Grand Frère, Mahir Guven
Dans une narration alternée, deux frères racontent leur histoire : « Grand frère » (le narrateur principal, conducteur VTC) et « Petit frère » (infirmier parti en Syrie). Deux frères, deux parcours mais la même blessure depuis la mort de leur mère et le silence du père. La même fracture : des rêves avortés (l’armée, la chirurgie) et une échappatoire (le shit pour l’un, le Cham -la Syrie- pour l’autre.) Sans manichéisme ni misérabilisme, les deux personnages incarnent les failles et les dérives contemporaines : destins empêchés, travail uberisé, dérive identitaire. Le récit de leurs trajectoires, à la fois proches et opposées, entretient un suspense qui monte en puissance.
Il y a indéniablement de l’énergie, un souffle, une voix dans ce premier roman de Mahir Guven. Quelque chose de l’ordre de la sincérité, de la nécessité, loin des romans à succès fabriqués. Et surtout une langue inventive et plastique qui fait flèche de tout bois, qui emprunte autant au verlan qu’à l’anglais, à l’arabe, à l’espagnol, au gitan, au wolof. Une langue à l’image du protagoniste moitié syrien, moitié breton qui a grandi à Paris entre un père communiste exilé politique, une grand-mère catholique parlant français, l’autre musulmane parlant arabe.
Un roman actuel et percutant.
Grand Frère, Mahir Guven, Le Livre de poche, février 2019, 308 pages.
Goncourt du Premier Roman 2018.