Mommy, Xavier Dolan
Le dernier film de l’excellent Xavier Dolan nous plonge dans l’intimité violente d’une mère et de son fils. Un petit chef d’œuvre.
Steve (excellent Antoine-Olivier Pilon) est atteint d’un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité. Tout juste exclu d’un centre de rééducation du fait de sa violence, celui-ci retrouve sa mère, Diane Després (touchante Anne Dorval), qu’il adore plus que de raison. Dès les premiers instants, les effusions d’amour de Steve pour Diane succèdent aux accès de brutalité à son égard. En face du logis de ce couple terrible, une voisine étrange, snob et mutique les observe. C’est Kyla, professeur en congé sabbatique qui se remet doucement d’un drame terrible. Bientôt un trio harmonieux et prometteur se forme.
Il a une gueule blonde, l’œil rougeaud et une grosse bouche. De cette bouche, il a fait un puits à injures, un gueuloir infini qu’il tortille et déforme dans tous les sens pour tirer la langue, montrer les gencives et cracher. Lui, c’est Steve, un ado terrible, violent, qui vitupère, tape du pied et braille encore et toujours, mû par ses seules émotions. Complètement irrationnel, Steve n’a que son amour et sa colère pour lui… Et sa mère, une femme un brin vulgaire, une grande gueule sans le sou et sans éducation.
On le connaît Dolan. Un post-adolescent éternel au cinéma écorché vif et passionné, dans lequel on s’agite en insultant sa mère, sur un arrière-fond de musique pop. Un génie pour certain, un poseur injustement starifié pour d’autres. Et c’est vrai que parfois notre cœur balance. Mais, dans cette nouvelle plongée dans l’intimité d’une mère et de son fils, l’aiguille de la balance s’est bloquée tout à droite, du côté des chefs d’œuvre.
Dolan est un cinéaste, un vrai, qui ne redoute jamais de sombrer dans la facilité. Il ne craint pas d’utiliser tous les moyens dont son art dispose, de jouer sur le flou, le format de l’image ou le clair-obscur. Son cinéma est parfois naïf mais toujours grandiose : chacun de ses effets sert une émotion, la révèle ou la sublime. Ce qu’il dit est fort. Ce qu’il montre l’est aussi. Une candeur cinématographique salutaire qui fait de lui un tout grand.
Ainsi Dolan filme Steve et sa mère dans un carré resserré, format 1 :1, procédé d’abord perturbant qui engonce, empêche, mais qui finit par se faire oublier. Par deux fois cependant le format s’élargit quelques instants et prend tout l’espace de l’écran ; une harmonie paraît alors atteinte dans la vie chaotique des protagonistes, et l’image se délie, prend de l’ampleur, de la couleur aussi. Difficile effectivement d’atteindre la quiétude dans un quotidien miné par les problèmes d’argent, par les sautes d’humeur de la bombe à retardement qu’est Steve. Le film n’a pas d’intrigue véritable et se présente comme un concentré d’émotions à l’état brut. Cette Mommy et son fils survivent, craignent chaque jour d’être demain et tâchent parfois de profiter d’instants lumineux, de moments de grâce entre les crises.
Dolan filme les émotions et les travaille au corps. La société n’a aucune prise sur Steve. Insensible aux moqueries, dépourvu d’empathie, imperméable à tout code social, tout se passe comme si le jeune homme n’était qu’un animal doué de parole, un fou seulement capable d’éprouver avec force ses émotions dans un quotidien terne. Finalement, personne n’est plus libre que Steve. Le jeune réalisateur offre des scènes brutes pour saisir cette liberté : une insulte contre le regard oblique d’une caissière, une danse sensuelle sur Céline Dion, un ride de longboard, un lancer tourbillonnant de caddy… Dolan, c’est la rencontre impromptue du glauque et du lyrisme. Et ce lyrisme devient poignant lorsque Diane rêve un avenir idéal pour son fils : dans une séquence magistrale et tragique, elle imagine les étapes de cette vie rêvée, une vie somme toute normale, études, job, amour, un tout si banal mais si beau – un fantasme – pour ce fils qui ne sera jamais comme les autres. Au cours de ce songe vain, le réalisateur québécois tutoie la quintessence de l’amour parental au point de nous tirer quelques larmes.
Cet amour maternel est contradictoire. Car si Diane veut le meilleur pour son fils, c’est-à-dire un statut social, une autonomie, elle est aussi éprise de son absolue liberté. Cette dualité se concrétise avec l’apparition de Kyla, véritable double de Diane, qui seule paraît capable d’ « insérer » Steve en l’éduquant. Diane peut alors se contenter de subvenir aux besoins de la famille et d’aimer follement. La concorde naît de cet alliage brinquebalant, concorde éphémère puisque le trio n’est pas seul au monde et que la société finit par exiger son dû.
Mommy est finalement tout ce qu’on aime voir au cinéma. Une extrême intelligence au service de l’émotion, des acteurs sublimes, une virtuosité de cinéaste toujours à-propos, toute vouée à la beauté d’une œuvre, beauté des mots, de l’image et des âmes.
Date de sortie : 8 octobre 2014
Réalisé par : Xavier Dolan
Avec : Antoine-Olivier Pilon, Anne Dorval
Durée : 2h18
Pays de production : Canada
sujet grave, belle énergie, langage corsé, interprétation très forte, parti pris cinématographique qui fait qu’on se concentre sur les personnages, leurs émotions….A voir absolument
Et bel article
« Si l’oeil est entièrement conquis, nul besoin de donner à l’oreille » R.Bresson
Dommage que Dolan donne tout, et, en terme de mise en scène, donne bien souvent trop, rajoutant couche sur couche jusqu’à épuisement.
A des cadrages déjà grandioses, il colle un ralenti, y ajoute un superbe mouvement de caméra sur un air de musique ultraconnu. Sans parler du jeu des acteurs qui est exceptionnel, et des costumes merveilleux qu’il a lui même conçus.
A vouloir trop donner au spectateur, on en sort avec une indigestion, comme après un repas délicieux dont on aurait abusé, et qui nous donne finalement mal au ventre.
Dolan, réalisateur adepte du » Never Too much », réaliserait de vrais chefs d’œuvres… s’il gagnait en subtilité.
Oui, d’autres auteurs du site partagent votre avis… Et c’est une critique que l’on entend – à juste titre- beaucoup sur Dolan. Pour ma part, je trouve ce « never too much » plutôt réussi, justement parce qu’il contourne cette loi d’airain du « subtil » et du « juste » qui engonce nombre de réalisateurs qui, par souci de signer une oeuvre de « bon goût » oublient qu’ils font du cinéma. Dolan est culotté et y va franchement. Je trouve qu’il ne sombre jamais dans le grotesque, qu’il surfe à la limite, et c’est ce numéro d’équilibriste qui me plait dans ses films. Son talent, c’est peut-être ça: en faire des tonnes mais rester léger, servir un propos, bref faire un bon film. A contrario, la mécanique d’un Terrence Malick m’indispose davantage. Contrairement à celle de Dolan, je ne l’oublie jamais.
Par ailleurs, j’ai entendu de nombreuses critiques, plus générales sur la sur-présence de musique au cinéma. (là encore, les auteurs de LHP ne sont pas d’accord). Pour ma part, la musique ne m’indispose pas, quand son utilisation se justifie. Le cinéma n’est pas qu’un art d’abord visuel, et je pense que la musique est un atout aussi légitime que jeu, décor, cadrage, couleurs, composition… Un film pourrait avoir 2h de musique que ce ne serait pas assez, un autre en avoir 2 minutes que ce serait trop. Je n’ai aucun a priori théorique sur cette sur-représentation. Sur ce Dolan, aucun excès ne m’a marqué.