La Chambre bleue, Mathieu Amalric
Cette chambre bleue a d’abord l’air d’une star. Ses murs, ses rideaux, son mobilier, sa fenêtre, Mathieu Amalric la filme comme Godard filma Bardot. Mais elle n’est qu’un point de départ, un nid dans lequel s’ébattent Julien et Esther, deux amants passionnés qui tentent d’échapper à d’austères vies familiales. Une relation adultérine qui ne peut en rester là tant les amants s’aiment et se dévorent.
On se gardera bien de dévoiler l’événement central, car celui-ci, et c’est l’une des grandes réussites du film, se découvre seul, au fil de la narration et des images qui s’égrènent. Cette progression plonge le spectateur dans une étrange circonspection qui évolue à mesure que la lumière se fait sur cet événement. N’oublions pas que l’histoire est signée Georges Simenon, le génial créateur de Maigret. Mais La Chambre bleue revisitée par Amalric est bien davantage qu’un polar efficace : le cinéaste décortique avec brio les ressorts d’une passion amoureuse et livre une œuvre d’une beauté inouïe.
Et c’est cette beauté que nous retiendrons en tout premier lieu. Amalric fait le choix d’un format resserré en 4/3, presqu’un carré en somme, qui nous permet d’appréhender l’image d’un seul coup d’œil, image qu’il compose et soigne consciencieusement. On reste subjugué par la beauté de chacun de ces plans, presque toujours fixes, par leur pertinence, leurs couleurs, leur composition sobre, leurs enchaînements. Il y a là une œuvre de photographe, en tout cas l’œuvre d’un cinéaste qui a compris que son art était d’abord celui de l’image.
Toutefois, le film serait demeuré vide sans une narration efficace et un propos qui interpelle : au fil d’un récit rétrospectif, Amalric sonde les ressorts de la culpabilité de Julien, le personnage qu’il incarne. Face à des gendarmes, à un psychologue, puis face au juge d’instruction chargé de faire la lumière sur les événements, Julien rend compte de son étonnante passivité dans le déroulement du drame. S’il est passif, c’est d’abord parce qu’il ne peut croire ce qui se joue, et cette stupéfaction épouse audacieusement celle des spectateurs. La tragédie en question est inconcevable mais une infime part en nous, une part terriblement sombre, l’appelle pourtant de ses vœux. Ainsi les contours se brouillent: Julien est-il coupable ? La force du propos de Simenon, relayé génialement par Amalric, est bien de déceler une analogie entre cette culpabilité et la passion amoureuse. Jamais tout à fait maître de lui, l’amant louvoie entre passion dévorante et rappel à la raison, fol espoir et abattement, si bien que, étranger à lui-même, il finit par se terrer dans une inertie criminelle.
Il n’est ainsi pas anodin que le cinéaste opte pour un point de vue externe, c’est à dire un point de vue qui jamais ne pénètre la conscience de ses personnages, se limite à ce que la caméra peut capter et laisse le spectateur ignorant des véritables intentions des protagonistes et de leurs sentiments. Servie par des acteurs dont la froideur souligne admirablement cette aliénation en même temps qu’elle leur confère un zeste de monstruosité, La Chambre bleue est une formidable adaptation.
Date de sortie : 16 mai 2014
Réalisé par : Mathieu Amalric
Avec : Mathieu Amalric, Stéphanie Cléau, Léa Drucker
Durée : 1h16
Pays de production : France