Lenka Hornakova-Civade, originaire de Moravie, petite province de République Tchèque, signe un premier roman d’une beauté crue sur son pays d’origine, « dans la langue de [son] pays d’adoption ». Comme elle le précise dans sa postface : « Je ne pouvais exprimer qu’en français ce qui reste indicible dans ma langue maternelle ». Une très belle réussite couronnée par le prix Renaudot des lycéens 2016. Tout, dans ce roman, dit l’expatriation : c’est une histoire de femmes, dont les pères sont absents, une histoire de bâtardes héréditaires, qui se transmettent cette fatalité de génération en génération, pour former un clan matriarcal marginal et fort. Des femmes sans père et sans patrie, contraintes de se déraciner sans cesse pour fuir les hommes et l’Histoire, qui les pourchassent également. Il y a d’abord Marie, sage-femme autodidacte, belle et raffinée, qui s’est formée auprès d’un gynécologue juif de Vienne mais qui, pour survivre, arrache sa fille à la ville, s’entoure de silence et devient une rude paysanne de la campagne morave. On découvre peu à peu son histoire à travers le récit de Magdalena, sa fille, la première bâtarde. Elle-même devient mère hors du mariage et, alors que le pays bascule dans le communisme, elle donne naissance à Libuse. On perd alors la voix de Magdalena pour écouter le récit de sa fille qui grandit sous le communisme le plus strict. En 1968 pourtant, quelque chose a changé, l’air semble plus léger, c’est indéfinissable. Un vent léger a soufflé de Prague jusque dans le petit village. De ce printemps naît Eva, fille de Libuse, petite-fille de Magdalena, arrière-petite-fille de Marie. La dernière petite bâtarde prend en charge l’ultime récit : elle découvre, au contact d’une mystérieuse professeure de français, les parts les plus sombres de son histoire familiale et met un terme...