Constellation, Adrien Bosc
Le Constellation, « nouvelle comète d’Air France », se crashe sur l’île de Santa Maria dans l’archipel des Açores le 27 Octobre 1949. Peut-être connaissez-vous l’événement pour son côté people (Marcel Cerdan, le célèbre boxeur, sommé d’annuler son billet de paquebot pour rejoindre au plus vite Edith Piaf à New-York…). Le roman d’Adrien Bosc propose soixante-cinq ans plus tard le récit complet du dernier vol du F-BAZN et de ses passagers. Un premier roman remarquable, dont on ne peut que saluer l’ambition et la maîtrise.
Un essai ou un roman? L’aspect documentaire de Constellation ne saurait masquer la part laissée à l’imaginaire. Le livre alterne les chapitres consacrés au récit du vol lui-même et de courtes biographies des passagers qu’on devine partiellement romancées. Il y a les Vies illustres de Marcel Cerdan le boxeur et de Ginette Neveu, célèbre violoniste, mais aussi toutes ces Vies Minuscules restées dans l’ombre : citons celle d’Amélie, petite ouvrière bobineuse de Mulhouse appelée à Détroit par sa marraine, directrice d’une usine de bas-nylon qui l’a désignée comme son unique héritière ; celle d’Edward Lowenstein, directeur de tannerie fraîchement divorcé, mais fermement décidé à un ultime aller-retour pour tenter une réconciliation ; celle de Jenny Brandière, propriétaire de champs de canne à sucre qui ramène sa fille très grièvement accidentée à Cuba ; celles de ces cinq bergers basques qui émigrent pour revenir quelques décennies plus tard s’installer dans la vallée. Des bribes, des fragments d’existences qui sont autant d’épiphanies romanesques, autant de romans possibles, mais empêchés. A travers ces biographies fragmentées, Adrien Bosc construit les figures très modernes d’un romanesque sans roman. Il se détache des longs récits pour faire scintiller chaque étoile de manière presque autonome.
Car c’est d’une « constellation » qu’il s’agit – Adrien Bosc ne cesse de jouer sur la polysémie du mot – et le roman interroge sans cesse les relations qui unissent ces étoiles. Pourquoi ces destins ont-ils convergé vers la catastrophe ? Quel redoutable enchaînement de causes a-t-il conduit au drame? Pourquoi certains sont-ils montés dans l’avion, alors que d’autres ont été miraculeusement évincés du voyage ? Edith et Philippe Newton, un jeune couple d’américains de retour d’une lune de miel, comme Madame Erdmann, doivent leur salut au caprice d’Edith Piaf : ils restent sur le tarmac, laissant la priorité au champion. Y a–t-il une logique à l’œuvre dans cet enchaînement d’événements ? Doit-on au minimum s’en remettre à cette idée de « hasard objectif » chère à André Breton ? Constellation multiplie en effet les expériences de synchronicités entre les personnages, les lieux, les dates, les objets même. Certaines sont très convaincantes. On pense à l’union par-delà la mort des deux plus grandes musiciennes de l’après-guerre, Ginette Neveu et Kathleen Ferrier. Le 8 Novembre 1849, à la même heure, le corps de l’une est rapatrié sur Paris escorté par les motards de la garde nationale, tandis que l’autre donne pour la première fois un récital à Paris, salle Gaveau : « Magie de la synchronicité, deux femmes prodiges, l’une violoniste, l’autre contralto, réunies par la coïncidence d’une date, se répondent de profundis ». Parfois cependant, Bosc tire trop les ficelles et les rapprochements semblent artificiels : le F-BAZO, l’avion censé refaire le trajet du « Constellation » pour déterminer les causes de l’accident, est vendu un 27 octobre, jour même de la date du crash. Soit. L’auteur le reconnaît lui-même : « Un concours infini de causes détermine le plus improbable résultat. Quarante-huit personnes, autant d’agents d’incertitudes englobées dans une série de raisons innombrables, le destin est toujours une affaire de point de vue ».
Le roman excelle parce qu’il fait renaître tout un monde de ses cendres. Les quarante-huit passagers sont « un panel représentatif » de la société occidentale de l’après-guerre et Adrien Bosc parvient bien à saisir le climat de l’époque. A l’intérieur de cet avion, on sent l’odeur du bœuf en gelé et du navarin d’agneau – les premiers repas chauds servis en vol ! -, on entend les pilotes évoquer leurs exploits dans l’aéronavale, on espionne le journaliste des Dernières Nouvelles d’Alsace qui interroge Marcel Cerdan sur son état de forme, son camp d’entraînement, son programme, on devine les bas nylons sous les jupes des hôtesses de l’air… Un parfum vintage doux, mais amer. Comment, en effet, ne pas voir dans le F-BAZN une victime expiatoire, réduite en miettes, pulvérisée, parce qu’elle incarne les valeurs de la modernité ? Ce crash ne condamne-t-il pas tous ceux qui, pour paraphraser Valéry dans Le Bilan de l’Intelligence, ne supportent plus la durée, ne savent plus féconder l’ennui ?
Adrien Bosc, Constellation, éd. Stock, 2014, 193 pages.
Je suis en cours de lecture et j’aime ce roman pour l’instant, par forcément pour les raisons philosophiques que tu évoques mais parce qu’il est aussi le reflet d’un époque. J’aime l’histoire de ses bergers qui pensent trouver fortune en Amérique, tout comme celle de Piaf qui se met à parler aux morts pour retrouver son Marcel.
C’est vrai, ce roman a une couleur, quelque chose de vintage qui m’a aussi beaucoup plu!
Bien à toi, au plaisir de te retrouver sur tes pages,
Marie-Anna.