Histoires naturelles…, Yoann Bourgeois
Yoann Bourgeois est un nom qu’on entend bien souvent ces dernières années dans l’univers du cirque et de la danse. Et pour cause. Danseur et circassien de formation, Yoann Bourgeois tisse sa toile à la croisée des arts et déjoue toujours davantage nos vaines et désuètes tentatives de classification. De son indémêlable écheveau, il fait sortir de grandes machines à jouer et à rêver qui mettent les corps aux prises avec des forces physiques décuplées. Toujours en recherche d’un équilibre introuvable, d’une apesanteur rêvée, ces corps en mouvement dessinent alors les métaphores de nos existences, les peurs et les aspirations de notre humanité.
Le point de suspension est un peu le fil rouge des recherches de Yoann Bourgeois. Désigné comme « l’instant où les corps et objets lancés en l’air atteignent le plus haut point avant la chute »1, le point de suspension est ce temps utopique convoité par tous les artistes de cirque, sinon par tous les hommes. Histoires naturelles, 24 tentatives d’approches d’un point de suspension est une oeuvre à la fois patrimoniale et en devenir, tout comme le musée Guimet de Lyon qui ouvre ses portes à la compagnie Yoann Bourgeois dans le cadre de la Biennale de la danse. L’ancien musée d’histoire naturelle, vidé de ses collections, est en passe d’être réaménagé en atelier de création pour la danse contemporaine, annexe de la Maison de la Danse. Dans les murs vieillis et chargés d’histoire de l’ancienne salle centrale s’invite une exposition tout autre, faite de citations de spectacles passés de la compagnie, formes courtes à la fois reprises et réinventées. A l’entrée du public, plusieurs dispositifs de l’artiste sont cachés par de grands draps blancs, comme si ceux-ci pouvaient encore recouvrir les squelettes de mammouths et de dinosaures que le musée abritait. Au fil de l’exposition et de la déambulation des spectateurs, les draps chutent et découvrent plateaux mouvants, escaliers, cylindre d’eau, autant de dispositifs repris au patrimoine de l’artiste et réinvestis. On n’en compte pas encore 24, mais les six présents annoncent ceux qui restent à venir.
A l’origine était la chute. Les interprètes sont d’abord installés à l’étage, encore épargnés par l’humaine gravité (dans tous les sens du terme). Mais les chaises s’effondrent avec fracas et l’un après l’autre, les corps dégringolent le long d’une rampe vertigineuse. Chacun rejoint alors sa machine à suspension, son utopie portative où une même expérience se décline, bien que dans des formes très différentes. Il s’agit toujours pour les interprètes de (re)trouver un état de grâce du corps délivré de son poids ; dans un grand cylindre rempli d’eau, sur un trampoline escalier, sur un plateau surélevé dont la rotation très rapide et la force centrifuge permettent des équilibres inouïs… Et même si ce point de suspension est nécessairement éphémère, même s’il faut rompre la magie du moment – sortir de l’eau pour respirer, retomber sur le trampoline -, celui-ci n’en reste pas moins précieux et jouissif. Concourant à cette poétique de la suspension, le traitement du silence et de la musique, si fondamental chez Yoann Bourgeois : le silence tendu à l’extrême par le risque de l’effondrement et du fracas, la musique qui accompagne et intensifie l’heureuse légèreté des corps. A notre tour alors de partager un instant de suspension car si nos corps restent lourds, nos esprits s’élèvent. Nous voici touchés par la grâce, témoins de cette rare alchimie qui permet à une situation physique, une trajectoire, une qualité de mouvement d’accéder aux espaces de la métaphore.