La Lettre à Helga, Bergsveinn Birgisson

La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson a tout pour plaire : une couverture flatteuse, une forme épistolaire plaisante, un décor scandinave attirant. L’histoire d’amour annoncée possède un réel potentiel romanesque : Bjarni, berger des côtes du Nord-Ouest de l’Islande, tombe amoureux de sa voisine, la plantureuse Helga. Tous deux sont mariés. Dans ce monde clos sur lui-même, il ne leur reste qu’une alternative : renoncer à l’amour ou quitter la terre natale. Un roman pastoral à la sauce islandaise, voilà bien quelque chose qui devrait nous tenir chaud cet hiver. On le dit d’ailleurs assez dans la presse, qui célèbre d’une voix presque unanime ce nouveau prodige de la littérature scandinave.

Pour autant, il n’y a rien de miraculeux dans La lettre à Helga. Le roman est tout au plus agréable. Seul l’arrière-plan présente un réel intérêt, mais celui-ci est finalement moins littéraire qu’ethnologique. L’auteur échappe à l’écueil du pittoresque de pacotille, et on peut lui reconnaître un véritable talent dans l’écriture patrimoniale.  Ainsi, on apprécie vraiment  quand Bergsveinn Birgisson oublie son histoire d’amour et  se laisse aller à l’anecdote, qu’on devine dénichée aux confins de la mémoire collective. L’épisode du rapatriement du corps de Sigridur Holmanes est, pour le coup, un vrai petit miracle. Le narrateur et l’un de ses compagnons se rendent sur une île perdue dans le Nord du pays pour récupérer la dépouille d’une vieille femme afin qu’elle soit enterrée à l’Eglise. Mais au moment de repartir, ils l’oublient là-bas. Par malchance, l’hiver est si tenace qu’ils ne peuvent y retourner qu’au printemps. Quel stratagème va donc inventer le mari de la vieille pour préserver le corps de la décomposition ? Il va sans dire que l’invention est savoureuse… On devine que cette histoire est de celles qu’on se raconte le soir, au coin du feu, de génération en génération. Tombé sous la plume de l’auteur, le conte se trouve ragaillardi. Pour autant, son insertion dans le récit est peu motivée, et témoigne d’un problème de composition qui atteint tout le roman.

En effet, si l’auteur réussit à raviver un monde ancien, à faire renaître un peu ces campagnes âpres et rugueuses, il ne fait qu’y plaquer une histoire d’amour artificielle et peu convaincante. Bergsveinn Birgisson a semble-t-il cherché un prétexte, quelque chose de suffisamment solide pour soutenir cet ode au pays. Mais le liant est bien fragile, et l’ensemble patine dangereusement. La relation qui unit le berger à la bergère n’a rien d’original. On sait bien que les histoires d’amour les plus simples sont souvent les plus belles, mais ici, rien n’est moins juste: les soubresauts de la relation sont confondants de banalité et le lecteur se surprend à sourire aux moments les plus aigus de la crise. Après des années de souffrance, quand il apprend le divorce d’Helga, Bjarni revêt ses plus beaux vêtements, gomine ses cheveux, se plante devant la porte de la jeune femme…et découvre un homme qu’il finit par rosser avec la fureur d’un dément. La morale est elle-même rebattue : le berger a aimé cette femme pour son inaccessibilité, « pour vivre en fin de compte dans la souffrance et l’absence d’amour planifié ». Alors, oui, Bergsveinn Birgisson tente de nous remuer un peu en introduisant des passages olé-olé, comme ce surprenant accouplement de l’homme et de la brebis, la chair de l’animal rappelant douloureusement les courbes d’Helga. On remercie le narrateur de tant de sincérité, la scène est en elle-même plutôt bien écrite… mais honnêtement, personne n’y croit.

Pire, on en vient à s’agacer quand l’ode à la campagne se transforme en un chant anti-capitaliste confondant de bêtise. L’évocation d’un possible exil à Reykjavik provoque chez le berger des sueurs froides. Son angoisse est légitime, parce qu’en ville, tout le monde le sait bien, même les canards deviennent idiots : « Ils voient tout leur tomber dans le bec, perdent leur éclat et leur caractère (…). Ils sont devenus exactement pareils aux gens, de tristes parasites qui se chamaillent pour gober ce qu’on leur jette ». Drôle de soupe que nous sert ici Bergsveinn Birgisson, et c’est bien nous, lecteurs, qui prenons le risque de perdre un ou deux neurones…

 

Bergsveinn Birgisson, La Lettre à Helga, éd. Zulma, 2013, 131 pages.