Operation Sweet Tooth, Ian McEwan
Dans une longue interview accordée à François Busnel pour le magazine Lire, Ian McEwan affirmait récemment : « La vraie force d’un roman réside dans sa capacité à représenter le paysage intérieur d’un personnage ». Dans le cas présent, celui de Serena Frome, héroïne et narratrice du dernier roman du Britannique. Contrairement à McEwan dans Operation Sweet Tooth, nous ne ferons pas durer le suspense : son dernier opus, sans être un pensum intolérable, n’a pas l’étoffe de ces grands romans où l’on quitte à regret les personnages et leurs « paysages intérieurs »… C’est au mieux divertissant, au pire vain.
Pourtant, l’affaire s’annonçait plutôt bien : McEwan dépeint, au travers de la belle Serena, l’Angleterre des 70s’ tiraillée, comme la protagoniste d’ailleurs, entre un conservatisme de bon aloi et une soif de liberté mal dégrossie. La narratrice, jeune anglaise bien sous tout rapport, doucement rebelle et naturellement conformiste, rencontre Tony Canning, un ancien du MI5, les services de renseignement britannique. Celui-ci, à l’issue d’une période idyllique de formation amoureuse et intellectuelle, lui obtient un poste subalterne au sein de l’agence. Après quelques mois de travail de secrétariat, elle se voit confier une véritable mission, Sweet Tooth, dont l’objectif est de favoriser l’émergence et la diffusion d’auteurs favorables à l’idéologie du bloc de l’Ouest. Elle fait ainsi la rencontre de Tom Haley, un écrivain prometteur selon les critères du MI5, dont elle tombe éperdument amoureuse, au point de compromettre sa mission et sa carrière.
Force est de reconnaître que le projet de MacEwan est ambitieux. Naviguant entre roman d’espionnage, roman d’amour et récit d’apprentissage, il brosse le portrait d’un Etat anglais morose, angoissé par son déclin, soucieux de contenir les assauts terroristes de l’IRA et l’invasion des idées marxistes, usant de la force mais aussi d’une forme de soft power qu’illustre l’opération Sweet Tooth. MacEwan ne s’arrête pas là puisque sur ce fond de Guerre Froide, il engage une réflexion autour de la littérature et de son influence sur le réel, sur les écrivains, dont l’art ne serait pas si éloigné de l’espionnage.
On peut tout au plus s’amuser des aventures de la ravissante et naïve Miss Frome, mais McEwan ne nous laisse rien percevoir de son « paysage intérieur ». Parce qu’il pratique une écriture de la transparence (parti-pris qu’il revendique dans l’interview citée plus haut), où tout est trop explicité, le moindre état d’âme, la moindre émotion, il retire tout mystère à ses personnages, simples pantins qu’il manipule avec complaisance. Une fois le livre clos, et malgré la révélation finale, il ne nous reste presque rien à méditer, aucun os à ronger, si ce n’est cette réflexion un brin stérile sur les pouvoirs et le statut de la fiction. Opération Sweet Tooth est le jeu romanesque d’un auteur aguerri et malin, qui a cependant négligé la simple et nécessaire émotion littéraire.
Operation Sweet Tooth, Ian McEwan, Gallimard, 2014, 439 pages.