Des nouvelles du monde (3)
Derniers détours avant la rentrée, brefs séjours en Algérie et en Iran, avec Kamel Daoud et Zoyâ Pirzâd.
Qu’il s’agisse d’un coureur du marathon d’ Athènes, d’un chauffeur de taxi roulant vers Alger, de l’ inventeur d’un nouvel avion, d’un écrivain nègre se révoltant contre un récit mensonger ou d’un Arabe imaginaire prenant la place du sauvage Vendredi, c’est toujours de l’histoire de l’Algérie qu’il est question. Du Colon, de l’Indépendance et ce qui s’ensuit puisque «toutes les histoires de mon pays commencent par celle-ci, curieusement, à la date du 5 juillet 1962.» Avec le talent de polémiste qu’on lui connaît, Kamel Daoud porte un regard lucide et sans concession sur son pays, sa mémoire occultée, ses dirigeants corrompus et surtout son peuple endormi, irrémédiablement marqué par la soumission, la guerre et la trahison. Iconoclaste et blasphématoire, l’auteur de Meursault contre-enquête détruit les clichés et détourne les mythes. Alger la blanche devient ainsi la grande prostituée, poubelle géante, monstre dévorateur; le chauffeur de taxi au cou de taureau un Minotaure dans le labyrinthe des routes et le concepteur d’un avion nommé Ange un nouveau prophète frappé par la Révélation. Dans « L’Ami d’Athènes » – première nouvelle du recueil et peut-être la plus forte, la plus réussie- le coureur de fond devient emblématique de toute une jeunesse qui fuit le village, la misère et les fantômes de l’Histoire. Avec la rage du désespoir, il court contre la défaite, contre la honte, contre la peur, et la phrase enfle et s’allonge au rythme de son souffle.Comme ce dernier et comme le fabricant d’un nouveau prototype d’avion, l’écrivain tente d’arracher son peuple à la pesanteur: «Vous comprendrez alors pourquoi aujourd’hui la foule me craint comme la peste: je brise un destin et propose mieux que d’écraser les fronts par terre.» M.S
La préface du nègre : le minotaure 54, Kamel Daoud, Actes Sud,128 pages.
« Une vie », titre de l’une des nouvelles de Zoyâ Pirzâd, pourrait convenir aux dix-huit courts textes de son recueil. Des brèves, des presque riens, des fragments de vie. Mais, en quelques pages, c’est souvent toute une existence qui est convoquée autour d’un objet, d’un vêtement ou d’un paysage. Ces vies de femmes confinées dans leur appartement, où le mariage constitue le seul événement, s’écoulent, de génération en génération, dans le recommencement, dans la monotonie des tâches ménagères et l’attente du mari: «C’était comme si toutes ces années n’avaient duré qu’un an, tous ces mois un seul mois, tous les jours du mois un seul jour; un jour dont tous les instants lui étaient familiers.» Vies banales certes mais dont l’auteure sait révéler toute la poésie et l’intimité secrète par son sens du détail et son art du récit. Dans son style juste et délicat, parfois empreint d’humour ou frôlant le fantastique, Zoyâ Pirzâd explore cet univers féminin et donne voix aux pensées secrètes et aux espoirs enfouis de ces oubliées de la société traditionnelle. M.S
Comme tous les après-midi, Zoyâ Pirzâd, Zulma, 2009, 149 pages.