Après le père, la mère. Christine Angot retrace l’histoire de cette femme dans un portrait précis, efficace et sans pathos, qui est aussi une fine analyse des relations mère/fille et des mécanismes de domination sociale à travers le langage. A l’origine de chacune de nos vies, il y a ce hasard, cet événement qui fonde le roman familial : « Mon père et ma mère se sont rencontrés.… » Par cette phrase évidente et fondatrice qui ouvre le livre de Christine Angot, l’autobiographie devient fiction littéraire et s’inscrit dans la lignée des grands romans. L’auteure imagine, dans une reconstitution forcément hypothétique, la passion qui a uni ses parents, l’histoire d’amour dont elle est issue. Sur le modèle de La Princesse de Clèves. tout commence par le bal où ils deviennent un couple : « Il l’a invitée à danser, elle s’est levée…Ils se sont faufilés ». Dans le petit milieu du quartier américain, c’est le début d’une idylle éphémère entre Rachel Schwartz, la dactylo de Châteauroux, et Pierre Angot, le grand bourgeois parisien traducteur à la base américaine. Il est touché par sa beauté et son élégance, elle est subjuguée par sa culture, son assurance et sa liberté d’esprit : « Elle découvrait un monde ». Des promenades en forêt, un week-end dans la Creuse, une semaine merveilleuse sur la Côte d’Azur – comme en contrepoint de l’effroyable Semaine de vacances de son précédent roman- Pierre s’éloigne et Christine vient au monde. Si le personnage du père était au cœur de L’Inceste et de Une semaine de vacances, c’est ici la mère qui prend la première place, cette petite femme méprisée, délaissée, qui retrouve toute sa grandeur. On ne peut qu’être touché par sa force, sa ténacité dans le portrait plein d’empathie et d’une précision sociologique qu’en brosse l’auteure. Il en fallait de...
Le Roi Lear, Shakespeare /Olivier Py
écrit par Elodie Roca
En ce mois de juillet 2015, à Avignon, Olivier Py adapte Le roi Lear, de William Shakespeare et provoque les foudres de la critique : Le monde dénonce une mise en scène misogyne et braillarde, Libération regrette son manque de subtilité… Nous y étions. La pièce dont s’empare Olivier Py pour ouvrir cette 69° édition du festival d’Avignon, est un classique. L’histoire est connue : le roi Lear vieillissant veut abandonner la charge du pouvoir à ses filles dans un partage équitable mais il pose une condition. Le despote mégalomane et aveugle n’attribuera les parts qu’après que ses filles auront tour à tour exprimé la force de leur amour. Les deux aînées, Goneril et Régane, rompues à l’art de la flatterie, s’exécutent avec grandiloquence ; la plus jeune, Cordélia, refuse de se prêter à cette mascarade. Lear la déshérite alors et l’exile de son royaume. Elle s’enfuit sous la protection de France. Le metteur en scène – et directeur du festival – propose une nouvelle traduction, alerte et crue, à l’image de la longue tirade d’insultes prononcée par un Kent déguisé en clochard roumain. Celle-ci reste plutôt fidèle à la verdeur de la langue shakespearienne. Olivier Py multiplie aussi les ajouts, citations mallarméennes, allusions à l’actualité ou chansonnettes populaires adaptées et chantées par le personnage du fou. Ils enrichissent de légèreté et d’humour ce texte d’une rare intensité tragique. Jean-Damien Barbin est d’ailleurs excellent dans son rôle de bouffon sage. Le metteur en scène retrouve ainsi le mélange des registres qu’affectionnait son maître. Pas de quoi susciter la désapprobation unanime de la critique… Py a aussi effectué des coupes importantes, notamment dans les premières tirades de Cordélia. Là encore, les changements opérés ne sont pas scandaleux : la plus jeune fille du roi Lear, plutôt que d’avouer la...
Dans le Silence du vent, Louise Erdrich
écrit par Marie-Anna Gauthier
Joe a treize ans, trois amis pour la vie, une passion sans limite pour Star Trek et les seins de sa jeune tante. Il vit sur une réserve amérindienne du Dakota du Nord, entouré d’une famille unie : le père, juge aux affaires tribales, est l’incarnation d’une paternité confiante et solide ; la mère, généreuse et aimante, a le don de sacraliser le moindre événement du quotidien. Au-delà des frontières de ce cercle intime, il y a tous les autres : l’oncle pompiste, alcoolo notoire à la trempe facile ; la fameuse tante Sonja, plantureuse jeune femme, objet de tous les fantasmes adolescents ; les grands-parents, grabataires déglingués, dont la lubricité n’a d’égale que la joie de transmettre et de raconter ; et puis tous les autres, les cousins, les parents, les frères des amis, personnages hauts en couleur qui assument tous leur part de responsabilité (ou d’irresponsabilité…) dans la vie du jeune garçon. Toute cette smala vivote plutôt joyeusement dans les limites étroites de la réserve. Pas de misérabilisme de mauvais goût : ici, on n’est pas plus malheureux qu’ailleurs. Pourtant, le drame survient et renverse tout. Un soir, la mère de Joe est agressée : sauvagement battue et violée, elle doit à son seul sang-froid d’échapper à l’immolation. Enfermée dans le mutisme, elle tait le nom de son bourreau. Le père tente de répondre à cette violence par les armes qui sont les siennes : il participe aux maigres investigations, recueille des témoignages, revisite tous ses dossiers, formule des hypothèses. Mais toutes ses tentatives se heurtent à un hiatus juridique : si tout semble désigner le même homme, le procès ne peut s’ouvrir tant qu’on ne connaît pas l’endroit exact du crime. Or, l’agression s’est produite dans les environs de la Maison-Ronde, haut lieu de la réserve qui accueillait...