Romans solaires (2)
Suite de notre sélection de romans solaires à déguster avant de voir s’envoler l’été…
De Rocco à Elia, de Carmela à Ana, la famille des Scorta est marquée par le sceau du tragique. Comme l’inceste et le parricide chez les Labdacides, l’alcoolisme et la folie chez les Rougon-Macquart, leur lignée se fonde et se déploie dans le viol et la misère.
Le roman de Laurent Gaudé aurait pu s’appeler « La Malédiction des Scorta » : une généalogie de pouilleux figés dans un petit village italien écrasé par la chaleur. Le soleil, omniprésent, crée le décor poussiéreux de Montepuccio et condamne parfois. Rien ne semble épargner la famille : le premier Scorta est un violeur, le fils adoptif un assassin et les trois premiers enfants des parias.
Mais si la vie ne les ménage pas, c’est la parole qui les honore et les sauve : l’alliance secrète entre Rocco et le prêtre du village, le récit rétrospectif de Carmela – survivante de la première génération, qui ne se « confesse pas » mais qui parle avant « que tout ne soit englouti » -, le pacte des Scorta pour qu’ils perpétuent la légende familiale… C’est la parole qui unit les membres de cette famille obscure, scelle leur destin, les absout de la misère, et transforme ces gens de peu en figures mythiques. Ce sont alors des crasseux traversés par la lumière, qu’honore leur volonté farouche d’être plus que « des culs-terreux qui vivent et crèvent sous le soleil ».
Le Soleil des Scorta, Laurent Gaudé. Actes Sud, 2004, 247 pages.
J.M
Province du Chaco, Nord de l’Argentine.
Quelques heures avant l’orage, le Révérend Pearson et sa fille Leni tombent en panne et s’arrêtent dans un garage isolé. C’est une construction précaire de briques nues, vainement protégée du soleil par un porche de branches et de roseaux. La chaleur est écrasante et les chiens se terrent sous la ferraille. Le propriétaire des lieux, El Gringo Bauer, s’attèle rapidement au travail, mais la panne est sévère, le huis-clos se resserre et cristallise les tensions.
Ce bref roman épuise toutes les ressources du tragique. Le mercure monte et les passions s’exacerbent. Chacun attend l’orage libérateur, tout en sachant bien qu’il sera porteur du drame. Le dénouement, d’une infinie tristesse, conclut un premier roman tendu à l’extrême, d’une sobriété remarquable.
Après l’orage, Selva Almada, Métailié, 2O14, 133 pages.
M.G
Cet été-là, Pierre rejoint son frère Jean à bord de son voilier. Avec Lone et Jeanne, leurs compagnes respectives, ils naviguent, plongent et pêchent sous le soleil entre Naples et Capri. Ce pourrait être une croisière idyllique mais, très vite, le narrateur ressent une impression de malaise et s’interroge : « Je n’étais pas certain que ce soit une bonne idée que nous partions en vacances ensemble. »
Cette inquiétude naissante tient à presque rien, à quelques détails : un malentendu, un oubli, un vocabulaire maritime qu’il ne comprend pas, un sous-vêtement qui traîne, un chapeau qui change de place, des méduses qui encerclent le bateau… Dans la touffeur et la promiscuité de la cabine, des souvenirs lui reviennent d’un soir de juin où « la chaleur était la même. Etouffante. » et le trouble s’installe. L’intrigue progresse à petites touches avec une écriture légèrement décalée, pleine d’humour et une construction précise et efficace. L’ambiance devient électrique : « L’air était irrespirable », les signes s’accumulent et l’orage éclate. Mais rien ne se passe comme on l’attend et la fin surprend par une chute inattendue.
Un court roman, presque une nouvelle, qui joue subtilement avec le souvenir de Pierre et Jean de Maupassant. A lire d’une traite, le temps d’une sieste.
Un été, Vincent Almendros, Editions de Minuit, 94 pages.
M.S
Bonjour tristesse, Françoise Sagan, 1954, Pocket, 160 pages.
« Une grande villa blanche, isolée, ravissante, (…) bâtie sur un promontoire, dominant la mer, cachée de la route par un bois de pins ; un chemin de chèvres descendait à une petite crique dorée, bordée de rochers roux où se balançait la mer. » Le père de Cécile, son meilleur, son plus distrayant ami, l’a louée pour l’été. Sa fille de dix-sept ans a accepté qu’il y invite aussi sa maîtresse, Elsa, grande fille rousse tout-à-fait insignifiante. Leur hédonisme naturel promet à ce couple père-fille un été des plus heureux, dans une parfaite insouciance, écrasés de soleil, à rincer la grisaille parisienne au bleu de l’eau salée.
Cependant, si les premiers jours sont éblouissants, l’arrivée d’Anne vient bouleverser leur indolence. Cette ancienne amie de la mère décédée de Cécile est « aimable et distante », aussi intelligente et discrète qu’eux sont bruyants et futiles. Peu importe alors les bains de soleil, le sable chaud et la sensualité de Cyril. Une ombre se replie sur la jeune fille, « comme une soie, énervante et douce », que le soleil, aussi éclatant soit-il, ne pourra dissiper. Bonjour tristesse.
Un roman court et intense, tout en nuance et en subtilité, où viennent s’échouer les plaisirs solaires de l’adolescence.
E.R