Le Labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli
Entre 1963 et 1965 se tient le second procès d’Auschwitz au cours duquel 22 acteurs mineurs de l’Holocauste sont jugés pour des actes individuels. Giulio Ricciarelli fait le récit de la laborieuse instruction de ce procès historique qui tâcha d’alerter les consciences sur la responsabilité individuelle des « petits », enclins à diluer leur faute dans les rouages de la machine nazie.
Johann Radmann est un jeune homme fraîchement nommé procureur à Francfort-sur-le-Main, et dont l’activité principale se limite à des délits mineurs. En cette année 1958, un journaliste, Thomas Gnielka, fait irruption dans le palais de justice et réclame qu’une instruction soit ouverte contre un ancien nazi. Ce dernier, responsable de crimes odieux à Auschwitz, coule désormais des jours tranquilles en tant que professeur. Mais Gnielka se heurte à l’indifférence générale, seul Radmann est intrigué. Le jeune homme entame une enquête et finit par être officiellement nommé à la tête d’une instruction à l’ampleur abyssale, puisqu’il doit recueillir toutes preuves utiles des crimes nazis à Auschwitz afin d’en condamner les auteurs.
Après Phoenix de Christian Petzold, le cinéma allemand contemporain démontre une fois encore son intérêt pour les difficiles années qui suivent la Seconde Guerre mondiale. Comment pardonner ? Comment assumer les crimes commis par le voisin, l’oncle, ou même le père ? Radmann est d’abord le témoin d’une omerta générale, ou plutôt d’un déni. Comme l’en avise un collègue, toutes les guerres ont après tout leur lot de crimes, et l’histoire officielle est toujours celle des vainqueurs. En cela, l’Allemagne n’a pas à payer encore ; il est temps de passer à autre chose. Une posture confortable qui se double d’une ignorance terrible. Comme en France à la même époque, l’Allemand moyen ignore tout de l’holocauste, et le mot Auschwitz n’évoque rien à ses oreilles. Les SS et les cadres nazis sont encore omniprésents au sein de la société : du juge au haut fonctionnaire en passant par le simple boulanger, les miasmes du IIIème Reich parsèment la société toute entière et la musèlent dans un silence assourdissant. Pour en révéler la substance, Giulio Ricciarelli joue à merveille sur le détail et l’anecdote.
Mais la prise de conscience progressive de Radmann et l’évolution du personnage sont sans conteste les plus belles réussites du film. D’abord ignorant des crimes nazis comme tant d’autres, il témoigne d’un intérêt croissant qui se focalise sur la figure du terrible docteur Mengele et vire à l’obsession. Le jeune procureur passe de l’effroi à la colère et endosse rapidement le costume d’un banal père-la-morale qui enquête, traque et condamne avec la certitude des justes. On aurait pu en rester là, mais voilà que Radmann apprend que son père était aussi carté au parti nazi, et ses certitudes s’effondrent. Dès lors, il comprend qu’il ne mène pas là une simple croisade du bien contre le mal, mais qu’il a pénétré l’insondable sac de nœuds que représente la psyché du peuple allemand. Blessé dans sa chair, tour à tour abattu et révolté, Radmann chute de son piédestal et réalise qu’il n’est qu’un Allemand parmi d’autres, incapable de concilier un passé collectif qui le submerge avec sa morale personnelle. D’abord insipide, le personnage prend de l’épaisseur à mesure qu’il se noie dans la nécessité double et paradoxale de se souvenir et d’oublier, de condamner et de pardonner.
Giulio Ricciarelli saisit donc avec brio l’impossible pardon allemand. Mais incapable de respecter son sujet, ou simplement de lui faire confiance, il commet la regrettable erreur de le parer d’inutiles fanfreluches. Le philosophe Adorno avait créé une polémique en affirmant qu’écrire un poème était intenable après Auschwitz. Dans sa lignée, Claude Lanzmann avait estimé que le documentaire était seul capable de saisir la vérité du génocide, et que toute tentative de styliser un témoignage ou, pire, de recourir à la fiction ou au pathos, était obscène. Si Adorno ou Lanzmann n’ont sans doute pas complètement raison, force est de constater que le trop plein musical du film, son montage souvent manichéen et sa direction d’acteurs sans retenue nuisent à cet immense sujet, et traduisent davantage le peu d’estime que le réalisateur porte à son public. On regrette qu’il ne s’en soit pas tenu à la scène poignante du premier témoignage recueilli par Radmann et sa dactylo, dans laquelle les mots du survivant ne nous parviennent pas, mais où l’effroi et la tristesse de la secrétaire disent tout. De l’émotion, donc, mais au service d’une certaine pudeur. La preuve que le réalisateur ne manque pas d’à propos et qu’il s’est, hélas, laissé déborder par une coupable envie de trop bien faire.
Date de sortie : 29 avril 2015
Réalisé par : Giulio Ricciarelli
Avec : Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht
Durée : 2h03
Pays de production : Allemagne
Film vu il y a quelques jours. Malgré en effet quelques passages un peu trop explicatifs, et une histoire d’amour sans surprise, ce film reste un témoignage précieux de l’Allemagne des années soixante.
A voir!