzold, le cinéma allemand contemporain démontre une fois encore son intérêt pour les difficiles années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Comment pardonner ? Comment assumer les crimes commis par le voisin, l’oncle, ou même le père ? Radmann est d’abord le témoin d’une omerta générale, ou plutôt d’un déni. Comme l’en avise un collègue, toutes les guerres ont après tout leur lot de crimes, et l’histoire officielle est toujours celle des vainqueurs. En cela, l’Allemagne n’a pas à payer encore ; il est temps de passer à autre chose. Une posture confortable qui se double d’une ignorance terrible. Comme en France à la même époque, l’Allemand moyen ignore tout de l’holocauste, et le mot Auschwitz n’évoque rien à ses oreilles. Les SS et les cadres nazis sont encore omniprésents au sein de la société : du juge au haut fonctionnaire en passant par le simple boulanger, les miasmes du IIIème Reich parsèment la société toute entière et la musèlent dans un silence assourdissant. Pour en révéler la substance, Giulio Ricciarelli joue à merveille sur le détail et l’anecdote.
Mais la prise de conscience progressive de Radmann et l’évolution du personnage sont sans conteste les plus belles réussites du film. D’abord ignorant des crimes nazis comme tant d’autres, il témoigne d’un intérêt croissant qui se focalise sur la figure du terrible docteur Mengele et vire à l’obsession. Le jeune procureur passe de l’effroi à la colère et endosse rapidement le costume d’un banal père-la-morale qui enquête, traque et condamne avec la certitude des justes. On aurait pu en rester là, mais voilà que Radmann apprend que son père était aussi carté au parti nazi, et ses certitudes s’effondrent. Dès lors, il comprend qu’il ne mène pas là une simple croisade du bien contre le mal, mais qu’il a pénétré l’insondable sac de nœuds que représente la psyché du peuple allemand. Blessé dans sa chair, tour à tour abattu et révolté, Radmann chute de son piédestal et réalise qu’il n’est qu’un Allemand parmi d’autres, incapable de concilier un passé collectif qui le submerge avec sa morale personnelle. D’abord insipide, le personnage prend de l’épaisseur à mesure qu’il se noie dans la nécessité double et paradoxale de se souvenir et d’oublier, de condamner et de pardonner.
Giulio Ricciarelli saisit donc avec brio l’impossible pardon allemand. Mais incapable de respecter son sujet, ou simplement de lui faire confiance, il commet la regrettable erreur de le parer d’inutiles fanfreluches. Le philosophe Adorno avait créé une polémique en affirmant qu’écrire un poème était intenable après Auschwitz. Dans sa lignée, Claude Lanzmann avait estimé que le documentaire était seul capable de saisir la vérité du génocide, et que toute tentative de styliser un témoignage ou, pire, de recourir à la fiction ou au pathos, était obscène. Si Adorno ou Lanzmann n’ont sans doute pas complètement raison, force est de constater que le trop plein musical du film, son montage souvent manichéen et sa direction d’acteurs sans retenue nuisent à cet immense sujet, et traduisent davantage le peu d’estime que le réalisateur porte à son public. On regrette qu’il ne s’en soit pas tenu à la scène poignante du premier témoignage recueilli par Radmann et sa dactylo, dans laquelle les mots du survivant ne nous parviennent pas, mais où l’effroi et la tristesse de la secrétaire disent tout. De l’émotion, donc, mais au service d’une certaine pudeur. La preuve que le réalisateur ne manque pas d’à propos et qu’il s’est, hélas, laissé déborder par une coupable envie de trop bien faire.
Date de sortie : 29 avril 2015
Réalisé par : Giulio Ricciarelli
Avec : Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht
Durée : 2h03
Pays de production : Allemagne
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]]>Le titre, l’affiche, l’aura de film d’auteur suscitent la curiosité et l’appétit du spectateur. On ressort de la séance avec des sentiments mitigés : on a un peu ri, on a été un peu ému mais on est surtout très irrité par le personnage sur lequel repose tout le film… Vincent est un trentenaire français. Il […]
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]]>Le titre, l’affiche, l’aura de film d’auteur suscitent la curiosité et l’appétit du spectateur. On ressort de la séance avec des sentiments mitigés : on a un peu ri, on a été un peu ému mais on est surtout très irrité par le personnage sur lequel repose tout le film…
Vincent est un trentenaire français. Il est à New York afin de reconquérir une femme, Barbara, qui l’a quitté. Elle lui annonce qu’elle lui a acheté un billet de retour pour Paris. A partir de là, Vincent s’accroche, s’entête et se livre aux figures imposées du mec lourd, de la bravade face au nouveau copain de Barbara à la visite impromptue chez elle le dimanche matin. Radieuse, une fille danoise rencontrée dans un bar l’accompagne durant une partie de son errance new-yorkaise.
Vincent (Macaigne) est un antihéros. Tout repose sur lui et pourtant il ne répond de rien. Il nous accompagne de sa voix éraillée jusqu’au générique de fin, mais on sait qu’on ne peut pas compter sur lui. Les mots qui viennent à l’esprit pour le qualifier renvoient à l’univers voire à l’esthétique de la dépression : hirsute, voûté, houellebecquien, pathétique enfin. La première scène avec Barbara nous le montre la nuit sur les rives de l’Hudson River. Mal à l’aise, il quémande un peu d’affection. Il fait le pitre, campe pour lui-même autant que pour celle qu’il dit aimer (on en doute jusqu’à la fin) un personnage très français : avec un very french accent, il se montre tour à tour spirituel, cynique, sensible, surtout préoccupé de ses propres effets. Et il en sera ainsi durant tout le récit : le personnage, très autocentré, rebelle post-adolescent, ne semble pas vouloir accepter le monde tel qu’il est. Son errance new-yorkaise est une fuite en avant, avec ce que cela peut avoir d’enivrant et de douloureux lorsque vient le moment inéluctable de faire les comptes. La dernière partie du film organise une rencontre avec Louise, la jeune sœur de Vincent, et leur père. L’image de l’adolescent attardé devient alors presque insupportable pour le spectateur comme pour le personnage lui-même, qui se fait alors plus sombre.
La caméra d’Armel Hostiou saisit avec vérité ce personnage et ses errances. Sans rien démontrer, au plus près de sa souffrance, le réalisateur lui insuffle une énergie quasi godardienne. Pourtant, le spectateur ne parvient pas à ressentir de l’empathie pour ce clown triste, qui choisit de faire les erreurs qu’il fait et qui, en somme, se complaît de façon banale dans le chagrin d’amour. C’est pourquoi on s’agace contre le personnage et une mise en scène qui hésite littéralement à prendre ses distances avec ce dernier. S’agit-il d’un théâtre de la cruauté ? Certes, il n’est pas plaisant de s’identifier à un tel personnage. Pour autant, on se reconnaît parfois dans cette âme qui touche le fond. Et on ressort de l’épreuve un peu plus vivant, comme régénéré.
D’ailleurs, qu’on aime ou non le personnage, quelque chose transcende notre rapport à lui : c’est ce qui advient dans la grande métropole. New-York, la ville qui ne dort jamais, est filmée comme le Paris de Baudelaire : lieu des possibles et de l’instant fugace. Sofie, la danoise solaire, incarne la vie incandescente de la grande métropole. Bien que l’idylle avec Vincent avorte de façon cruelle, il n’en reste pas moins qu’ils ont volé à la ville, prosaïque et fonctionnelle, des instants de plénitude et de poésie. Dans sa méchanceté furieuse et gratuite, Vincent pourrait crier comme le sujet baudelairien du « mauvais vitrier » : La vie en beau ! La vie en Beau !
Titre original : Une histoire américaine
• Réalisation : Armel Hostiou
• Scénario : Armel Hostiou, Vincent Macaigne, avec la participation de Léa Cohen
• Acteurs principaux : Vincent Macaigne, Kate Moran, Murray Bartlett
• Pays d’origine : France
• Sortie : 11 février 2015
• Durée : 1h25
• Distributeur : Ufo Distribution
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]]>Le film de zombies à résonance politique retrouve ses lettres de noblesse avec David Robert Mitchell. Un vrai propos, mais aussi une plastique impeccable et une narration efficace. Et le plaisir du frisson, bien sûr. Un plan circulaire balaye une rue austère du Michigan. Une jeune fille prise de panique se précipite hors de la […]
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]]>Le film de zombies à résonance politique retrouve ses lettres de noblesse avec David Robert Mitchell. Un vrai propos, mais aussi une plastique impeccable et une narration efficace. Et le plaisir du frisson, bien sûr.
Un plan circulaire balaye une rue austère du Michigan. Une jeune fille prise de panique se précipite hors de la villa familiale. Pieds nus au milieu de la rue, en petite tenue, elle observe quelque chose dans un mélange d’effroi et de résignation. Tout va bien ?, lui demande une voisine. Oui, répond-elle mécaniquement sans quitter cette chose des yeux. Elle scrute, piétine à reculons, se rue dans sa maison en évitant son père circonspect, récupère les clés de la voiture et fonce droit devant elle.
Tout est là dans ce prologue. It Follows est un film de zombies soft qui cultive l’horreur non par le spectaculaire ou l’effet de surprise, mais par la lenteur et la sobriété. La chose en question est simple mais terrifiante. Elle adopte l’apparence d’un anonyme ou d’un proche, et marche lentement vers sa victime. Elle marche, inexorablement. Elle finit toujours par retrouver sa cible, quelle que soit l’avance qu’elle parvient à prendre sur elle. Une seule façon de s’en débarrasser : coucher avec une personne qui deviendra dès lors sa nouvelle convoitise. Ce zombie sexuellement transmissible n’est visible que par ses proies, qu’il n’oublie jamais : s’il réussit à tuer, il se retourne vers la cible précédente.
Il faut voir ces êtres désincarnés marcher le regard hagard vers Jay, l’héroïne du film. Il faut la voir – elle comme nous – suspecter chacun des passants qui se dirigent vers elle. L’effroi naît de l’anonymat et tout le monde devient suspect. La foule devient terrifiante, l’autre est un cauchemar. Dans une tension permanente, rehaussée par une bande originale brillante de minimalisme et d’efficacité, l’image saisit cette banalité de l’horreur par l’exploitation prodigieuse des plans larges et des travellings. Dans ce projet visuel, le décor est donc essentiel : It Follows met en scène un Detroit ravagé par la crise, sinistre, misérable et sans vie, qu’il s’agisse de masures à l’abandon ou de rues mornes et déprimantes bordées de pavillons pour classes moyennes. La photographie est léchée, composée avec soin et ne se départit jamais d’une grisaille exploitée dans toutes ses nuances. David Robert Mitchell démontre une certaine fascination pour la ruine et la misère. Ce sordide attrait pour les dégradations subites et spectaculaires qui ont fait suite à la crise des subprimes est en vogue. Il flirte de toute évidence avec un voyeurisme de mauvais aloi, à moins qu’il ne s’agisse d’un moyen de conjurer l’effroi des destructions sociales à l’œuvre. Quoi qu’il en soit, l’image est belle. La crise a cela d’horrible qu’elle a rendu possible une puissante esthétique de la ruine sur laquelle des artistes tels qu’Hubert Robert hier, ou Vincent J. Stocker aujourd’hui ont admirablement travaillé.
Mais la pertinence de cette représentation n’est pas qu’esthétique. Entre la photographie de la crise et le choix du zombie existe en effet un lien évident : solitaire, lent et inéluctable, le prédateur apparaît bien vite comme une incarnation du tragique des régions désindustrialisées américaines, comme pour souligner l’extrême individualisation de ces nouvelles formes de précarité et l’inexistence des réponses collectives. Là où la tradition du film de zombies aimait créer du collectif par des armées d’agresseurs ou des foules de victimes, It Follows concentre sa tension dramatique sur un être anonyme et profondément individuel. Ici, le mal est secret, le fardeau impartageable, la souffrance confidentielle. Comble de l’horreur, l’intimité amoureuse devient soit impossible, parce qu’on transmet à l’autre, soit utilitaire, parce qu’on sauve momentanément sa peau. Tout dans It Follows semble interdire le partage et le bonheur collectif. Si Jay peut encore bénéficier du soutien de ses semblables, c’est en gagnant lentement la confiance de ses amis, et en ne comptant que sur leurs sentiments. Une bien faible lueur d’espoir.
Date de sortie : 4 février 2015
Réalisé par : David Robert Mitchell
Avec : Maika Monroe, Keir Gillchrist, Daniel Zovatto
Durée : 1h40
Pays de production : Etats-Unis
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]]>Inspiré de l’autobiographie du tireur d’élite américain, Américan Sniper nous conte les allers-retours de Chris Kyle entre le champ de bataille irakien et son foyer familial. Le dernier Eastwood, réglé comme du papier à musique, est éminemment ambigu. Il en émane toutefois une tristesse sourde, à mettre au crédit de la très belle performance de […]
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]]>Inspiré de l’autobiographie du tireur d’élite américain, Américan Sniper nous conte les allers-retours de Chris Kyle entre le champ de bataille irakien et son foyer familial. Le dernier Eastwood, réglé comme du papier à musique, est éminemment ambigu. Il en émane toutefois une tristesse sourde, à mettre au crédit de la très belle performance de Bradley Cooper.
Dans le bourbier irakien de 2003, les Marines ont à leur côté des hommes comme Chris Kyle, des tireurs d’élite chargés d’assurer la protection de ceux qui risquent leur vie en première ligne. Chris Kyle, sniper chez les Seals, ne doute pas une seconde de sa mission ; dès l’enfance, son père lui a appris à se comporter comme un gardien des siens et de son peuple. Il a si bien retenu la leçon qu’il est devenu le sniper le plus meurtrier de l’histoire américaine. Chris Kyle est un homme hors norme, une légende pour les siens, « Shaytan », Satan, pour ses ennemis. Dans son impeccable interprétation du héros made in USA, Bradley Cooper a considérablement forci au point que, à côté de Kyle, tous semblent petits et fragiles. Le sniper est une bête, une montagne de muscles peu loquace et en même temps, le plus précis des tueurs.
Le dernier film de Clint Eastwood raconte cette légende dans un découpage scénaristique on ne peut plus classique puisqu’après quelques scènes évoquant la jeunesse de Kyle, le film raconte alternativement ses missions en Irak et ses retours au Texas auprès de sa femme Taya et de leurs enfants. Et c’est à peu près tout. A l’image de son protagoniste, American Sniper est étonnamment peu disert et ne propose pas d’héroïque retournement de situation ; malgré le suspense qui sous-tend les scènes de guérillas urbaines, le film suit son cours comme Kyle suit sa vocation de gardien, taiseux et déterminé.
Bradley Cooper campe un type simple et bon, assuré en tout cas de faire le bien : Kyle ne baisse jamais la garde et conserve une foi absolue en la légitimité de sa mission. Il est un roc alors qu’autour de lui, amis, femme et frère faiblissent, tremblent, critiquent le conflit irakien. Eastwood laisse certes apparaître çà et là des failles dans les certitudes et la solidité morale de son héros. Mais jamais le réalisateur ne sombre dans une psychologisation attendue. Dans le cahier des charges du film de guerre américain, le spectateur guette, quand vient le moment du retour au pays, l’épisode post-traumatique, la souffrance psychique. Eastwood ne balaye pas ces enjeux, mais les évoque en sourdine. A la fin d’American Sniper, Kyle rencontre bien un psy, mais loin de s’engager dans une cure réparatrice, il choisit d’aider les autres blessés, de les accompagner dans leur rééducation : jamais victime, toujours héros.
On a de fait droit à tous les poncifs du genre : l’ami qui meurt des suites d’une bataille, le frère engagé qui rejette la guerre, sa femme qui l’implore de rentrer. Tout cela fait bien vaciller quelque peu le géant texan, mais jamais celui-ci ne remet en cause ouvertement le conflit, jamais il ne fait part des images qui le hantent. La conscience agitée de Kyle est enfouie dans les plis de ses muscles, derrière ses lunettes noires. Là réside le génie d’Eastwood, qui ne fait pas de son protagoniste le dépositaire d’un quelconque propos sur la guerre. Chris Kyle est au-delà ou en deçà de tout point de vue, il résiste, par son mutisme et sa conviction chevillée au corps, à toute lecture simpliste. Dans un sens comme dans un autre d’ailleurs.
American Sniper est littéralement discutable. Au point qu’aux US, il a fait resurgir le virulent débat entre pros et anti-guerre. Quant à la critique, elle se divise entre ceux qui ne voient dans le film qu’une ridicule hagiographie patriotique, et ceux qui prétendent y lire un pamphlet pacifiste. Tout cela n’est ni vrai ni faux. C’est vrai le film est lourdement patriotique si l’on en croit le générique final durant lequel le réalisateur insère les véritables images de l’enterrement de Kyle, ovationné par une foule reconnaissante. Mais cette lecture est largement nuancée si l’on tient compte du fait qu’Eastwood invente de toute pièce le personnage du tireur syrien, qui ne figure pas dans l’autobiographie de Chris Kyle. Or, lui aussi a femme et enfant, il est beau et il a pour lui d’être un ancien champion olympique. Bref, à l’aune de ce personnage, la guerre est incontestablement absurde et pousse à faire s’entretuer des pères de famille, pire, des semblables.
La maîtrise du réalisateur et notamment sa science de l’espace lorsqu’il filme la guerre en milieu urbain sont au service d’une œuvre qui n’a pas de propos distinct. A l’instar de l’ultime scène de combat qu’une tempête de sable rend visuellement incompréhensible, American Sniper brouille les pistes, voile, au spectateur désorienté, tout sens univoque. Eastwood remet entre nos mains le film et à nous de nous débrouiller avec cette guerre insensée et cet homme secret, terriblement émouvant dans ses silences.
Date de sortie : 18 février 2015
Réalisé par : Clint Eastwood
Avec : Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes…
Durée : 2h12
Pays de production : USA
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]]>Pour son deuxième long-métrage, largement autobiographique, Alice Rohrwacher filme avec délicatesse et humour une famille d’apiculteurs de l’Ombrie, confrontée aux difficultés financières et aux désirs d’émancipation des enfants. Touche après touche, elle brosse le portrait tout en nuances d’un monde précieux mais précaire, menacé, d’un monde semblable à l’enfance, qui ne peut perdurer et qu’on […]
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]]>Pour son deuxième long-métrage, largement autobiographique, Alice Rohrwacher filme avec délicatesse et humour une famille d’apiculteurs de l’Ombrie, confrontée aux difficultés financières et aux désirs d’émancipation des enfants. Touche après touche, elle brosse le portrait tout en nuances d’un monde précieux mais précaire, menacé, d’un monde semblable à l’enfance, qui ne peut perdurer et qu’on voudrait pourtant conserver à jamais.
Dans le film, il y a deux façons de regarder ce monde, deux façons de le représenter. Celle de la télévision locale italienne, qui fabrique des clichés à la pelle et de l’authenticité de pacotille ; celle du cinéma, attentive à la singularité des êtres et à l’humble beauté des choses. L’univers de la télé attire Gelsomina, la fille aînée de l’apiculteur, fatiguée par un quotidien laborieux et bien austère pour une adolescente. Séduite par l’animatrice de l’émission « Le jeu des merveilles », une sirène d’hypermarché (la belle Monica Belluci !), elle inscrit la ferme de son père à ce concours qui offre une récompense financière au producteur le plus typique de la région. La réalisatrice prend alors plaisir à filmer la préparation de l’émission, et la façon dont l’équipe stéréotype le réel : le jeu a lieu dans une grotte, pour rappeler l’origine étrusque de la population – l’apiculteur, lui, s’appelle Wolfgang et vient d’Allemagne…-, tous les participants sont vêtus de toges pastorales et on demande à une vieille grand-mère de pousser la chansonnette. Alice Rohrwacher, elle, fixe d’autres règles du jeu ; du monde de l’enfance comme de la vie à la ferme, elle veut capter précisément le quotidien modeste, l’insolite aussi, dans les surprises de l’imaginaire enfantin : les deux sœurs jouant à boire la lumière dans une grange, Gelso enfermant des abeilles dans sa bouche et les laissant sortir une à une, la petite Marinella expulsant une crotte devant toute la famille réunie en pleine nuit. Tel est le miel récolté par la réalisatrice.
Cette vie de famille à la ferme, Alice Rohrwacher n’en fait pas une romance bucolique. Cette vie, elle la connaît et peut la représenter dans toute son âpreté. La première scène du film, qui s’attarde sur l’ouverture de la chasse tout près de la ferme, signale d’entrée le danger qui rôde autour de la petite entreprise. Le couple est par ailleurs soumis à toutes sortes de pressions : obtenir un maximum de miel, payer les traites et, dernière en date, restructurer complètement le laboratoire de production pour satisfaire aux récentes normes en vigueur. Le travail en lui-même est intense et met à contribution toute la famille. Les filles, censées être en vacances, sont réveillées tous les matins par les hurlements du père : il faut transporter les ruches, nettoyer les cadres, collecter de nouveaux essaims. Lorsque Gelsomina court dans l’hôpital où sa petite sœur est blessée, obnubilée par le changement du seau sous l’extracteur, on prend la mesure de l’aliénation générée chez ces enfants – ce nom même de Gelsomina ne renvoie-t-il pas à la pauvre saltimbanque exploitée dans « La strada » de Fellini ?
Les Merveilles est aussi un beau film sur la relation père/fille, un double récit d’apprentissage qui suit l’apiculteur et Gelso sur la voie parfois douloureuse de la séparation. Le personnage du père est au départ frappé d’immobilisme, entièrement attaché à ce que rien ne change, ni dans les techniques agricoles utilisées, ni dans l’union des siens autour de la production. Il s’est jusqu’alors approprié sa grande fille, devenue son assistante à plein temps. Tout en lui donnant de lourdes responsabilités, il la fige dans ses désirs d’enfant – l’achat du chameau, à l’heure où son aînée s’éveille à l’amour, témoigne ainsi d’un passéisme délirant. Mais Gelso, avec la complicité des femmes de la maison, impulse à tout prix le mouvement, en les s’inscrivant secrètement au jeu concours, en tissant peu à peu une relation avec le jeune Martin, délinquant placé dans la famille pour lui éviter la prison. Alice Rohrwacher montre alors comment père et fille acceptent progressivement de se regarder autrement, d’aimer sans posséder, d’être aimé sans rogner son désir propre.
Grand Prix du jury au festival de Cannes? Oui. On aime ce film à la fois réaliste et merveilleux, que la présence des enfants conduit à échapper sans cesse au réel – la réalisatrice fait ainsi plusieurs fois glisser sa caméra des choses à l’ombre des choses, réelle ou imaginaire, plus fidèle aux projections enfantines On aime cet art de rendre lisible tout en préservant absolument le mystère de chaque personnage, mystère qui laisse aux spectateurs la place de rêver, d’imaginer, comme des enfants.
Date de sortie : 11 février 2015
Réalisé par : Alice Rohrwacher
Avec : Maria Alexandra Lungu, Sam Louwyck, Alba Rohrwacher, Monica Belluci
Durée : 1h51 min
Pays de production : Italie
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]]>Comment survivre à l’holocauste et redevenir soi-même ? Comment faire confiance à ceux qui ont peut-être trahi ? Christian Petzold tâche d’apporter quelques réponses dans un film secret et délicat. Automne 1945. Nelly Lenz a survécu à l’holocauste. Mais peu avant l’arrivée des Alliés, une dernière balle a détruit son visage. De retour à Berlin, soutenue par […]
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]]>Comment survivre à l’holocauste et redevenir soi-même ? Comment faire confiance à ceux qui ont peut-être trahi ? Christian Petzold tâche d’apporter quelques réponses dans un film secret et délicat.
Automne 1945. Nelly Lenz a survécu à l’holocauste. Mais peu avant l’arrivée des Alliés, une dernière balle a détruit son visage. De retour à Berlin, soutenue par Lene, une amie fidèle à la présence maternelle, elle subit une lourde « reconstruction » faciale. Les médecins l’interrogent sur l’aspect à donner à ce nouveau visage : celui d’une starlette à la mode peut-être ? Pourquoi pas profiter de cette occasion pour faire table rase ? Mais Nelly refuse : elle veut retrouver ses traits d’avant l’horreur et redevenir la chanteuse de cabaret qui écumait la ville avec son mari Johnny, lui-même musicien. Son visage à peine rafistolé, elle n’a qu’une idée en tête : retrouver celui qu’elle aime et dont le souvenir lui a permis de survivre aux camps. Mais Lene lui suggère bientôt que ce dernier est probablement responsable de sa déportation…
Errant parmi les ruines, se heurtant à la faune interlope de Berlin occupé par les troupes alliées, un Berlin de crime, de luxure et de corruption, elle finit par retrouver « son » Johnny. L’ancien pianiste est devenu homme à tout faire dans un obscur cabaret. Il ne reconnaît pas sa femme qu’il croit morte. Cependant, troublé par sa ressemblance, il lui propose un étrange jeu de dupes : l’inconnue doit se faire passer pour Nelly, sa défunte épouse, afin de toucher l’important héritage qui lui est dû et qu’ils se partageront alors.
Dès lors, Johnny enseigne à Nelly comment être Nelly dans un étonnant apprentissage. Celle qui n’est plus qu’un fantôme, revenue d’entre les morts, défigurée, accepte d’apprendre à devenir celle qu’elle a naguère été. Voilà d’abord pour la jeune femme un moyen efficace d’en savoir davantage sur les sentiments de Johnny et d’enquêter sur les circonstances de son arrestation. Mais cette situation paradoxale épouse surtout parfaitement son état psychique : rescapée de la Shoah, étrangère à elle-même, Nelly doit renouer avec son identité et reconquérir son humanité. Comment redevenir soi, après tout cela ? Comment redevenir soi en ce lieu, avec ces gens ? Lene, l’amie fidèle, apporte une réponse définitive : c’est impossible. Ne reste que la fuite en Palestine … ou la mort.
Et que faire de Johnny ? Un salaud ? Un misérable pygmalion dont la créature ne vaut que pour ce qu’elle pourra lui rapporter ? Un homme ordinaire contraint à la pire des vilenies par des circonstances extraordinaires ? L’Histoire l’a sans doute dépassé ; le IIIème Reich et la guerre ont tiré ce qu’il y avait de pire en l’homme. Mais a-t-il vraiment trahi ? A t-il aimé sa femme ? L’aime-t-il même encore ? Dans les séquences où Johnny dirige son actrice affleure une émotion ténue qui résonne douloureusement, comme l’aveu d’échec d’un metteur en scène qui ne parvient pas à redonner corps à celle qu’il a aimée. A moins que l’on ne fasse fausse route, et qu’il ne faille y voir que de la déception d’un faussaire redoutant de futurs déboires. L’ambiguïté du personnage est rendue admirablement par la caméra de Christian Petzold qui s’en tient au point de vue de la jeune femme et ne livre ainsi que des bribes d’incertitude.
La mise en scène de Christian Petzold, qui s’attache ici à un très grand sujet, se signale par son élégance et sa délicatesse. L’image ne condamne jamais abruptement et se contente de faire éclore des fragments d’émotion tout en retenue, comme si ces accès ne pouvaient faire autrement que jaillir, bien que tout ait été fait pour les comprimer pudiquement. En témoigne la sublime scène où Nelly, agrippée à la taille de Johnny sur sa mobylette, susurre le scénario de sa dénonciation, une hypothèse qui comprend et pardonne sans pourtant nier les faits. Un océan d’humanité et d’amour qui ne recueille que l’indifférence d’un Johnny incapable de reconnaître celle qu’il a aimée.
Petzold adopte une narration sobre et lente pour que chacun de ces fragiles instants soit profondément investi par le spectateur. Il faut prendre le temps de sentir l’absurdité de la situation, de saisir l’incompréhension de Nelly, son effroi et sa stupeur, son amour et ses espoirs vains. A travers le parcours d’une survivante, Petzold esquisse le portrait d’un peuple tout entier et filme une réconciliation impossible. Nelly, de bout en bout, demeure un fantôme qui n’a pas sa place à Berlin, que d’aucuns préféreraient sans doute tout à fait mort. Sa dernière apparition est d’ailleurs spectrale : tournant le dos à ceux qui l’ont reconnue, elle quitte la scène en glaçant son auditoire.
Date de sortie : 28 janvier 2015
Réalisé par : Christian Petzold
Avec : Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Nina Kunzendorf
Durée : 1h38
Pays de production : Allemagne
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