Un été sans les hommes, Siri Hustvedt
Avec humour et finesse, Siri Hustvedt trace le parcours d’une femme blessée qui trouve en ses pairs et en elle-même une force insoupçonnée. Un roman féminin et féministe, drôle, émouvant et intelligent.
A partir de la trame narrative rebattue de l’époux infidèle, Siri Hustvedt fait un pas de côté. Elle ne racontera ni les cris ni les larmes, mais la reconquête de soi et de sa liberté, dans une tendre célébration des femmes qui leur rend justice : « La banalité de l’histoire – le fait qu’elle soit répétée chaque jour ad nauseam par des hommes qui, s’apercevant tout à coup ou petit à petit que ce qui EST pourrait NE PAS ÊTRE, font dès lors en sorte de se libérer des femmes vieillissantes qui ont, pendant des années pris soin d’eux et de leurs enfants – n’amortit pas le chagrin, la jalousie et l’humiliation qui s’emparent des abandonnées. Femmes bafouées. »
Mia, poétesse de 55 ans, fait le récit sans complaisance et plein d’humour de sa difficile reconstruction après la défection de son époux, une «pause» selon lui, ce qui vaut à sa maîtresse d’être affublée de ce sobriquet :« La Pause était française, elle avait des cheveux châtains plats mais brillants, des seins éloquents qui étaient authentiques, pas fabriqués, d’étroites lunettes rectangulaires et une belle intelligence. Elle était jeune, bien entendu, de vingt ans plus jeune que moi ». Remise de sa «crise psychotique», Mia préfère quitter New York pour tenter de se reconstruire. Elle s’installe à Bonden pour l’été, ville de son enfance où vit encore sa mère dans une résidence pour personnes âgées. Elle y enseigne la poésie à des adolescentes «dans le cadre du Cercle artistique local». Une galerie de personnages féminins représentant tous les âges de l’existence y entoure peu à peu Mia et accompagne son cheminement intérieur : sa mère et ses amies de la maison de retraite, «Les Cygnes», sa fille Daisy, sa thérapeute, le docteur S., qui continue de la suivre par téléphone, les poétesses en herbe, Lola, sa voisine, une jeune mère de deux enfants, dont Flora, enfant singulière et attachante. A leur contact, Mia se redécouvre, s’interroge sur les convergences de leurs parcours et la condition féminine : « Je hurle : Pendant toutes ces années tu es passé en premier ! Toi, jamais moi ! Qui faisait le ménage, s’occupait des devoirs pendant des heures, se tapait les courses ? Toi ? Foutu maître de l’univers ! ». Abigail, l’une des «Cygnes», s’est émancipée grâce à la broderie, elle fait découvrir ses «amusements secrets» à une Mia surprise et touchée : des motifs subversifs cachés dans ses créations. Le roman s’en fait le reflet, cachant dans ses replis des petits croquis de la narratrice – qui s’échappe peu à peu de la page blanche qui l’enferme -, et quelques vers, célèbres ou extraits du recueil né à l’hôpital psychiatrique, Tessons de cerveau :
«Perte.
Une absence connue.
Si on ne la connaissait pas,
ce ne serait rien,
et ce n’est que cela, bien sûr,
un rien d’une autre espèce,
ressenti aussi vivement qu’une écorchure,
mais un tumulte, aussi,
dans la région du cœur et des poumons,
un vide qui porte un nom : Toi»
Narratrice espiègle et joueuse, Mia questionne et interpelle sa «vaillante lectrice» ou son «vaillant lecteur», l’encourage à la patience, lui fait part de réflexions personnelles, littéraires, ou féministes : « Galien, le célèbre médecin grec, pensait que les organes sexuels féminins étaient l’inversion des organes masculins, et vice versa, opinion qui perdura durant des siècles. […] Bien entendu, le dehors l’emportait à tous les coups sur le dedans. Dedans, c’était nettement moins bien. Pourquoi, exactement, je l’ignore. Dehors est joliment vulnérable, si vous voulez mon avis. »
Un été sans les hommes est incontestablement un bel hommage au «dedans».
Un été sans les hommes, Siri Hustvedt, traduit de l’américain par Christine Le Bœuf,
Babel, Actes Sud, 224 pages.