Des nouvelles du monde (1)
Tout au long de l’été, l’équipe de LHP vous présente une sélection de recueils de nouvelles écrites d’un peu partout, là où les guêtres de notre curiosité nous ont traînés. De quoi vous prouver que Russes et Américains ne sont pas les seuls à exceller dans le genre…
ETATS-UNIS
Onze nouvelles. Onze destins. Le temps d’un été, d’un dimanche à la plage ou de vingt minutes qui récapitulent une vie, James Salter a l’art de raconter ces moments où tout vacille. Ses histoires disent la mélancolie des choses finissantes – la jeunesse évanouie, les espoirs déçus, les rencontres avortées – et l’inexorable solitude. A travers la vacuité de l’existence de ses personnages, jeunes avocats new-yorkais, femme mûre qui a été belle, anciens de West Point ou écrivains en mal de reconnaissance, l’auteur porte un regard acerbe et désabusé sur la société américaine.
Comme Matisse, il a l’art du trait et comme Hemingway, celui de l’ellipse. En quelques mots, il évoque un visage, une ville (Bâle, Barcelone); en quelques pages, il traverse un pays (la France ou l’Italie). La phrase est juste, tranchante et suggestive. Rien n’est dit et tout est là. M.S
American Express, James Salter (traduit par Lisa Rosenbaum), Seuil, Points, 2010, 206 pages.
Comme leur titre l’indique, les Contes d’amour de folie et de mort distillent une inquiétante étrangeté. Dans ses récits publiés au début du siècle dernier, Horacio Quiroga oscille entre réalisme (la vie misérable des péons et des tâcherons, le paludisme, la méningite…) et fantastique. Un événement survient et très vite on dérive; les eaux noires du fleuve Paraná, la forêt tropicale « crépusculaire et silencieuse » deviennent autant de lieux mythiques où se jouent les forces du désir et de la mort. Tout est extrême, les éléments naturels comme les passions humaines, poussées jusqu’à l’hystérie. Tout est menace : le soleil écrasant, la pluie diluvienne, le serpent yararacusu et les colonies de fourmis dévoratrices. Au sein de cet univers où la noirceur n’exclut pas l’ironie, les animaux parlent, la Mort rôde.
Ces textes brefs, sobres et efficaces nous embarquent vers des contrées secrètes, entre horreur et beauté. M.S
Contes d’amour de folie et de mort, Horacio Quiroga (traduit par Frédéric Chambert), Editions Métailié, 2000, 213 pages.
ALLEMAGNE
Étancher votre soif de fait-divers tout en excitant votre intelligence… la voilà la prouesse ! Ferdinand Von Schirach, avocat pénaliste de son état, raconte dans Crimes onze affaires criminelles fascinantes, susceptibles de vous scotcher sur votre serviette pour un bon moment. Affaires réelles ou en parties fictives ? Peu importe. L’auteur joue volontiers de cette ambiguïté. Meurtre, cannibalisme, démembrements, rien ne vous est épargné. Vous êtes transportés dans les bas-fonds de l’âme humaine. Et pourtant, le narrateur, avocat de la défense, se place toujours du côté des criminels. En révélant les motifs psychologiques qui ont mené au crime, il fait exploser la vérité des êtres par-delà l’horreur. De sa voix froide, presque hypnotisante, il conduit le lecteur dans un état limite, entre dégoût et compréhension – au sens le plus littéral du terme. Pas de plaidoyer pathétique à la Hugo, mais un style juridique, sec et elliptique, qui déroule l’affaire des faits à la condamnation, sans précautions ni ambages. L’émotion n’est pas interdite, mais retenue. Seul l’exposé précis et rigoureux des faits peut rendre justice aux hommes. « Aujourd’hui, les plaidoyers ne sont plus décisifs au cours d’un procès. (…) Chaque fausse note, chaque effet de manche et chaque formulation alambiquée est insupportable. Les discours grandiloquents font partie des siècles passés. Les Allemands n’aiment plus le pathos ; tout bonnement parce qu’il y en a eu beaucoup trop ». M.G
Crimes, Ferdinand Von Schirach (traduit par Pierre Malherbet), Editions Gallimard, Du Monde Entier, Février 2011 ; Folio, Août 2012.
Image: John Latham