Vous n’emportez que des policiers dans vos valises d’été? Qu’à cela ne tienne, vous pouvez conjuguer cette passion estivale avec la découverte d’un grand classique de la littérature russe du XIXème : Crime et châtiment. Non seulement vous y retrouverez tous les ingrédients nécessaires à vos plaisirs de lecture (un meurtre, une hache, un juge […]
The post Crime et Châtiment, Dostoïevski appeared first on Les heures perdues.
]]>Vous n’emportez que des policiers dans vos valises d’été? Qu’à cela ne tienne, vous pouvez conjuguer cette passion estivale avec la découverte d’un grand classique de la littérature russe du XIXème : Crime et châtiment. Non seulement vous y retrouverez tous les ingrédients nécessaires à vos plaisirs de lecture (un meurtre, une hache, un juge d’instruction malin et sinueux…) mais vous apprécierez certainement la surprise que vous réserve Dostoïevski en vous faisant suivre de bout en bout le point de vue de l’assassin!
Petit détour donc par un succès de l’année 1866. Fédor Dostoïevski, criblé de dettes (il est joueur…) et très affecté par plusieurs décès consécutifs, reprend à bras le corps l’idée déjà ancienne d’une « confession de criminel » dans une Petersburg étouffante et misérable. Naît alors le célébrissime Raskolnikov, étymologiquement « le schismatique », qui rompt avec la communauté des humains en commettant l’irréparable. « C’est moi que j’ai tué, moi et pas elle, moi-même, et je me suis perdu à jamais » avoue le jeune homme perclus d’angoisse. Voilà ce qui intéresse Dostoïevski qui suit pas à pas son personnage dans les semaines qui suivent le meurtre, le « compte rendu psychologique d’un crime ». La tension dramatique du récit ne porte donc en aucune façon sur l’identité de l’assassin (cela vous changera) mais sur la possibilité pour celui-ci d’accéder au remords et de reprendre pied dans son humanité.
Le mobile? Sans le sou, Raskolnikov a dû quitter l’université et se replie, seul et désoeuvré, entre les murs de son gourbi. Assez vite, la nécessité le conduit chez une vieille usurière dont il projette peu à peu le meurtre et le vol. Alors quoi? L’argent? L’étudiant ne prend pas la peine d’ouvrir la bourse dérobée chez sa victime ; il la cache sous une pierre et n’y revient jamais. Plusieurs hypothèses sont ouvertes par l’auteur. Peut-être Raskolnikov a-t-il voulu éviter le sacrifice de sa soeur restée en province, fiancée à un homme qu’elle n’aime pas pour assurer un certain confort aux siens ; peut-être s’est-il dégoûté d’un avenir universitaire qui de toute façon l’aurait conduit à végéter dans une relative misère. Non, son « mal vient de plus loin ». Raskolnikov est la déclinaison russe des grands héros romantiques du XIXème, il rêve à Napoléon et pleure de se voir si faible et impuissant. Comme le devine le juge d’instruction, comme le jeune homme l’avoue plus tard, le meurtre est davantage une mise à l’épreuve d’une philosophie du « surhomme » à laquelle il a quelque temps auparavant consacré un article : si lui-même ose s’affranchir des lois réservées aux hommes ordinaires, « franchir l’obstacle » sans rien regretter, cela ne signifie-t-il pas qu’il a l’étoffe des plus grands, promis aux destins d’exception? Mais voilà que sa conscience supporte mal l’acte qui devait définitivement le distinguer de la « vermine »…
Le projet de « confession » formulé par Dostoïevski s’éclaire alors pleinement. Il ne s’agit pas seulement pour l’auteur d’enregistrer les mouvements intérieurs du criminel après les faits. Le roman, comme son titre binaire le suggère, fait véritablement le récit d’une conversion (et là, il faut le reconnaître, c’est un policier qui vous emmène un peu ailleurs) : celle d’un athée qui s’ouvre à la foi, celle de l’orgueilleux déchu qui se reconnait et s’accepte dans la plus humble humanité. Sur le chemin de la repentance, Dostoïevski poste plusieurs personnages clés, qui parfois semblent détourner le récit de son lit, mais jouent auprès du criminel un rôle prépondérant : Marmeladov le fonctionnaire alcoolique, Svidrgaïlov, l’escroc impénitent, sorte de double repoussoir qui finit par se suicider, Nina enfin, symbole de l’humanité souffrante, la prostituée sacrifiée qui jamais n’abandonne l’ange déchu.
Il est vrai que le prisme chrétien qui préside à l’écriture de Crime et châtiment peut paraitre bien prégnant, tant dans la direction donnée au récit que dans le détail de scènes truffées de références bibliques. Pour autant, le parcours de ce jeune homme, que l’amour inentamé des siens aide à retrouver un lien à lui-même et au monde, reste profondément touchant. Quant à ceux qui réclament les sensations fortes promises par le policier, ils ne seront pas déçus par le sens du détail et du suspense dont témoigne Dostoïevski dans bien des scènes qui savent parfaitement tenir en haleine.
The post Crime et Châtiment, Dostoïevski appeared first on Les heures perdues.
]]>O vous, frères humains, qui assistez impuissants à la montée de l’antisémitisme, du racisme, de la haine de l’autre, lisez, faites lire le cri déchirant qu’un enfant adresse à l’humanité hostile qui l’entoure ! … 1905. La France est déchirée par l’affaire Dreyfus. Les « mort aux juifs » fleurissent sur les murs gris. De ce contexte social, […]
The post Ô vous, frères humains, Albert Cohen appeared first on Les heures perdues.
]]>O vous, frères humains, qui assistez impuissants à la montée de l’antisémitisme, du racisme, de la haine de l’autre, lisez, faites lire le cri déchirant qu’un enfant adresse à l’humanité hostile qui l’entoure ! …
1905. La France est déchirée par l’affaire Dreyfus. Les « mort aux juifs » fleurissent sur les murs gris. De ce contexte social, il n’est presque jamais question dans le récit : Albert Cohen ne livre qu’un infime souvenir, quelques minutes de vie qui ont déterminé une existence de malheur.
1905, donc. Voilà plusieurs années qu’un petit garçon a quitté les Balkans à la suite de violents pogroms pour s’installer en France, son pays d’adoption, pays chéri auquel il dédie un autel dans le secret de sa chambre, « une crèche patriotique, une sorte de reliquaire des gloires de la France qu’entouraient des petites bougies, des fragments de miroir, des billes d’agate ».
« En ce seizième jour du mois d’août, à trois heures cinq de l’après-midi », l’enfant s’apprête à fêter ses dix ans. Les petites bougies roses trônent déjà sur le gâteau. Il marche gaiement, innocemment, naïvement dans les rues de Marseille, à la recherche d’une bonne occasion de dépenser les trois francs que sa maman lui a donnés pour son anniversaire. Un vendeur, séduisant beau parleur, lui offre cette occasion : le petit décide d’acheter trois bâtons de détacheur pour faire plaisir à sa mère et la soulager de ses tâches ménagères. Trois bâtons pour plaire au camelot et lui donner une raison de remarquer cet enfant sage et aimant. Trois bâtons pour rester un moment dans le cercle rassurant des badauds, pour sentir leur connivence, pour être intégré. « Mais alors, rencontrant mon sourire tendre de dix ans, sourire d’amour, le camelot s’arrêta de discourir et de frotter, scruta silencieusement mon visage, sourit à son tour, et j’eus peur ».
L’univers enfantin vacille. L’innocence soudain s’envole. Débute le cauchemar : « Toi, tu es un youpin, hein ? me dit le blond camelot aux fines moustaches que j’étais allé écouter avec foi et tendresse à la sortie du lycée, tu es un sale youpin, hein? Je vois ça à ta gueule (…) eh ben, nous, on aime pas les juifs par ici, c’est une sale race (…), allez, file ».
Albert Cohen a été cet enfant.
O vous frères humains est publié en 1972, longtemps après le premier texte autobiographique, que l’auteur consacre à sa défunte mère en 1954. C’est l’œuvre d’un vieil homme, qui traverse une grave dépression et appelle la mort de ses vœux. Mais c’est aussi le récit rêvé par un petit garçon honteux, « traçant les mots sur de l’air », fantasmant un livre si beau et si triste qu’il ferait pleurer les haïsseurs de juifs et les amènerait à aimer « ce petit enfant par eux soudain fracassé de malheur ». Et ce vieil enfant triste et orphelin cherche encore l’approbation de sa mère pour justifier sa désuète entreprise : « Mais quoi, si ce livre pouvait changer un seul haïsseur, mon frère en la mort, je n’aurais pas écrit en vain, n’est-ce pas, Maman, mon effrayée ? ».
Loin du froid regard rétrospectif de l’autobiographe, Albert Cohen, emprisonné dans le malheur de ses dix ans, ressasse sa peine, essaie de la déguiser, de la tromper, tantôt transporté d’amour pour l’humanité, tantôt honteux et solidaire du peuple honni. Il retrouve les réflexes d’écriture de garçonnet. L’auteur évoque ainsi « le méchant dehors qui me saigne chaque jour sans qu’ils s’en doutent» et affuble de tendres sobriquets ridicules tous les personnages évoqués.
C’est le texte le plus poignant que je connaisse : Albert Cohen sait créer des personnages burlesques et sublimes dans leur malheur. Il sait nous faire rire d’eux tout en nous arrachant des larmes de tragique compassion. Alors, oui : si jamais un haïsseur de juif trouve sur son chemin ces superbes lignes d’amour et de haine mêlées, il est impensable qu’il ne soit pas bouleversé, à jamais transformé par ce formidable rappel de notre commune humanité, de notre fragile égalité face à la mort. Mais encore faudrait-il rêver d’un monde où la littérature tombe entre les bonnes mains…
Albert Cohen, Ô Vous Frères humains, Gallimard, 212 pages
The post Ô vous, frères humains, Albert Cohen appeared first on Les heures perdues.
]]>A l’heure où, en bons occidentaux, nous préparons peut-être nos vacances à l’autre bout du monde, voici un livre salutaire pour interroger notre consommation de cultures étrangères, notre rapport à l’autre et nos propres mœurs. Écrit en 1955, Tristes tropiques n’a pas pris une ride et ses analyses semblent d’une stupéfiante actualité. Claude Lévi-Strauss, jeune […]
The post Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss appeared first on Les heures perdues.
]]>A l’heure où, en bons occidentaux, nous préparons peut-être nos vacances à l’autre bout du monde, voici un livre salutaire pour interroger notre consommation de cultures étrangères, notre rapport à l’autre et nos propres mœurs. Écrit en 1955, Tristes tropiques n’a pas pris une ride et ses analyses semblent d’une stupéfiante actualité.
Claude Lévi-Strauss, jeune agrégé de philosophie, professeur de lycée sans enthousiasme, se voit proposer un poste à l’université de São Paulo, au Brésil. C’est pour lui le début d’une nouvelle carrière et de sa vocation d’ethnographe. Tristes tropiques retrace les différentes équipées qu’il a dirigées de 1935 à 1940 à la rencontre de plusieurs tribus brésiliennes.
L’auteur livre un récit tout en paradoxe, à l’image de ces deux premières phrases déconcertantes : « Je hais les voyages et les explorateurs. Et voici que je m’apprête à raconter mes expéditions ». A première vue, et malgré son aversion pour ce genre, il rédige bien un récit de voyage. Mais cette entreprise ne vient qu’au terme d’une longue maturation, alors que Claude Lévi-Strauss a renoncé depuis quinze ans à voyager. La première partie du livre s’intitule d’ailleurs paradoxalement « La fin des voyages ».
Si l’auteur y a renoncé, c’est d’abord, semble-t-il, pour la fatigue physique et morale occasionnée : fréquemment, l’auteur décrit les avaries des transports avec un humour proportionnel aux colères qu’elles ont dû provoquer alors. Comme ce camion qui transporte avec lui une cargaison de rondins que les passagers déchargent, mettent en place pour stabiliser une route inondée ou un pont fragilisé, puis rechargent à bord en prévision de la prochaine difficulté. Ou cette troupe de bœufs capricieux qui transportent les provisions mais doivent se reposer longuement et sont seuls à décider du moment où ils se remettront en chemin.
La fatigue vient aussi du travail même de l’ethnographe, premier levé et dernier couché, qui veille pour observer le sommeil des indigènes, ou qui s’endort sur de fastidieux relevés : « je me sens devenu bureaucrate de l’évasion ». C’est avec une conscience vive de son imposture qu’il accomplit sa tâche, dérangeant les hommes, leur extorquant, souvent contre leur gré, des informations. Et si encore le jeu en valait la chandelle ! Mais il n’en retire le plus souvent que frustration : à la toute fin de son séjour brésilien, il apprend l’existence d’une tribu indigène, les Tupi-Kawahib, chez qui nul blanc n’a encore pénétré. Il va à leur rencontre mais pour très peu de temps, par manque de provisions, et sans même avoir eu le loisir d’apprendre leur langue. A l’exaltation d’être le premier se substitue immédiatement « une impression de vide ». L’ethnographe pénètre en touriste dans cette communauté : « je recevais du même coup ma récompense et mon châtiment ».
Le châtiment. C’est bien là le nœud du problème. Le terme n’est pas fortuit sous la plume de Claude Lévi-Strauss. Son récit est de bout en bout empreint d’un sombre sentiment de culpabilité. Pour lui, si le monde occidental a seul produit des ethnographes, ce n’est pas le signe d’une quelconque supériorité mais « une tentative de rachat : [l’ethnographe] est le symbole de l’expiation ». Par son infinie patience, par sa scrupuleuse attention à des coutumes qui lui sont étrangères, l’auteur paie la dette contractées depuis l’intrusion destructrice des conquérants européens au XV° siècle jusqu’à celle non moins dévastatrice des touristes. En allant plus loin qu’aucun blanc ne l’avait jamais fait, en rencontrant les difficultés du voyage, peut-être Claude Lévi-Strauss a-t-il enfin soldé les comptes. La fin des voyages sonnerait-elle pour lui l’heure de la libération ?
Il serait bien injuste cependant de réduire Tristes tropiques à une longue litanie désenchantée. Par delà sa mauvaise conscience, l’auteur rend avec fraîcheur l’émerveillement que lui procurent ses voyages : il a beau décrier « l’aspect chaotique du paysage » malmené par la déforestation et l’érosion, le premier regard qu’il pose sur les tropiques provoque cette exclamation enthousiaste : « la terre même émergeant au début de la création ! ». Son goût prononcé pour les longues descriptions témoigne de son ravissement.
Les coutumes indigènes ont beau être « falsifiées » par les influences des missionnaires et des conquérants, il a beau déplorer sa rencontre avec des hommes qui ne sont « ni complètement des « vrais indiens » ni, surtout, des « sauvages » », son admiration pour l’« exceptionnel degré de raffinement sur le plan sociologique et religieux, des tribus considérées jadis comme dotées d’une culture très grossière » n’en est pas moins sincère. Face à des indigènes étroitement enlacés à même le sol pour lutter contre le froid, il manifeste vivement son transport : c’est « l’expression la plus émouvante et la plus véridique de la tendresse humaine ».
Ce tiraillement de l’auteur entre affliction et émerveillement se traduit, chez le lecteur, par une réception tout aussi contradictoire, que l’ethnographe reconnaît, assume et déplore. « J‘aurais beau mettre dans mon discours tout le vide, l’insignifiance de chacun de ces événements, il suffit qu’il se transforme en récit pour éblouir et faire songer. » Malgré les protestations de l’auteur, le récit est en effet fascinant. On rêverait de s’embarquer à ses côtés dans ces expéditions, si fastidieuses soient-elles.
Tristes tropiques est certes à première vue un récit de voyage, mais c’est avant tout un essai philosophique. Pas de cette philosophie que l’auteur a détestée avant même l’agrégation et qu’il qualifie de « sudation en vase clos » mais une pensée qui se construit au contact du monde par le relevé ethnographique pour bâtir une anthropologie. Claude Lévi-Strauss n’a jamais pour objectif de porter un jugement sur une communauté qu’il visite. S’il le fait, ce n’est que de manière spontanée et fortuite. Son but est de « bâtir un modèle théorique de la société humaine », un système qui n’existe peut-être pas dans la réalité mais qui permet de mesurer les écarts entre les codes mis en place par les différentes communautés. « On découvre alors qu’aucune société n’est foncièrement bonne ; mais aucune n’est absolument mauvaise ».
On peut dès lors franchir une nouvelle étape. Les philosophes du XVIII° siècle, et notamment Rousseau, à qui l’auteur rend hommage dans toute la dernière partie du récit, avaient largement initié ce travail par leurs recherches ; il ne manquait plus que l’expérience empirique du voyage. Claude Lévi-Strauss, au terme de ses expéditions, s’est libéré des dogmes qui régissent la société dont il est issu ; l ne s’interdit pas de la juger, et parfois de manière très acerbe.
Il en profite pour porter quelques estocades à notre monde, en critiquant notamment notre rapport au voyage : « nos modernes Marco Polo rapportent de ces mêmes terres, cette fois sous forme de photographies, de livres et de récits, les épices morales dont notre société éprouve un besoin plus aigu en se sentant sombrer dans l’ennui ». Sa révolte se porte surtout sur l’inconséquence des voyageurs: « Ce que d’abord vous nous montrez, voyages, c’est notre ordure lancée au visage de l’humanité ».
Cependant, ses attaques de la société occidentale n’ont pas de valeur par elles-mêmes mais servent un projet plus vaste : dès 1955, Claude Lévi-Strauss brosse le portrait d’une civilisation au bord du gouffre tant sur le plan écologique que sur le plan moral. Et la crise qui déchire actuellement l’Europe valide malheureusement ses analyses. Pourtant, cette critique radicale a un fondement optimiste : « les autres sociétés ne sont peut-être pas meilleures que la nôtre (…) [mais] à les mieux connaître, nous gagnons pourtant un moyen de nous détacher de la nôtre (…) la seule dont nous devions nous affranchir ». Cette distanciation rend possible une « réforme de nos propres mœurs » car il n’existe nulle fatalité : « ce qui fut fait et manqué peut être refait ».
Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss, 1955, Terres Humaines, Plon, 497 p.
The post Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss appeared first on Les heures perdues.
]]>Au XIVème siècle, le chevalier Antonius Blok et son écuyer Jöns rentrent d’une décennie de croisade. Sur une plage, Blok, assailli par des questions métaphysiques sur Dieu et la camarde rencontre la Mort personnifiée justement venue l’emporter. Le chevalier lui propose une partie d’échecs pour gagner du temps et trouver des réponses. Alors que se […]
The post Le Septième Sceau, Ingmar Bergman appeared first on Les heures perdues.
]]>Au XIVème siècle, le chevalier Antonius Blok et son écuyer Jöns rentrent d’une décennie de croisade. Sur une plage, Blok, assailli par des questions métaphysiques sur Dieu et la camarde rencontre la Mort personnifiée justement venue l’emporter. Le chevalier lui propose une partie d’échecs pour gagner du temps et trouver des réponses. Alors que se déroule ce jeu macabre, Blok regagne sa demeure entouré de compagnons de circonstance et traverse un pays dévasté par la peste. La population, en perdition physique et morale, ne sait plus à quel saint se vouer pour échapper à la mort.
Le Septième Sceau est un beau film : Bergman sait composer ses plans avec finesse, y mêle poésie et puissance contemplative. De magnifiques tableaux ouvrent l’oeuvre : ainsi ces chevaux au bord de la mer, cet aigle de l’Apocalypse tournoyant dans les cieux (Le Septième Sceau est une référence explicite à ce chapitre de la Bible). Certaines scènes, passées à la postérité, sont purement fantasmagoriques, comme le jeu d’échecs entre la Mort et le chevalier, ou la danse macabre finale au sommet d’une colline.
Les thèmes de la fin du monde et de la perdition collective sont brassés avec les questions de la morale, du bonheur et de la foi. Ingmar Bergman n’y va pas de main morte ; son œuvre ne laisse pas beaucoup de place à la suggestion. Ses dialogues philosophiques plongent le spectateur, de gré ou de force, dans une introspection poussée : le chevalier, en crise existentielle, de retour d’un voyage dont on devine l’âpreté, voire l’horreur, est tiraillé entre sa foi et sa lassitude à l’égard de la religion. « Pourquoi ne puis-je tuer Dieu en moi ? Pourquoi continue-t-Il à vivre de façon douloureuse et avilissante ? », se demande Blok. La mort approchant, le voilà qui redoute ce qu’il y trouvera. Car, si la vacuité de l’existence le dégoûte, c’est bien le néant qui l’épouvante surtout. Et sa quête entière se résume à trouver un palliatif à ce vide suffocant. La partie d’échecs est une métaphore qui révèle l’absurdité de ses prétentions : s’il est intelligent, bon, s’il parvient à repousser son trépas de quelques instants, usant d’audace et de stratégie, créant même une complicité avec la faucheuse, tôt ou tard il sera mat. L’introspection, le calcul, la connaissance et toutes formes de spéculations sont vains.
La fable philosophique est doublée d’un récit picaresque qui la nourrit et l’enrichit. Si Antonius Blok est un Don Quichotte grave et spirituel, son écuyer Jöns a en commun avec Sancho Pança, l’écuyer du personnage de Cervantès, une puissante lucidité qu’il alimente de sarcasmes désabusés. Il ne sombre pourtant jamais dans un cynisme intégral puisqu’il se conduit toujours avec vertu, comme dans cette grange où il surprend un moine défroqué devenu pilleur de cadavres, prêt à violer une belle innocente qu’il sauve. Une scène où le cinéaste suédois démontre toute sa maîtrise de la lumière, toute son habileté à tirer le meilleur d’un noir et blanc qui sied parfaitement à son sujet.
Le duo classique du chevalier et de l’écuyer traverse une terre dévastée par la peste. Les habitants des villages ne savent plus comment agir : tantôt ils défilent en pénitents, se flagellent et prient, tantôt ils sacrifient sur le bûcher une jeune femme persuadée d’avoir eu commerce avec le diable. C’est la rencontre d’une famille de comédiens qui apportera peut-être les meilleures réponses à Blok. Tous trois simples, bons, généreux, ils sont liés par un amour pur qui semble les tenir à bonne distance des vices de l’époque. Cette rencontre agit comme une révélation pour celui qui n’a peut-être jamais cherché du sens où il le fallait. Le choix de Bergman se porte sur des artistes pour incarner la vertu et le salut, ce qui n’est bien sûr pas innocent.
Réflexion sur Dieu, sur la mort et sur l’art, voilà un film grave et sérieux a priori difficilement comestible. C’était sans compter sur l’audace de Bergman pour assaisonner l’ensemble de saynètes qui apportent un peu de légèreté. Les sarcasmes de Jöns sont parfois comiques, tout comme ces scènes de séduction, de mari jaloux ou de faux suicide, inspirées des origines de la commedia dell’arte. La référence en est explicite : les artistes sont des comédiens itinérants qui chantent et dansent sur une scène montée à la hâte au milieu du village.
Il y a quelque chose de grand-guignolesque dans ce film. L’usage du fantastique, d’une manière toute enfantine, et les facéties de quelques personnages contrastent bizarrement avec la lourdeur mystique et le ton très (trop ?) déclamatif des passages « sérieux ». Ingmar Bergman livre un ovni cinématographique qui pourrait faire la jonction entre un cinéma fantastique désuet, celui de l’entre-deux-guerres, et le film d’auteur intello des années 50-60. Un film foisonnant et exceptionnel, donc, qui ne ressemble à rien et bouscule forcément.
Les Septième sceau est à découvrir sur grand écran à l’Institut Lumière de Lyon dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Ingmar Bergman. Le programme est à consulter ici.
Date de sortie : 16 février 1957
Réalisé par : Ingmar Bergman
Avec : Bengt Ekerot, Max von Sydow, Gunnar Björnstrand
Durée : 1h36
Pays de production : Suède
The post Le Septième Sceau, Ingmar Bergman appeared first on Les heures perdues.
]]>En 1969, Jean-Pierre Melville adapte sur grand écran le roman de Joseph Kessel, L’Armée des ombres, chef-d’œuvre de la littérature sur le thème de la Résistance sous l’occupation nazie. Sur ce sujet rebattu, plus d’un réalisateur a mordu la poussière en abusant de clichés par le biais d’un romantisme idiot, d’une esthétisation outrancière ou d’arrangements […]
The post L’armée des ombres, Jean-Pierre Melville appeared first on Les heures perdues.
]]>En 1969, Jean-Pierre Melville adapte sur grand écran le roman de Joseph Kessel, L’Armée des ombres, chef-d’œuvre de la littérature sur le thème de la Résistance sous l’occupation nazie. Sur ce sujet rebattu, plus d’un réalisateur a mordu la poussière en abusant de clichés par le biais d’un romantisme idiot, d’une esthétisation outrancière ou d’arrangements grossiers avec la réalité historique. Jusqu’à aujourd’hui, le nanar sur la Résistance se distingue principalement par son regard de groupie admirative et par sa complaisance nigaude virant à l’apologie toute soviétique du héros martyr. Au milieu de ce marasme, L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville se distingue et fait figure de chef d’œuvre inégalé.
Alors que l’époque (1969) est à la gloire de la Résistance, alors qu’André Malraux joue de son vibrato pour saluer l’entrée de Jean Moulin au Panthéon, le film montre une réalité un peu moins clinquante. Mais la tâche n’était pas très ardue pour Jean-Pierre Melville. Son réalisme brut, lent et épuré semblait tout indiqué pour s’atteler à un tel sujet, lui, l’auteur de polars glauques qui parvient à restituer la morosité des situations tout en conservant une grande beauté à l’image et en alimentant une tension corrosive. Melville n’en fait pas des tonnes. Il ne fait pas résonner les violons lors d’une arrestation, il ne fait pas pleurer ses personnages, il ne souligne pas bêtement les coups d’éclat. Des actions épatantes, le film n’en a d’ailleurs pas, à moins qu’elles soient si bien filmées qu’elles n’en ont pas l’air… La Résistance c’est bien cela, non ? Des héros qui s’ignorent, qui agissent parce qu’ils ne peuvent faire autrement, déconnectés de toute gloriole anthume, obnubilés par la radio qu’ils doivent livrer sans encombre, par ces petites missions qui n’ont l’air de rien, ces petits tracas de la clandestinité, mais pour lesquels ils risquent de mourir sous la torture de la Gestapo.
1942. Gerbier, Mathilde, le Bison, Felix, Jean-François et Le Masque, sont les membres très actifs d’un réseau clandestin. Certains sont des chefs importants, d’autres de simples hommes de main. Le récit est éclaté en intrigues successives qui suivent le fil des missions, des coups de filets et des tentatives d’évasion. Le tout est l’occasion d’une galerie de portraits subtils et éclairants qui tord le cou à une vision étriquée de l’héroïsme résistant. Car s’il est une chose que l’histoire de la Résistance démontre, c’est que rien ne prédispose à cet engagement-là. Ni un courage supposé, ni une impétuosité naturelle, encore moins des convictions politiques. Se côtoient donc communistes et royalistes, pleutres et têtes-brûlées, freluquets et brutes épaisses, femmes au foyer et ingénieurs. Ainsi, au début du film, quand trois personnages doivent exécuter un traître, la violence de l’action n’a d’égal que l’amateurisme pitoyable des bourreaux, dans une scène au burlesque étrange, triste et horripilant. Si les personnages irradient, comme Gerbier ou Mathilde, c’est davantage par leurs capacités de recul et d’analyse que par une disposition innée.
L’Armée des ombres a l’ambition de tout dire de la Résistance et déploie une grande variété de situations. Tout y passe : les scènes d’évasion, l’internement dans un camp de prisonniers de Gerbier, la torture, les basses tâches, les planques, le voyage à Londres pour rencontrer De Gaulle, les arrestations, les anecdotes révélatrices… Au-delà de l’aspect documentaire, le film de Melville est aussi un vrai bon film d’action, qui, malgré la lenteur de son exécution, tient formidablement en éveil. Le suspense de certaines séquences est insoutenable. Le talent de Melville se situe dans son aptitude à capturer le temps qui s’écoule, ce temps essentiel qui précède ou suit l’instant décisif. Il s’intéresse moins aux actions elles-mêmes qu’aux intervalles qui les séparent et les mettent en perspective. Ces interstices révèlent la tension, la peur ou la circonspection des protagonistes. Le réalisateur utilise largement le plan fixe, qu’il compose d’éléments et de gestes a priori sans intérêt. Il n’a pas peur des silences, qu’il exploite toujours à propos. La bande-son semble même tout juste utile à donner du relief à ces silences.
Peu à peu, les destins se croisent, se séparent. Il y a des drames, bien sûr, des dilemmes terribles, des coups de chance, des coups de chaud, des surprises réjouissantes. Les résistants sont des fourmis, parfois des bourreaux, des exécutants froids et zélés. Ils sont terriblement seuls. Lorsque l’apogée de l’héroïsme est atteint – voir le final déchirant de Mathilde – il l’est dans une poignante sobriété. La peur règne. La mort aussi, bien sûr. Les personnages sont tous en sursis et paraissent attendre que le couperet s’abatte, véritable chape de plomb soulignée par les couleurs sombres et bleutées de la photographie. Il suffit à Melville d’un regard, d’une réplique, d’une hésitation, pour tout dire. Car les personnages ne se livrent jamais. Le réalisateur, comme le romancier – l’adaptation de Melville est d’une remarquable fidélité – s’en tient aux faits et aux apparences. Raison pour laquelle chaque faille, chaque ouverture – un sourire, un regard – révèle, séduit, saisit. Dans ces moments-là affleure aussi tout le tragique de personnages qui mettent leurs propres destinées entre parenthèses et font véritablement don de leurs personnes à l’Histoire et à la France.
Qu’ajouter au tableau si ce n’est que le film est servi par des acteurs au sommet de leur art ? Lino Ventura ne campe pas Gerbier, il est Gerbier, tour à tour ordinaire et puissant, hésitant et charismatique. Signoret est troublante de force et d’émotion. Jean-Pierre Cassel nous réjouit, nous étonne et nous déchire. Paul Meurisse rayonne avec ce charisme simple et guilleret. Les rôles secondaires contribuent tous à la réussite de l’œuvre, comme ce barbier campé par Serge Reggiani qui provoque l’inquiétude de Gerbier fugitif. Non, nous avons beau chercher, il n’y a rien de mauvais, ni même de médiocre dans ce film. L’Armée des ombres est une œuvre de génie.
Date de sortie : 12 septembre 1969
Réalisé par : Jean-Pierre Melville
Avec : Simone Signoret, Lino Ventura, Jean-Pierre Cassel
Durée : 2h20
Pays de production : France, Italie
The post L’armée des ombres, Jean-Pierre Melville appeared first on Les heures perdues.
]]>Le Festin de Babette, film danois sorti en 1987, est une extraordinaire célébration de l’art culinaire, pleine d’humour, de spiritualité et de délicatesse. Quelle beauté ! Quelle quiétude ! Quelle intelligence ! L’œuvre de Gabriel Axel, inspirée d’une nouvelle de Karen Blixen, est à n’en pas douter une référence absolue pour qui le plaisir de la ripaille est […]
The post Le Festin de Babette, Gabriel Axel appeared first on Les heures perdues.
]]>Le Festin de Babette, film danois sorti en 1987, est une extraordinaire célébration de l’art culinaire, pleine d’humour, de spiritualité et de délicatesse. Quelle beauté ! Quelle quiétude ! Quelle intelligence ! L’œuvre de Gabriel Axel, inspirée d’une nouvelle de Karen Blixen, est à n’en pas douter une référence absolue pour qui le plaisir de la ripaille est une élévation spirituelle tout autant qu’une communion des êtres. Les plaisirs du palais se muent ici en réflexion théologique et ajoutent un chapitre hédoniste à la Sainte Bible…
Dans cette petite communauté luthérienne du Jutland, au Danemark, tout est austère. Ici, le Pasteur est une autorité spirituelle écrasante et l’on vit au rythme de ses sermons. A sa mort, ses deux filles, Martina et Filipa, toutes deux sublimes, continuent de suivre son enseignement et s’astreignent à une vie pieuse. Elles se tiennent éloignées des jouissances terrestres et se dévouent entièrement à leur communauté. Lorsque, plus jeunes, les sœurs sont tombées sous le charme d’un officier et d’un chanteur lyrique, elles ont tourné le dos à leurs sentiments, honteuses d’envisager un instant le plaisir égoïste de la chair.
Un soir de 1871 débarque Babette, une française qui fuit la répression de la Commune de Paris et qui offre ses services de domestique en échange de l’hospitalité des sœurs. Elle s’intègre humblement à cette communauté, quoiqu’elle manifeste un compréhensible écoeurement devant les recettes locales qu’on lui commande. Quatorze années ont passé lorsqu’une nouvelle étonnante arrive de France : elle a gagné dix-mille francs à la loterie. Alors qu’approche la célébration des cent ans du défunt pasteur, Babette se met en tête de préparer à la communauté un dîner « français », un festin gargantuesque en complète contradiction avec les préceptes luthériens de ses hôtes.
Le Festin de Babette devient alors une ode à la gastronomie dont les héros, filmés comme de beaux acteurs, sont les mets. L’entrée en scène des aliments est une véritable invasion : importés de France par voie maritime, ils semblent porter avec eux tentations démoniaques et sorcelleries. Les craintes des sœurs puritaines paraissent ainsi légitimes. Le défilé des ingrédients, à l’état brut, dans un naturalisme précis, étudié, esthétisé (on songe aux natures mortes de Chardin) ressemble bel et bien à la pharmacie d’une sorcière : tortue géante, cailles grouillantes qui piaillent, fruits juteux, spiritueux… Autant de maléfices terrifiants pour ceux qui ne se nourrissent que de poisson bouilli et de pain mouillé. Autant de promesses formidables pour le spectateur qui déjà se caresse le ventre.
C’est donc avec crainte que les convives se mettent à table, n’acceptant l’invitation que par respect pour Babette et se promettant de renoncer à une coupable jouissance. La plupart d’entre eux sont alors en conflit, pleins de rancœurs et de reproches. Les sœurs, garantes de l’instance religieuse figurée par leur père, ne parviennent pas à apaiser ces tensions. Si le Clergé et le Tiers-Etat sont représentés, il ne manque que la Noblesse à cette assemblée. C’est alors qu’un invité de dernière minute, le général Lôwenhielm, celui-là même qui avait été éconduit par l’une des sœurs des années auparavant, fait irruption en accompagnant sa vieille tante. Désormais, il y a douze invités, nombre qui renvoie bien sûr à la Cène biblique. Douze témoins, douze apôtres, prêts à connaître une révélation qui transcende les origines sociales et ne concerne que l’âme humaine, soulevée par son enveloppe charnelle. Le treizième convive serait la cuisinière, prophétesse – ô sacrilège – de la boustifaille !
Le silence dans lequel le repas se déroule est d’abord celui d’une pénitence. Mais, peu à peu, la pénitence cède le pas à une dévote dégustation. Le réalisateur prend soin de décortiquer les expressions des visages, dissimulant un plaisir de plus en plus évident. Il y a du Bergman dans ce minimalisme esthétisé, dans cette capacité à repérer sur les faciès les signes les plus subtils de la gourmandise et de la culpabilité. Le bruit des couverts, de la mastication, des vins que l’on verse et qu’on avale l’œil brillant, traversent de bout en bout cette expérience initiatique. Les conversations ne sont faites que de références religieuses : on cite des sermons du pasteurs, des passages de la Bible, on dessine des paraboles. Là encore, la progression du repas modifie très sensiblement le sens des phrases prononcées, non sans humour. D’abord vouées à combattre le plaisir fautif, celles-ci finissent par être imprégnées d’un double sens qui non seulement rend légitime la jouissance culinaire, mais l’érige en moyen d’accéder à la plénitude divine. Seul le Général, peu au fait des craintes de la communauté, assume pleinement son plaisir et théorise clairement cette sublimation de la chère. C’est d’ailleurs lui qui révèle l’identité de Babette et produit le discours le plus achevé, un panégyrique du festin mêlé à un développement sur la Grâce et la Vérité divines.
La religiosité de l’art culinaire, cet art qui transcende les cœurs et les classes sociales, trouve son terme dans l’harmonie qui règne à la fin du repas : les tensions ont disparu et font place nette au pardon véritable, à la joie, à la communion. La concorde règne alors dans une ivresse toute hédoniste. C’est alors que les regrets quant à l’amour semblent voir le jour, regrets qui promettent une révolution spirituelle au sein de la communauté.
La longueur de la scène du repas surprend en ce que jamais elle n’ennuie : elle plonge le spectateur dans le plaisir et dans une réflexion favorisée par les temps de silence qui suivent chacun des propos mystiques des convives. La ligne narrative est aussi minimaliste que le propos est intéressant. Pourtant, le film demeure léger, drôle, distrayant. C’est une œuvre de génie que Gabriel Axel nous livre là !
Pour saliver, le menu du Festin de Babette :
Plats
Soupe de tortue géante
Blinis Demidoff (blinis au caviar et à la crème)
Cailles en sarcophage au foie gras et sauce aux truffes
Salade d’endives aux noix
Fromages
savarin et salade de fruits glacés
Fruits frais (raisins, figues, ananas…)
Vins
Xérès amontillado avec la soupe
Champagne Veuve Clicquot 1860, accompagne les blinis
Clos de Vougeot 1845 avec cailles et fromages
Fine Champagne
Eau avec les fruits
Café accompagné de baba au rhum
Date de sortie : 28 août 1987
Réalisé par : Gabriel Axel
Avec : Stéphane Audran, Bodil Kjer, Birgitte Federspiel
Durée : 1h42
Pays de production : Danemark
The post Le Festin de Babette, Gabriel Axel appeared first on Les heures perdues.
]]>Le Voleur de bicyclette (1948) affiche l’humilité propre au style néoréaliste italien dans l’économie des effets, dans la simplicité de l’intrigue, des personnages et de la mise en scène. Le film ressemble à une chronique de Rome après guerre, tant Vittorio De Sica soigne son aspect documentaire, en utilisant les décors naturels de la ville […]
The post Le Voleur de bicyclette, Vittorio de Sica appeared first on Les heures perdues.
]]>Le Voleur de bicyclette (1948) affiche l’humilité propre au style néoréaliste italien dans l’économie des effets, dans la simplicité de l’intrigue, des personnages et de la mise en scène. Le film ressemble à une chronique de Rome après guerre, tant Vittorio De Sica soigne son aspect documentaire, en utilisant les décors naturels de la ville ou en employant des acteurs non professionnels.
Le personnage principal, Antonio, est un ouvrier au chômage. Sa première apparition dans le film est significative : c’est au sein de la foule nombreuse de ses semblables qu’on le cherche, comme s’il s’agissait de signifier d’emblée le primat de l’appartenance sociale sur l’individu.
Aussi, le titre du film agit comme un programme. Antonio obtient un emploi de colleur d’affiches, à la seule condition de posséder une bicyclette. Dès lors le spectateur attend ce vol et le réalisateur joue avec lui en ménageant suspense et fausses pistes, comme cette scène où, imprudemment, Antonio laisse sa bicyclette dans la rue sous la surveillance d’un enfant afin de suivre sa femme dans l’appartement d’une voyante.
La bicyclette est donc vitale pour Antonio et sa famille. Le tragique du film se met en place autour de cet objet providentiel. Comme les pièces des dramaturges classiques, l’intrigue n’a finalement que peu d’importance et l’on se place en spectateur craintif d’un accident qui forcément se produira. « Craintif », car Antonio est sympathique, bon, irréprochable. « Forcément », car le titre l’annonce.
Mais le titre ne désigne pas le larcin initial, celui d’un jeune homme dérobant la bicyclette du colleur d’affiche alors à l’ouvrage. Il signifie davantage celui qu’Antonio commettra lui même plus tard, profitant à son tour de la négligence d’un homme pour reproduire le délit dont il a été victime. Un vol auquel il se résout, désespéré par la perspective de perdre son emploi et de voir sa famille sombrer dans la misère. Un vol que l’on redoute, auquel on ne croit pas, qu’on espère un peu tout de même en se disant, au fond, que ce petit mal résoudrait bien des misères pour cette famille aussi attachante qu’exemplaire.
Repoussant l’échéance, De Sica nous entraîne dans de longues déambulations au cœur de Rome, de ses quartiers, de sa population, en compagnie d’un fils silencieusement protecteur de ce père qui, son enquête demeurant vaine, s’enfonce peu à peu vers l’indignité du vol.
Car le drame absolu vécu par le « voleur » Antonio est avant tout moral, cédant à une bassesse que tout en lui contredit. On assiste – c’est là la dimension hautement politique du film – à la chute d’un homme intègre fatalement poussé au délit par une société âpre, génératrice d’injustice et de crimes. Ce film est finalement une lecture intelligente et humble de la genèse du mal, enfanté par la misère et l’injustice. Tout est fait, génie du réalisateur, pour que, de bout en bout, le spectateur entre en complète empathie avec Antonio, l’antihéros par excellence : il est simple, doux, humble, fait ce qu’il faut et ce que, nous semble-t-il, nous aurions tous fait, sans héroïsme ni couardise. Antonio a du bon sens, est un père attentionné, guidé par la volonté d’offrir le meilleur à sa famille. Il désire qu’éclate la vérité, sans pour autant se perdre avec déraison dans de vains combats. Il est l’antithèse du criminel.
Cette forte empathie du spectateur pour Antonio culmine avec le vol final. Le spectateur le comprend et l’excuse aussitôt grâce à sa connaissance des événements, alors que l’opprobre violent des passants s’abat sur sa personne. Sa propre honte coule également sur lui, supplice insupportable dans lequel se clôt le film : le plus droit des hommes finit par mépriser ses actes. La honte est bien l’injustice majeure, la punition suprême. D’ailleurs Vittorio De Sica est assez lucide pour ne pas accabler davantage son personnage – ou pour signifier qu’aucun autre châtiment ne vaut ce sentiment : la victime ne porte pas plainte et cet acte reste pénalement sans conséquence. Seule la honte subsiste. Cette société individualiste et injuste a réussi à instiller le plus vil des sentiments au plus grand des cœurs : elle l’a déshumanisé, rendu étranger, ennemi, à lui-même. De Sica réussit à mener le public vers cet édifiant spectacle et le laisse triste et désolé pour Antonio.
Le Voleur de bicyclette n’est donc pas une simple chronique d’après-guerre. Il est un film puissamment politique, une démonstration sociologique sans lourdeur. Car rien n’est de trop dans le film de De Sica. Tout y est admirablement suggéré sans le moindre didactisme, cet écueil qui nuit tant aux films « engagés » : le Voleur de bicyclette reste un poème urbain que l’on parcourt avec le même regard que le fils d’Antonio, un regard tout à la fois effaré et bienveillant.
Date de sortie : 26 août 1949
Réalisé par : Vittorio de Sica
Avec : Lamberto Maggiorani, Enzo Staiola
Durée : 1h33
Pays de production : Italie
The post Le Voleur de bicyclette, Vittorio de Sica appeared first on Les heures perdues.
]]>Gianni, Nicola et Antonio se lient d’amitié pendant la guerre : ils appartiennent tous les trois à la résistance et combattent farouchement dans le maquis contre l’occupation allemande. A la libération, un monde nouveau s’ouvre à eux. Militants fervents de la révolution, ils abordent cette nouvelle période de l’Histoire nourris de rêves et d’illusions. Le film […]
The post Nous nous sommes tant aimés, Ettore Scola appeared first on Les heures perdues.
]]>Gianni, Nicola et Antonio se lient d’amitié pendant la guerre : ils appartiennent tous les trois à la résistance et combattent farouchement dans le maquis contre l’occupation allemande. A la libération, un monde nouveau s’ouvre à eux. Militants fervents de la révolution, ils abordent cette nouvelle période de l’Histoire nourris de rêves et d’illusions. Le film raconte alors le parcours de ces trois hommes, confrontés à la réalité de l’Italie de l’après-guerre. Le spectateur suit leurs destins individuels sur une trentaine d’années : chacun se raconte par l’intermédiaire d’une voix off superposée aux images. Le film alterne ainsi les trois points de vue, chacun se faisant le narrateur de sa propre histoire.
Entre ces trois hommes se trouve une femme, Luciana, aspirante actrice, qui aura une aventure avec chacun d’entre eux. De manière assez classique, la femme est l’élément qui vient signer la rupture entre les trois amis. Cependant, le spectateur comprend que le conflit n’est pas tant sentimental qu’idéologique : quand ils se retrouvent vingt-cinq ans après, le fossé qui existait déjà entre eux est devenu immense. Comme le dit l’un des personnages, « nous voulions changer le monde, mais c’est le monde qui nous a changés ».
Gianni incarne ainsi le personnage du riche parvenu, celui qui a trahi ses idéaux de jeunesse, par ambition d’abord, mais sans doute aussi par simple cupidité. Mais paradoxalement, ce n’est pas avec lui que Scola est le plus sévère : bien qu’il le dépeigne dans toutes ses compromissions, ses lâchetés, ses traîtrises, le personnage n’en reste pas moins grand et dans une certaine mesure respectable. A l’inverse, même si Antonio et Nicola ne se sont pas compromis et qu’ils sont restés fidèles à leur ligne idéologique, Scola s’en amuse et fait d’eux de sympathiques ratés. Les voilà embourbés dans une existence médiocre, en dépit – ou à cause ? – de leur engagement politique.
Ainsi, Nicola semble un modèle d’intransigeance au début du film, comme en témoigne la scène splendide où il défend le réalisme de De Sica dans le voleur de bicyclette face à une assemblée hostile, mais il perd peu à peu de sa légitimité : à quoi bon cette lutte si elle doit signifier le malheur des siens ? À quoi bon vouer son existence aux idées, si c’est pour les corrompre dans un jeu télévisé ? Si Antonio semble davantage préservé, son engagement se réduit pourtant à la fin du film à un sitting devant une école pour que ses enfants obtiennent une place à la rentrée. Dans la dernière scène, les deux personnages formulent même leur autocritique : « à force de bof, on en est arrivés à conclure : bof ».
« Nous nous sommes tant aimés » est ainsi non seulement le film de l’amitié dépassée, mais aussi celui de la ruine des idéaux. Le constat dressé par De Sica semble bien pessimiste. L’homme se trouve face à une seule alternative : renoncer et se compromettre, persévérer et se perdre. Pour autant, le film ne se départ jamais d’une légèreté réjouissante qui fait toute sa réussite.. Cette gaieté tient en large part aux multiples références au cinéma.
On peut en effet considérer Nous nous sommes tant aimés comme un immense hommage au cinéma. Les références, qu’elles soient implicites ou explicites, jalonnent tout le film (à noter notamment la présence de guests fameux, à savoir Fellini et Mastroianni). Mais il y a surtout un jeu constant avec les conventions: les narrateurs s’adressent parfois directement à la caméra, le souvenir s’écrit en noir et blanc, tandis que le fantasme est marqué par un voile monochrome jaune, les retours en arrière sont introduits grossièrement, à l’instar de ce plongeon stoppé net au début du film pour se conclure dans la dernière scène… On aurait pourtant tort de considérer ce jeu comme un simple artifice au service d’un hommage trop officiel. Cette dimension réflexive sert au contraire tout le propos du film. Ettore Scola semble nous dire: » tout cela, l’amitié, l’amour, les idées, ce n’est que du cinéma, ne soyez pas si sérieux… »
The post Nous nous sommes tant aimés, Ettore Scola appeared first on Les heures perdues.
]]>