Le Septième Sceau, Ingmar Bergman
Au XIVème siècle, le chevalier Antonius Blok et son écuyer Jöns rentrent d’une décennie de croisade. Sur une plage, Blok, assailli par des questions métaphysiques sur Dieu et la camarde rencontre la Mort personnifiée justement venue l’emporter. Le chevalier lui propose une partie d’échecs pour gagner du temps et trouver des réponses. Alors que se déroule ce jeu macabre, Blok regagne sa demeure entouré de compagnons de circonstance et traverse un pays dévasté par la peste. La population, en perdition physique et morale, ne sait plus à quel saint se vouer pour échapper à la mort.
Le Septième Sceau est un beau film : Bergman sait composer ses plans avec finesse, y mêle poésie et puissance contemplative. De magnifiques tableaux ouvrent l’oeuvre : ainsi ces chevaux au bord de la mer, cet aigle de l’Apocalypse tournoyant dans les cieux (Le Septième Sceau est une référence explicite à ce chapitre de la Bible). Certaines scènes, passées à la postérité, sont purement fantasmagoriques, comme le jeu d’échecs entre la Mort et le chevalier, ou la danse macabre finale au sommet d’une colline.
Les thèmes de la fin du monde et de la perdition collective sont brassés avec les questions de la morale, du bonheur et de la foi. Ingmar Bergman n’y va pas de main morte ; son œuvre ne laisse pas beaucoup de place à la suggestion. Ses dialogues philosophiques plongent le spectateur, de gré ou de force, dans une introspection poussée : le chevalier, en crise existentielle, de retour d’un voyage dont on devine l’âpreté, voire l’horreur, est tiraillé entre sa foi et sa lassitude à l’égard de la religion. « Pourquoi ne puis-je tuer Dieu en moi ? Pourquoi continue-t-Il à vivre de façon douloureuse et avilissante ? », se demande Blok. La mort approchant, le voilà qui redoute ce qu’il y trouvera. Car, si la vacuité de l’existence le dégoûte, c’est bien le néant qui l’épouvante surtout. Et sa quête entière se résume à trouver un palliatif à ce vide suffocant. La partie d’échecs est une métaphore qui révèle l’absurdité de ses prétentions : s’il est intelligent, bon, s’il parvient à repousser son trépas de quelques instants, usant d’audace et de stratégie, créant même une complicité avec la faucheuse, tôt ou tard il sera mat. L’introspection, le calcul, la connaissance et toutes formes de spéculations sont vains.
La fable philosophique est doublée d’un récit picaresque qui la nourrit et l’enrichit. Si Antonius Blok est un Don Quichotte grave et spirituel, son écuyer Jöns a en commun avec Sancho Pança, l’écuyer du personnage de Cervantès, une puissante lucidité qu’il alimente de sarcasmes désabusés. Il ne sombre pourtant jamais dans un cynisme intégral puisqu’il se conduit toujours avec vertu, comme dans cette grange où il surprend un moine défroqué devenu pilleur de cadavres, prêt à violer une belle innocente qu’il sauve. Une scène où le cinéaste suédois démontre toute sa maîtrise de la lumière, toute son habileté à tirer le meilleur d’un noir et blanc qui sied parfaitement à son sujet.
Le duo classique du chevalier et de l’écuyer traverse une terre dévastée par la peste. Les habitants des villages ne savent plus comment agir : tantôt ils défilent en pénitents, se flagellent et prient, tantôt ils sacrifient sur le bûcher une jeune femme persuadée d’avoir eu commerce avec le diable. C’est la rencontre d’une famille de comédiens qui apportera peut-être les meilleures réponses à Blok. Tous trois simples, bons, généreux, ils sont liés par un amour pur qui semble les tenir à bonne distance des vices de l’époque. Cette rencontre agit comme une révélation pour celui qui n’a peut-être jamais cherché du sens où il le fallait. Le choix de Bergman se porte sur des artistes pour incarner la vertu et le salut, ce qui n’est bien sûr pas innocent.
Réflexion sur Dieu, sur la mort et sur l’art, voilà un film grave et sérieux a priori difficilement comestible. C’était sans compter sur l’audace de Bergman pour assaisonner l’ensemble de saynètes qui apportent un peu de légèreté. Les sarcasmes de Jöns sont parfois comiques, tout comme ces scènes de séduction, de mari jaloux ou de faux suicide, inspirées des origines de la commedia dell’arte. La référence en est explicite : les artistes sont des comédiens itinérants qui chantent et dansent sur une scène montée à la hâte au milieu du village.
Il y a quelque chose de grand-guignolesque dans ce film. L’usage du fantastique, d’une manière toute enfantine, et les facéties de quelques personnages contrastent bizarrement avec la lourdeur mystique et le ton très (trop ?) déclamatif des passages « sérieux ». Ingmar Bergman livre un ovni cinématographique qui pourrait faire la jonction entre un cinéma fantastique désuet, celui de l’entre-deux-guerres, et le film d’auteur intello des années 50-60. Un film foisonnant et exceptionnel, donc, qui ne ressemble à rien et bouscule forcément.
Les Septième sceau est à découvrir sur grand écran à l’Institut Lumière de Lyon dans le cadre d’une rétrospective consacrée à Ingmar Bergman. Le programme est à consulter ici.
Date de sortie : 16 février 1957
Réalisé par : Ingmar Bergman
Avec : Bengt Ekerot, Max von Sydow, Gunnar Björnstrand
Durée : 1h36
Pays de production : Suède
Merci pour cet article, qui nous fait replonger avec plaisir et fascination dans l’univers si particulier d’Ingmar Bergman.
Les tableaux que vous évoquez – notamment ces face-à-faces entre le chevalier et la mort et les scènes baignant dans l’océan – font penser à certaines scènes d’un autre chef-d’oeuvre de Bergman, L’Heure du loup (1968). Dans ce film, point de salut ni de légèreté, mais la révélation des fantasmes noirs et tordus d’un mari, avec la mer, omniprésente et menaçante. En écho au Septième sceau, à voir ou à revoir, au moins pour l’envoutante et inquiétante Liv Ullman!