Ce sentiment de l’été, Mikhaël Hers
« Le sujet du film [c’est] la vie, dans tout ce qu’elle embrasse. Chercher à dessiner ce réel mouvant et énigmatique qui échappe sans cesse, où l’incongru, le drolatique ou bien le pire peuvent surgir à tout instant. » Ces mots de Mickaël Hers définissent parfaitement son deuxième long métrage : filmer au plus juste des fragments de l’existence de Lawrence au cours de trois étés, entre Berlin, Paris et New-York.
La séquence inaugurale est à l’image du film, elle montre l’existence dans ce qu’elle a de prosaïque, de lumineux, de violent et de tragique. C’est le premier été, à Berlin. La caméra suit avec fluidité et délicatesse Sasha, jolie trentenaire qui part au travail. Rien de particulier ; le quotidien, seulement. Le baiser à son amoureux encore endormi, l’hésitation entre un haut bleu ou jaune, une tasse de thé, le parc traversé pour se rendre à l’atelier… Les mouvements du personnage sont linéaires, mécaniques, mais légers. Cette légèreté d’une journée d’été est soulignée d’une lumière qui ne quittera que très rarement les personnages. Lumière douce et vaporeuse, qui s’attache à rendre tout aérien et poétique. Tout est calme et tranquille mais soudain survient « le pire » : Sasha, rentrant chez elle et traversant à nouveau le parc baigné de lumière, s’écroule. Les raisons de sa mort sont tues, les personnages, assommés par la douleur n’en disent rien, ne prononcent d’ailleurs jamais le mot ultime. Et c’est cela la force de Mikhaël Hers : ne jamais s’appesantir, ne jamais tomber dans le pathos, aussi tragique soit la situation. Inutile de montrer une violence que le spectateur ne peut qu’imaginer à travers quelques détails. Ce qui l’intéresse, ce sont le combat, la pudeur et l’existence de ceux qui restent.
Parmi ceux-là, il y a Lawrence, le compagnon de Sasha et Zoé, la jeune sœur. Tous les deux apparaissent d’abord comme des êtres blessés, et l’histoire comme la caméra n’en finissent pas de leur donner de l’épaisseur. Zoé et Lawrence ne sont pas particulièrement proches, c’est avant tout le souvenir de Sasha qui les lie. Ils évoluent chacun de leur côté, avec leur douleur et leurs fêlures. Lawrence apparaît longtemps comme l’incarnation de l’errance : toujours en mouvement, il ne cesse de marcher dans Berlin puis dans Paris sans que l’on sache vraiment où il va. C’est un personnage en retrait, il est celui qui ne parle pas, celui qui ne sait pas quoi faire pour « se rendre utile », qui ne sait pas vivre. Zoé, quant à elle, est plus nerveuse, plus présente à la caméra : à Berlin par exemple, elle rit aux éclats au restaurant quand son père rappelle à Lawrence qu’il peut garder toutes les affaires de Sasha. Deux êtres, deux réactions face à la perte. Mais c’est quand Zoé et Lawrence se réunissent que l’égarement, sans disparaître totalement, est supplanté par un besoin impérieux de re-vivre. On pense alors à une scène très belle, à Paris. Lawrence vient d’arriver et va voir Zoé à son travail. Elle l’entraîne dans la cour intérieure de l’hôtel. Entre les draps qui sèchent bercés par le vent d’été, Lawrence peut enfin dire sa douleur, son hébètement et son désarroi.
Pourtant, ce n’est pas la parole qui prime, mais bien les corps, les regards et les mouvements qui s’intensifient au fil des trois étés. Là encore, Mikhael Hers ne tombe pas dans le piège de plans pesants, saccadés et d’une caméra envahissante. Celle-ci accompagne et saisit les personnages sans les figer, et malgré l’omniprésence de trois villes tentaculaires, les plans restent intimistes. Le choix du super 16 qui donne cette lumière et ce grain si particuliers y contribue sans doute. On voit les personnages figés se mouvoir peu à peu, de ville en ville, accompagnés, soulevés par la musique, essentielle au film. Elle se substitue à la parole : on pense à la scène où Marc de Marco – jouant son propre rôle – donne un concert un peu étrange dans un petit bar new-yorkais. Lawrence s’ouvre à nouveau au monde et il suffit du regard de Zoé appuyé par la guitare psychédélique pour qu’il s’autorise à séduire à nouveau…
Des trois villes, précisément, c’est à New-York que les mouvements et les personnages se déploient. Alors que le rythme menaçait de s’essouffler à Paris, l’une des premières scènes new-yorkaises s’ouvre sur Lawrence, marchant plus vite, accompagné de son ami Thomas. Le flot de paroles continu de cet ami fantasque donne une respiration, une dynamique qui commençait à manquer, aux spectateurs comme aux personnages. Le visage anguleux de Lawrence s’illumine d’un sourire quand il l’écoute parler d’amour: « Je veux qu’une fille me plaque au sol, me fracasse la tête; je veux être assommé par l’amour ». Les corps reprennent leur vie et leurs droits, ils se libèrent. Lawrence, Zoé et les autres, dansent, jouent au handball dans un parc, marchent plus vite pour se rendre quelque part, cette fois. Lawrence re-devient un être sensuel, charnel, ancré dans la vie.
Si l’on peut regretter la fin du film où la métaphore devient trop facile – n’y a-t il que l’océan pour suggérer le renouveau ? -, Mikhaël Hers signe un film poétique qui raconte l’indicible avec pudeur et délicatesse.
Date de sortie : 17 février 2016
Réalisé par : Mikhaël Hers
Avec : Anders Danielsen LIE, Judith CHEMLA, Marie RIVIÈRE, Dounia SICHOV
Durée : 1h46
Pays de production : France