L’Anniversaire, Imma Monso
Huis clos, suspense, récits alternés, rebondissements… L’anniversaire de Imma Monso est indubitablement un thriller haletant, mais pas seulement. C’est aussi un roman qui analyse avec finesse les rapports de couple et les liens entre réalité et fiction.
Ils sont ensemble depuis plus de vingt-cinq et les enfants ont quitté la maison quand la crise éclate. Elle ne le supporte plus, ils ne se comprennent pas et achoppent sur chaque mot, chaque expression. Parce qu’ils ne veulent pas se séparer mais que toute discussion tourne à l’affrontement, elle propose qu’ils ne se parlent plus et communiquent seulement par écrit. Après trois semaines de cohabitation silencieuse, il lui adresse un message énigmatique : « Nous fêterons l’anniversaire en dehors de la maison, loin. Nous partirons à neuf heures. » Quel anniversaire? Dans quel lieu? Avec quel cadeau? Etonnée, agréablement surprise par son mari qu’elle a toujours trouvé « prévisible comme une pendule », Raquel s’embarque avec curiosité dans ce voyage (et le lecteur aussi). Mais l’aventure enthousiasmante devient peu à peu angoissante lorsque Mateu révèle à sa femme l’inquiétant cadeau qu’il a préparé pour elle. Tous deux se retrouvent alors prisonniers dans le huis clos de la voiture et Raquel découvre une facette de son mari qu’elle ne connaissait pas. Cet homme pragmatique, concret et maladroit, capable d’élaborer un scénario terriblement précis et glaçant, qui est-il vraiment? Un sadique? Un psychopathe? Ou, simplement, un mari qui cherche à reconquérir sa femme et à obtenir son admiration? Un enfant blessé? « En vérité, cet étranger n’est pas vraiment « lui ». Tout au moins, il n’est pas l’homme qu’elle connait depuis plus de vingt-cinq ans. »
Au cours des chapitres, l’auteure fait alterner le récit du voyage d’anniversaire et celui de l’enfance de Mateu qui éclaire peu à peu sa personnalité. Enfant solitaire, délaissé par ses parents très occupés, il partageait ses loisirs avec Guillem, un ami étrange, passionné de lecture. Sous la direction de ce dernier, les deux garçons apprenaient, reconstituaient et revivaient jusqu’à l’obsession des scènes de Moby Dick. Mais une catastrophe les sépare et laisse Mateu marqué à jamais par ce traumatisme, hanté par la culpabilité et la défiance à l’égard des mots. Pour ne plus souffrir, il refuse alors toute lecture de fiction, toute expression artistique, choisit des études scientifiques et s’applique à ne voir que la simple réalité. A l’opposé de son mari, Raquel est habitée par le langage et se réfugie dans l’imaginaire : elle a la curieuse habitude d’inventer mentalement des phrases de poème et de les traduire. C’est justement cette différence qui a séduit Mateu, Raquel lui a rappelé Guillem, son goût pour les jeux avec les mots : « Mateu se sentit délicieusement complété et illuminé par cette femme qui le ramenait dix ans en arrière ». Raquel a été rassurée par Guillem : « Tout en toi était propre, ordonné, et transparent…tout ce dont j’avais alors un grand besoin… »
Aventure singulière mais aussi symbolique que celle de ces deux personnages: le plus souvent désignés par les pronoms « il » et « elle », Raquel et Mateu deviennent emblématiques de tous les couples « usé(s) par la routine du quotidien qui rend tout invisible et inaudible ». Malgré les années passées ensemble, ils s’aperçoivent qu’une part de l’autre échappe, cette part qui vient du plus profond de l’enfance et que chacun a voulu oublier. La troublante mise en scène élaborée par Mateu pose aussi la question de la réalité et de la fiction. Peut-on vivre un livre? La « réalité objective » existe-t-elle? Qu’est-ce qui différencie le mensonge de la fiction? « Dans la fiction, on participe d’une convention établie et dans le mensonge il n’y a pas de consensus: c’est une tyrannie unilatérale. » explique Raquel. Mais parfois la réalité semble moins crédible que la fiction et les frontières sont brouillées.
Avec son écriture limpide, sa construction au cordeau, L’Anniversaire de Imma Monso surprend, inquiète et ravit le lecteur.
L’Anniversaire, Imma Monso, traduit du catalan par Maria Vila Casas, Jacqueline Chambon, Actes Sud, 2019, 261 pages.