Dans la cour d’honneur du palais des papes Ivo Van Hove met en scène Les Damnés (d’après le scénario de Visconti) avec la troupe de la Comédie-Française. Un grand moment de théâtre. L’histoire de la famille Essenbeck, inspirée de la famille Krupp, a des allures de drame shakespearien. On s’y entretue pour le pouvoir, on fait et défait les alliances entre cousins, on trame des complots, le fils incestueux se retourne contre sa mère. Sur la scène orange, rouge sang puis noire, les personnages s’affrontent dans un paroxysme de violence et passion. Sur l’écran, l’image projette en gros plan le jeu des acteurs, montre l’incendie du Reichstag ou les machines des aciéries et renvoie aussi aux spectateurs leur propre reflet. Chaque acte de cette tragédie est ponctuée par un meurtre, une mise au tombeau suivie par l’avancée silencieuse de tous les acteurs vers le public. C’est alors lui qui est filmé et qui voit son image projetée sur l’écran. Nous les regardons et nous nous regardons. Il faut faire avec cette immense espace où, de part et d’autre du praticable, sont disposés loges et coulisses, musiciens et cercueils, où l’oeil est sollicité de toute part. Et surtout, ce soir-là, il faut faire avec les rafales de mistral qui jouent avec les vêtements des acteurs et frigorifient les spectateurs. Mais malgré cela et en dépit de quelques longueurs, la magie du théâtre opère. Particulièrement dans des moments de fulgurance comme la bacchanale des SA où deux acteurs sur scène démultipliés par la vidéo et la sonorisation donnent l’illusion troublante d’une foule ; la cour d’honneur devient alors le stade de Nuremberg résonnant de chants nazis. Les acteurs du Français, tous impeccables, sont capables de tout, du plus intime -changements imperceptibles évoquant une multiplicité de sentiments sur...
Tristesses, mise en scène Anne-Cécile Vandalem....
écrit par Marie-Odile Sauvajon
Le 70ème Festival d’Avignon, qui se tient du 6 au 24 Juillet, fait la part belle à la scène belge francophone. Tristesses est un spectacle de théâtre musical qui met en lumière les liens insidieux entre le pouvoir et la tristesse. Une franche réussite. Trois maisons de poupée et un temple dans une île imaginaire du Jutland nommée Tristesse qui ne compte plus que huit habitants depuis la fermeture des abattoirs. Mais il y a quelque chose de pourri dans ce royaume du Danemark, quelque chose d’étrange et d’inquiétant. Les ombres errantes du passé y déambulent lentement. La croix sur le fronton du temple est bizarrement penchée. Tout bascule lorsqu’on retrouve le corps de Mme Heiger pendue et que sa fille, la très ambitieuse Martha, dirigeante du parti d’extrême droite, vient pour enterrer sa mère. Sur le plateau, les acteurs s’affrontent pendant qu’en fond de scène la caméra filme et retransmet sur écran l’intérieur des maisons fermées, l’envers du décor. Les dialogues fusent, les claques volent. C’est drôle et violent à la fois car l’écriture d’Anne-Cécile Vandalem sait mêler dramatique et comique jusqu’à l’humour noir, macabre -au risque de désarçonner le public-. La scène des funérailles, déjantée, riche en gags est particulièrement hilarante. La narration, riche et prenante, tient du huis clos à la Ibsen et du polar noir américain. Ce que montre la pièce c’est le fascisme à tous les niveaux, celui du macho ordinaire, du petit chef, des enfants qui s’acharnent sur un souffre-douleur ; celui surtout qui s’impose peu à peu et parvient au pouvoir par la corruption, l’intimidation et la manipulation, avec le consentement de tous. Un conte cruel, qui nous parle d’aujourd’hui. Tristesses, Compagnie Das Fräulein, Conception, écriture et mise en scène Anne-Cécile Vandalem. Durée 2 h15. Au festival d’Avignon,...
Captain Fantastic, Matt Ross
écrit par Sylvain Loscos
Véritable coup de cœur de la sélection Un Certain Regard, ce film magnifique sur l’amour d’un père pour ses enfants est interprété par un Viggo Mortensen impeccable et profondément humain. Non, Captain Fantastic n’est pas l’histoire d’un super héros prêt à sauver le monde. Et l’arrivée à l’improviste de Jean Luc Mélenchon dans la salle (qui viendra prendre place sur le siège voisin au nôtre), n’y changera rien. Ben (Viggo Mortensen) et Leslie ont fait un choix radical: élever leur six enfants loin des artifices de la société. Installée en forêt dans un cadre idyllique, la grande famille vie en parfaite harmonie avec son environnement. Au programme quotidien: chasse à l’arc et au couteau, exercices physiques, escalade, entretien du potager. Mais pas seulement : cours de culture générale, de littérature, de musique … Le cadre posé par la caméra est superbe. Les vies des personnages sont bercées de nature, de culture et d’entraide. On a envie d’en être. Mais ce parfait équilibre est bientôt rompu par le décès de Leslie qui, hospitalisée depuis plusieurs mois, met fin à ses jours. Ben et les enfants prennent la route pour se rendre à l’enterrement de leur mère bien aimée. La séquence de l’escale chez les cousins est la plus réussie. On sait que le choc des cultures est inévitable. Le contraste entre les deux familles est saisissant. Certains respirent le mépris, obsédés par leurs jeux vidéos et leur dernière paire de Nike, quand d’autres veulent dormir dehors pour profiter des étoiles. Mais le scénario en fait un peu trop sur l‘éducation parfaite de ces Robinsons new age et ne laisse entrevoir aucune faiblesse dans cette litanie. Les ados parlent trois langues (dont l’esperanto), les plus jeunes ont des connaissances avancées sur l’anatomie humaine. D’autres encore sont capables...
Apnée, Jean-Christophe Meurisse
écrit par Sylvain Loscos
La sélection Un Certain regard présentait ce lundi « Apnée », le premier long métrage de Jean Christophe Meurisse. Un film émouvant, poétique, et complètement déjanté. Ils sont trois, et veulent tout faire ensemble: se marier, acheter un appartement, obtenir un prêt, passer un entretien d’embauche, être parents, passer un dimanche en famille…Mais à chaque tentative d’entrée dans le moule des gens et des vies ordinaires, le trio inséparable doit faire face à l’évidence: pour le couple extraordinaire qu’ils forment, la quête de normalité qu’ils se sont fixés est vouée à l’échec. Le film est pensé comme une succession de petites saynètes plus ou moins indépendantes. On passe sans prévenir du débat existentiel à des situations loufoques, parfois choquantes. Une discussion avec Jésus avant de le décrocher de sa croix, une autruche au rayon chips d’un supermarché, une chorégraphie de patinage artistique complètement nu. L’enchainement des situations désarçonne parfois, mais on pardonne rapidement la perte du fil rouge. On reste scotché au siège, passant du rire aux larmes, émus par ces trois vies filmées de manière instinctive, caméra à l’épaule. Ce film est tout et rien à la fois, impossible à saisir. Que ceux qui ne souhaitent pas être bousculés passent leur chemin. Date de sortie : Octobre 2016 De : Jean-Christophe Meurisse Avec Céline Fuhrer, Thomas Scimeca, Maxence Tual. Durée : 1h29. Pays de production :...
Le Bon Gros Géant, Steven Spielberg
écrit par Sylvain Loscos
Projeté hier sur la croisette, Hors Compétition, The BFG (Le Bon Gros Géant ), adaptation du roman de Roald Dahl par Steven Spielberg, est un conte pour enfant réussi. Bienvenue dans le monde imaginaire des géants, au pays des magirêves et des époumensonges. Sophie, une jeune orpheline d’une dizaine d’année, est insomniaque. C’est durant une ces longues nuits sans sommeil qu’elle se fait enlever par un gentil géant. Ce dernier l’emmène alors dans son lointain pays, et tout devient possible: les rêves et cauchemars virevoltent dans la nature comme des papillons, il suffit d’un filet pour s’en emparer. La grande réussite du film réside dans l’ambiance graphique que Spielberg impose, jouant avec les ombres et les lumières d’une manière magistrale. Le scénario, simple et efficace, navigue tout en douceur entre conte fantastique, comédie et drame. Le film collectionne les clins d’oeil et références : on est plongé dans un étrange mélange d’Inception (le géant a un atelier de fabrication de rêve) et des Voyages de Gulliver, le tout dans le décors du Seigneur des anneaux. Les nuits londoniennes, magnifiques, rappellent la saga d’Harry Potter. Le personnage du Bon Gros Géant dans son atelier farfelu évoque Geppetto dans sa menuiserie, et l’arbre à rêve est la réplique exacte de l’arbre sacré d’Avatar. Mais toutes ces références finissent par agacer. On aurait voulu avoir la possibilité d’explorer le monde fabuleux des géants sans avoir l’impression de passer un test de culture cinématographique… Date de sortie : 20 juillet 2016. Réalisateur : Steven Spielberg Avec : Ruby Barnhill, Mark Rylance, Rebecca Hall. Durée : 1h55 min. Pays de production :...