Tel Père tel fils, Hirokazu Kore-Eda
Tel Père tel fils, dernier long-métrage du réalisateur japonais Hirokazu Kore-Eda, a des allures de conte. La structure du récit est celle de bien des histoires de notre enfance : un personnage est confronté à une épreuve mais, au prix de transformations intérieures parfois douloureuses, en sort grandi. L’écriture cinématographique semble aussi imprégnée par certains des codes du genre : approche plutôt schématique des personnages, retenue du pathos, charge symbolique du plan. Même si l’on regrette parfois certains excès, le choix d’emprunter au genre du conte est très porteur pour réfléchir avec finesse aux pièges et bonheurs de la paternité.
Deux familles découvrent que leurs fils de six ans ont été échangés à la naissance. L’hôpital qui les informe de la dramatique erreur les presse de procéder à l’échange. Les parents se trouvent ainsi jetés bon gré mal gré dans un long et douloureux processus : on commence par se rencontrer à l’extérieur, puis les garçons passent plusieurs week-ends dans leur famille d’ « adoption » avant d’y poser pour de bon leurs valises. Au fil de ces rendez-vous successifs, Hirokazu Kore-Eda dresse le portrait de deux familles que tout oppose. Chez les Nonomiya, installés à Tokyo dans un appartement ultra-moderne et sans vie (voir les nombreux plans sur l’appartement vide), le père rentre tard après son travail d’architecte. Tandis que sa femme soumise et tranquille lui sert le repas, il vérifie d’un oeil sévère que son fils unique a bien répété son piano. Chez les Saiki, petits commerçants dans une ville de province, la vie s’étire dans un joyeux désordre, au gré des jeux, des repas animés et des réparations de jouets cassés.
Oui, spectateurs français, le dernier film d’Hirokazu Kore-Eda fait surgir vos souvenirs du grand succès populaire d’Emile Chatiliez, La Vie est un long fleuve tranquille. Le motif de l’échange des enfants, la confrontation parfois hallucinée des deux familles ramène à certaines scènes de la comédie culte des années 80. Mais Tel Père tel fils relève davantage du registre dramatique, en s’intéressant à la manière dont chacun réagit à cette annonce cataclysmique, et particulièrement à la façon dont celle-ci métamorphose le père Nonomiya. Portrait individuel à l’intérieur du portrait collectif, car au final le sort des deux familles semble dépendre de lui : lui seul pousse à l’échange, plaidant la supériorité des liens du sang sur les liens d’amour tissés au fil des années.
« C’est une mission », annonce le père Nonomiya à son fils, « une mission qui doit t’aider à devenir plus fort ». Passer du temps avec les Saiki, les appeler papa maman, ne jamais téléphoner à la maison, voilà qui est plus facile à présenter sous la forme d’un jeu, d’un rituel de passage qui ferait du petit Keita un homme. Et le petit d’obéir, avide de satisfaire enfin aux exigences paternelles. Car le noeud est bien là. Keita n’est pas selon le désir de son père: il joue mal du piano, se laisse dominer par ses camarades, n’est guère brillant à l’école. Chaque soir, la même scène semble se répéter : le père rentre, jauge les performances du fils et déplore ce qui manque à l’enfant pour être parfait à ses yeux. Alors, tout comme les enfants rêvent parfois de se découvrir des parents merveilleux, Ryoata fantasme subitement un fils à son image en apprenant la terrible nouvelle. Le débat apparent entre liens du sang et liens d’amour se double pour lui d’une aspiration secrète : l’enfant biologique sera probablement cet enfant merveilleux que Keita n’est pas.
En fait, la mission échoit au père Nonomiya. Dans le conte moderne de Kore-Eda, c’est lui qui est mis à l’épreuve et doit se transformer. Alors qu’il conduit les deux familles à la catastrophe en entérinant l’échange, il va apprendre des autres le sens de la paternité: du père Saiki, « père poule » modèle qui ne cesse de l’enjoindre à passer du temps avec son enfant, de Ryusei, fils biologique qui refuse le nom de « père » à un étranger, de sa femme, qui ne peut simplement transplanter son affection d’un enfant à l’autre, de Keita enfin, qui lui témoigne un amour indéfectible malgré ses manquements. L’apprentissage permet à Ryoata de reprendre pleinement sa place dans sa propre filiation: redevenir le fils d’un père auquel il ne ressemble pas, advenir comme père d’un fils qui ne lui ressemble pas.
Tel Père tel fils est un film émouvant, porté par des acteurs attachants et dirigés avec une grande finesse. Kore-Eda y dévoile peu à peu les couches d’une réflexion très juste sur la paternité et plus globalement sur le rapport enfant-parent. Pourtant, plusieurs scènes au symbolisme très appuyé laissent quelque peu dubitatif. Par exemple, pour les retrouvailles finales entre Ryota et Keita, le réalisateur choisit de suivre le père et le fils marchant sur deux chemins parallèles qui finissent par se rejoindre. L’issue du travelling est sans surprise, mais surtout le spectateur n’a plus rien à penser dans une telle écriture cinématographique. Le symbole des deux voies réunies surexplique une situation rendue déjà très claire par les dialogues et le jeu des acteurs ; tout raconte la même chose à l’écran et la séquence s’épuise dès les premières images.
Date de sortie : 25 décembre 2013
Réalisé par : Hirokazu Kore Eda
Avec : Masaharu Fukuyama, Machiko Ono, Lily Franky
Durée : 2h01
Pays de production : Japon