Vous n’emportez que des policiers dans vos valises d’été? Qu’à cela ne tienne, vous pouvez conjuguer cette passion estivale avec la découverte d’un grand classique de la littérature russe du XIXème : Crime et châtiment. Non seulement vous y retrouverez tous les ingrédients nécessaires à vos plaisirs de lecture (un meurtre, une hache, un juge d’instruction malin et sinueux…) mais vous apprécierez certainement la surprise que vous réserve Dostoïevski en vous faisant suivre de bout en bout le point de vue de l’assassin! Petit détour donc par un succès de l’année 1866. Fédor Dostoïevski, criblé de dettes (il est joueur…) et très affecté par plusieurs décès consécutifs, reprend à bras le corps l’idée déjà ancienne d’une « confession de criminel » dans une Petersburg étouffante et misérable. Naît alors le célébrissime Raskolnikov, étymologiquement « le schismatique », qui rompt avec la communauté des humains en commettant l’irréparable. « C’est moi que j’ai tué, moi et pas elle, moi-même, et je me suis perdu à jamais » avoue le jeune homme perclus d’angoisse. Voilà ce qui intéresse Dostoïevski qui suit pas à pas son personnage dans les semaines qui suivent le meurtre, le « compte rendu psychologique d’un crime ». La tension dramatique du récit ne porte donc en aucune façon sur l’identité de l’assassin (cela vous changera) mais sur la possibilité pour celui-ci d’accéder au remords et de reprendre pied dans son humanité. Le mobile? Sans le sou, Raskolnikov a dû quitter l’université et se replie, seul et désoeuvré, entre les murs de son gourbi. Assez vite, la nécessité le conduit chez une vieille usurière dont il projette peu à peu le meurtre et le vol. Alors quoi? L’argent? L’étudiant ne prend pas la peine d’ouvrir la bourse dérobée chez sa victime ; il la cache sous une pierre et n’y revient...
La Fin de l’homme rouge, Svetlana Alexievitch...
écrit par Célian Faure
Pendant près de vingt ans, Svetlana Alexievitch a recueilli les témoignages d’ex-citoyens de la défunte URSS. C’est l’âme d’un peuple perdu qu’elle sonde, coincé entre un passé mythique, douloureux, et une modernité rugueuse qui bouleverse radicalement tous les repères. De la Perestroïka aux années Poutine en passant par la chute du régime en 1991 et le coup d’Etat d’Eltsine, l’écrivain russe promène son lecteur parmi les consciences. Celles des anciens, d’abord, ceux qui ont tout connu de l’ère soviétique, l’enrôlement des jeunes, la ferveur, les guerres, les famines, les confidences des cuisines. Celles des plus jeunes ensuite, acclimatés à la nouvelle Russie, ses errements, ses vides, qui vivent le socialisme par procuration, d’un œil parfois moqueur. Voilà une œuvre essentielle et passionnante, dont la traduction récente en langue française, chez Actes Sud, tombe tristement à point nommé : La Fin de l’homme rouge apporte un éclairage salutaire aux événements que connaît l’Ukraine en ce début d’année 2014, tout particulièrement en Crimée. Car cette guerre larvée n’est pas seulement le fruit de dirigeants irresponsables. Elle est sans doute aussi la conséquence d’une profonde crise identitaire. En psychanalyste attentive, l’auteur de ce docu-littéraire – peut-on vraiment l’appeler auteur ?[1] – écoute et note les vérités, les cris de détresse, les confessions inavouables. Sous sa plume, pas de jugement ni de tentatives pour faire émerger un sens. Encore moins de thèses. Les témoignages – Alexievitch l’affirme haut et fort dans un propos liminaire – sont pris comme de purs morceaux de littérature. Ils ne composent pas un travail d’historien, mais d’écrivain. Je pose des questions non sur le socialisme, mais sur l’amour, la jalousie, l’enfance, la vieillesse. Sur la musique, les danses, les coupes de cheveux. Sur les milliers de détails d’une vie qui a disparu. (…) L’histoire ne...