Vous n’emportez que des policiers dans vos valises d’été? Qu’à cela ne tienne, vous pouvez conjuguer cette passion estivale avec la découverte d’un grand classique de la littérature russe du XIXème : Crime et châtiment. Non seulement vous y retrouverez tous les ingrédients nécessaires à vos plaisirs de lecture (un meurtre, une hache, un juge d’instruction malin et sinueux…) mais vous apprécierez certainement la surprise que vous réserve Dostoïevski en vous faisant suivre de bout en bout le point de vue de l’assassin! Petit détour donc par un succès de l’année 1866. Fédor Dostoïevski, criblé de dettes (il est joueur…) et très affecté par plusieurs décès consécutifs, reprend à bras le corps l’idée déjà ancienne d’une « confession de criminel » dans une Petersburg étouffante et misérable. Naît alors le célébrissime Raskolnikov, étymologiquement « le schismatique », qui rompt avec la communauté des humains en commettant l’irréparable. « C’est moi que j’ai tué, moi et pas elle, moi-même, et je me suis perdu à jamais » avoue le jeune homme perclus d’angoisse. Voilà ce qui intéresse Dostoïevski qui suit pas à pas son personnage dans les semaines qui suivent le meurtre, le « compte rendu psychologique d’un crime ». La tension dramatique du récit ne porte donc en aucune façon sur l’identité de l’assassin (cela vous changera) mais sur la possibilité pour celui-ci d’accéder au remords et de reprendre pied dans son humanité. Le mobile? Sans le sou, Raskolnikov a dû quitter l’université et se replie, seul et désoeuvré, entre les murs de son gourbi. Assez vite, la nécessité le conduit chez une vieille usurière dont il projette peu à peu le meurtre et le vol. Alors quoi? L’argent? L’étudiant ne prend pas la peine d’ouvrir la bourse dérobée chez sa victime ; il la cache sous une pierre et n’y revient...
Le Royaume, Emmanuel Carrère
écrit par Elodie Roca
Emmanuel Carrère nous livre le résultat d’un projet ambitieux : raconter les débuts hésitants d’une religion, qui ne s’appelle pas encore christianisme, après la mort honteuse de son leader mais avant sa reconnaissance internationale. C’est une somme érudite mais surtout une formidable méditation personnelle dans laquelle nous suivons le cheminement d’un homme en quête. Presque cent-cinquante ans après le « Dieu est mort » de Nietzsche, alors que le christianisme est chahuté de toutes parts, le projet d’Emmanuel Carrère aurait de quoi rebuter : 630 pages consacrées aux débuts hésitants d’une religion, marginale et subversive il y a deux mille ans, aujourd’hui adoptée par plus de deux milliards d’individus. Pari audacieux donc, mais pari réussi ! Carrère néglige Jésus, le leader charismatique qui meurt dans un quasi-anonymat, pour suivre Paul et Luc dans leurs pérégrinations au cours de la seconde moitié du premier siècle après Jésus Christ. Pas Saint Paul et Saint Luc, figés par une longue tradition hagiographique, mais Paul et Luc, tout simplement, deux hommes, inspirés et fervents, certes, mais faillibles et maladroits. Le premier est illuminé, fanatique, jaloux et masochiste ; le second un peu tiède, tout en compromis et en euphémismes. Alors que l’auteur se présente volontiers comme « un petit bonhomme inquiet et ricaneur », « égocentrique et moqueur », trop « intelligent », il abandonne toute ironie et trouve un ton bienveillant, sans être pour autant complaisant, pour décrire « une réalité convaincante parce qu’elle est complexe, humaine parce qu’elle est multiple », selon les termes qu’il emprunte à Marguerite Yourcenar. Mais il sait de quoi il parle : il a été tenté par le catholicisme, et l’a pratiqué, trois ans durant, de la manière la plus dogmatique qui soit. Il en est revenu et se définit désormais comme agnostique. « Affaire classée alors ? Il faut qu’elle ne le soit pas tout à...
Ida, Pawel Pawlikowski
écrit par Guillaume Moreau
Ida est la quête d’une identité à reconstruire. Dès les premières scènes, et avec un laconisme dont le film de Pawel Pawlikowski ne se départit jamais, on apprend qu’Anna s’appelle en réalité Ida et qu’elle n’est pas catholique, mais juive. Son noviciat touchant à sa fin, Ida est sommée par la supérieure du couvent de rencontrer sa tante, Wanda, laquelle lui raconte l’histoire de ses parents et les circonstances de leur mort. Ces derniers ont été trahis et assassinés par des paysans polonais qui s’étaient pourtant chargés de les cacher durant la Seconde Guerre mondiale. Commence alors pour les deux femmes l’enquête qui doit les amener à retrouver les corps de leurs proches et à leur donner une sépulture honorable dans un cimetière juif. Tout oppose Ida et Wanda. La première est taiseuse, discrète, élevée selon les préceptes rigoristes de la communauté religieuse où elle a grandi. Wanda est un pur produit du système soviétique, une juge haut placée, déterminée, séductrice et farouche avec les hommes, qu’elle prend et jette sans vergogne. Une chose cependant les unit, cette béance du passé, cette nécessité, une fois que celle-ci s’est fait jour, de clore le roman des origines, de ressusciter les morts pour mieux les enterrer. Une fois la quête achevée, il semble que chacune d’elles soit enfin en mesure de décider de sa vie et non de la subir. Pour raconter cette histoire douloureuse, Pawlikowski choisit le noir et blanc et une économie de mots qui, outre le fait qu’ils semblent répondre aux clichés que l’on attribue à la Pologne des années 60 (tristesse, grisaille, sévérité), font par moment basculer le film dans une austérité qui confine à l’ennui. Mais par ailleurs, le noir et blanc permet de très beaux tableaux, comme les plans ouvrant...
Michael Kohlhass, Arnaud des Pallières
écrit par Marie Fernandez
Pour son dernier film, Arnaud des Pallières choisit d’adapter un roman d’Heinrich Von Kleist écrit en 1805. L’objet est singulier dans le paysage cinématographique et ne laisse certainement pas indifférent. La réduction extrême des dialogues, la ligne d’interprétation, toute en gravité et en retenue, la direction esthétique créent une étrangeté propre à plonger le spectateur dans l’ailleurs de la fable et parviennent à éclairer de façon souvent très juste les enjeux du récit. Demeure pourtant l’impression que le réalisateur, en voulant se tenir avec rigueur et obstination à ses choix, gaine son film et empêche le surgissement de l’émotion. Le cinéaste déplace l’intrigue de la province réformée de Brandebourg aux Cévennes françaises, terre d’asile des protestants dès le XVIème siècle, mais conserve la trame du récit. Le personnage central, Michael Kohlhass, qui a donné son nom au roman et aujourd’hui au film, est un marchand de chevaux prospère. Il vit en paix dans une famille unie et dans le libre exercice de sa foi protestante, jusqu’au jour où un voyage à la foire tourne mal. Un petit baron de la province a établi un péage illégal ; pour continuer sa route, Kohlhass est contraint de laisser en gage deux magnifiques étalons. Mais à son retour, il retrouve ses bêtes harassées et son homme de confiance, César, livré en pâture aux chiens. Il porte plainte, l’affaire est étouffée. Face à ce déni de justice, le commerçant se lance dans une quête éperdue pour que soit reconnu son bon droit : il envoie sa femme plaider auprès de la princesse, lève une armée, met le pays à feu et à sang. Dans son désir de réparation, satisfait par l’intégrité retrouvée du corps (celui du cheval, qui de manière symbolique peut apparaître comme un prolongement ou un...
Au-delà des collines, Cristian Mungiu
écrit par Célian Faure
Alina vient retrouver Voichita, son ancienne amante et confidente rencontrée pendant leur enfance dans un orphelinat roumain. Mais celle-ci semble avoir emprunté un tout autre chemin que le sien. Voichita vit désormais dans un couvent et se voue à la vie communautaire, dans une foi chrétienne autoritairement professée par la voix du prêtre. Alina, troublée, tente alors de récupérer l’amie qu’elle considère comme son unique famille, jusqu’à sombrer dans l’hystérie et subir la barbarie inconsciente des membres du couvent, dont la vie a été bousculée par l’intrusion de cette brebis galeuse. Le dernier film de Cristian Mungiu, lauréat de la Palme d’or cannoise en 1997 pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, n’est pas une énième œuvre sur le thème rebattu de l’amour opprimé par une religion rétrograde. Bien plus que cela, il est un film politique, mystique, témoin d’un lieu et d’une époque, dont le huis clos du petit couvent au delà des collines est un révélateur. Evidemment, la religion tient un rôle majeur. Elle est cependant traitée comme une variable potentiellement génératrice de troubles, sans pour autant être dénoncée pour elle-même. Finalement, ce sont davantage les faits sociaux et les héritages culturels cristallisés au sein de cette communauté orthodoxe qui constituent l’intérêt d’un tel choix. Tout se passe comme si la religion était un refuge un peu vain, un peu ridicule, suranné, dans lequel se déploient des enjeux qui la dépassent allègrement. Ainsi, Au-delà des collines ne joue pas dans la même catégorie qu’un film tel que The Magdalene sisters. Alina au couvent, c’est la rencontre deux mondes qui se méprisent. La modernité dans sa détresse et ses ratés – Alina – face à un monde désuet, perdu, fantasmé mais réconfortant – le couvent – qui est prêt à sacrifier la réalité...